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Accord sur le chômage : tant que l'orchestre joue...

C'est Michel Sapin qui a résumé comme il sied l'accord sur le chômage intervenu le 21 mars dernier entre les partenaires sociaux : l'accord « permettra d'assurer, pour les deux prochaines années, la pérennité [1] d'un régime qui joue un rôle pour notre cohésion sociale ». Certes, les partenaires sociaux, qui ont l'exclusivité de la détermination des cotisations et des avantages de l'assurance chômage, se retrouvent tous les deux ou trois ans, ce qui explique cette réflexion satisfaite du ministre. On a gagné deux ans ! Mais l'impatience inquiète des Français, laisse partout place à la colère, comme le montrent leurs votes, et dans le cas de l'assurance chômage, l'étonnante fureur de la CFE-CGC. Combien de temps l'orchestre pourra-t-il continuer à jouer pour nous faire danser [2] ? Et l'orchestre ne joue-t-il pas faux ?

L'accord sur le chômage ne règle aucun problème structurel

La Cour des comptes dans son rapport de janvier 2013 avait averti : « Si le régime, renforcé par la négociation de 2009, a bien joué son rôle de maintien du revenu des demandeurs d'emploi, il, voit désormais son efficacité se dégrader, son équité se fragiliser et sa soutenabilité mise en cause du fait du maintien à un niveau élevé du chômage. La renégociation de la convention d'assurance chômage qui aura lieu en 2013 ne pourra éviter d'aborder ces différentes questions. »

Le préambule de l'accord qui vient d'intervenir est censé donner le ton, dans la ligne du rapport de la Cour des comptes : « Considérant l'ampleur historique du déficit cumulé du régime d'assurance chômage au 31 décembre 2013 (17,8 milliards d'euros) et la persistance, à règles de fonctionnement identiques du régime, d'un endettement cumulé de l'ordre de 35 à 40 milliards d'euros à horizon fin 2017 ; Considérant la nécessité d'un retour à l'équilibre financier du régime d'assurance chômage »…

On attendait donc l'annonce de réformes aussi historiques que le déficit signalé. Suivent au contraire 11 pages de détails subtils – voire incompréhensibles - qui apportent par petites touches des améliorations au régime (voir encadré). Mais aucun chiffre n'est plus avancé qui permettrait de s'assurer que l'on progresse vers un retour à l'équilibre financier en question. Et pour cause : l'assurance chômage a présenté en 2013 un déficit de 4,3 milliards d'euros (sur 32 milliards d'indemnisations versées). Or l'accord intervenu devrait permettre de trouver 800 millions de ressources supplémentaires, pendant qu'en même temps les indemnités seraient en augmentation de 400 millions, soit une amélioration nette des comptes de 400 millions, un petit dixième du problème.

Les principales mesures du nouvel accord
  1. Les droits rechargeables ne sont pas une réelle innovation mais plutôt une amélioration de la procédure de « réadmission » actuelle. Dorénavant les chômeurs pourront cumuler les droits à indemnité acquis et non épuisés provenant d'un premier emploi avec ceux acquis dans le cas d'un nouvel emploi, alors qu'actuellement le chômeur doit choisir entre les deux droits. Ce qui devrait coûter 400 millions d'euros, l'Unedic ayant effectué un calcul plus précis à 320 millions. L'Unedic nous a précisé que « En fait, le chiffre de 320 millions d'euros est le solde de deux effets de signes contraire : D'une part, alors qu'à l'issue de la réadmission on privilégie aujourd'hui le fait de payer toujours l'allocation la plus forte, on paiera désormais la précédente, qui sera parfois plus faible (une fois sur deux environ). Cela génère une moindre dépense. D'autre part, alors qu'à la fin du droit sélectionné lors de la réadmission on atteint aujourd'hui la fin de droit, on sera couvert plus longtemps. Cela génère un surcroît de dépense. Le solde des deux représente un surcoût de 320 millions d'euros en année de croisière. Près d'un million de personnes sont concernées chaque année par ce nouveau dispositif » [3].
  2. Un différé général d'indemnisation de 180 jours, au lieu de 75 jours actuellement, est institué pour les seules indemnités supra-légales excédant 16.200 euros [4] (voir discussion ci-dessous). Il n'est cependant pas applicable en cas de licenciement économique, ce qui est dénué de justification et reflète à l'évidence l'influence syndicale et la volonté de pénaliser les ruptures conventionnelles…
  3. Concernant le régime des intermittents du spectacle, la nouveauté porte sur le plafonnement à 5.475 euros du cumul entre revenu d'activité et indemnités versées, ce qui est quand même un chiffre très élevé. D'autre part, ces salariés bénéficient d'un régime de différé d'indemnisation favorable par rapport au droit commun, la formule (compliquée) de l'accord aboutissant selon l'Unedic à un différé nul tant que le salaire horaire de l'allocataire est inférieur ou égal à 1,5 SMIC, avec augmentation progressive au-delà. On peut mentionner par ailleurs l'absence de carence congés payés pour les allocataires des annexes 8 et 10 en question.
  4. Deux réformes (mineures) de simplification sont en revanche bienvenues : celle concernant le cumul entre indemnité de chômage et revenu d'activité en cours d'indemnisation, l'allocation versée étant dorénavant égale à l'allocation mensuelle prévue en l'absence d'activité diminuée de 70% de la rémunération brute issue de l'activité réduite. D'autre part les droits des salariés « multi-employeurs » ne sont plus pénalisés.

Les protagonistes sont malgré tout satisfaits de cette réussite du dialogue social, l'Etat parce que qu'il s'est débarrassé de la patate chaude refilée aux partenaires sociaux (voir encadré), le Medef parce qu'il a montré sa coopération active et fructueuse, FO parce que le syndicat a marqué un point contre le CGT, son rival de toujours, la CFDT parce qu'elle a confirmé au gouvernement sa volonté réformatrice, la CFTC parce qu'elle a réussi à faire passer dans la réforme les fameux « droits rechargeables ». Pour l'équilibre financier, on verra donc plus tard, après les conclusions que pourra en tirer un nième « observatoire » qui va bientôt se constituer.

Le rôle de l'État et des partenaires sociaux

Le régime de l'assurance chômage est une exception dans le paysage français, dans la mesure où c'est aux partenaires sociaux qu'il revient de déterminer le montant des cotisations et celui des indemnités. L'État ne peut pas cependant s'en laver les mains. Il doit tout d'abord donner son agrément pour que l'accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux passe en force de loi. Par ailleurs, comme lors de l'ANI de janvier 2013, l'État ne s'est pas fait faute de peser de tout son poids pour limiter les prétentions des partenaires. Michel Sapin et Aurélie Filipetti ont ainsi, à grand renfort de déclarations médiatisées, interdit en pratique toute remise en question profonde du régime des intermittents du spectacle, et de même Michel Sapin a rejeté toute idée de réinstaurer comme c'était le cas auparavant, la dégressivité des indemnités de chômage comme le demandait le Medef. La latitude dont disposaient les partenaires s'en trouvait extrêmement réduite. Ou comment rejeter la responsabilité de l'accord sur des acteurs dont on a préalablement entravé les mouvements.

La Cour des comptes avait préconisé en particulier la refonte du régime des intermittents du spectacle et la dégressivité des taux de remplacement. Le premier n'a été que très légèrement écorné, le second n'a pas été touché, et l'on a au contraire institué les droits rechargeables. Dans deux ans, à quoi faut-il s'attendre, alors que l'endettement de l'Unedic, garanti par l'État, se sera encore accru, et que personne ne mise sur une diminution substantielle du taux de chômage ? Au moment où nous écrivons ces lignes, on apprend d'ailleurs que le nombre de chômeurs a augmenté de 0,9% en janvier, ce qui a même surpris les observateurs. Le gouvernement ne paraît plus capable de prévoir, mais seulement de reculer les échéances en renvoyant les problèmes à des partenaires sociaux qui ne peuvent s'entendre que sur un dénominateur commun très limité.

Source : Insee et rapport janvier 2013 de la Cour des comptes.

L'orchestre joue faux : assurance et solidarité-redistribution

Dans son rapport de 2013, la Cour des comptes critique la mauvaise articulation entre les prestations d'assurance chômage et celles de solidarité (ASS et RSA), et avance que « de telles limitations n'existeraient pas si l'indemnisation était dès le départ la somme d'un socle constitué par la prestation de solidarité à laquelle viendrait s'ajouter, de façon concomitante et pour une durée variable, une prestation d'assurance ». On ne peut pas approuver cette proposition. L'Unedic a raison de faire remarquer que « les deux dispositifs [d'assurance et de chômage] répondent à des logiques différentes : l'assurance vise, pendant une durée limitée, à garantir le revenu du salarié qui perd son emploi, alors que la solidarité a pour objectif de garantir à chaque ménage un revenu minimum, et que l'articulation entre les différents revenus de remplacement est précisément définie par l'article L. 5423-1 du code du travail, lequel dispose qu' : « ont droit à une allocation de solidarité les travailleurs privés d'emploi qui ont épuisé leurs droits à l'allocation d'Assurance chômage ».

L'Unedic a cependant une attitude ambiguë dans la mesure où en présentant l'assurance chômage dont elle est le gestionnaire, elle lui attribue deux missions, l'une assurantielle et l'autre distributive.

La colère que vient d'exprimer la CFE-CGC [5] pour les cadres fait ressurgir cette problématique. En effet l'accord modifie les règles du différé d'indemnisation, qui était autrefois fixé uniformément à 75 jours. En stipulant que désormais le différé sera proportionnel au montant des indemnités supra-légales reçues (jusqu'à 180 jours à partir de 16.200 euros), l'accord apporte une modification qui va coûter très cher aux cadres en particulier, puisqu'ils vont perdre les 105 premiers jours d'indemnisation. Et ce alors que ce sont les cadres qui cotisent le plus puisque le plafond de cotisation est très élevé, à 12.516 euros par mois, pour un taux uniforme de 6,40% (4% de part salariale et 2,40% de part salariale), et que d'autre part ils bénéficient du rapport indemnisation / salaire de référence le plus défavorable : alors que pour un salaire de référence de 1.000 euros net, ce rapport est de 84%, il n'est plus que de 63% à partir d'un salaire de 2.500 euros. Autrement dit, l'assurance chômage opère une redistribution en faveur des plus bas salaires du seul fait de la hauteur du plafond de cotisation. S'ajoute évidemment la redistribution en faveur des intermittents dont le déficit est considérable. On ne s'étonnera donc pas que la CFE-CGC déclare la coupe pleine avec le nouveau différé d'indemnisation supérieur de 105 jours à celui applicable aux bas salaires.

Le ras-le-bol des classes moyennes et supérieures s'exprime ainsi de plus en plus, d'autant que nombre d'autres mesures fiscales ou limitatives de droits sont venues frapper, et frapperont encore ces classes (par exemple celles concernant les allocations familiales, le forfait social, la hausse des cotisations, etc.). La confusion entre la logique assurantielle et celle de la solidarité / redistribution participe de la justice sociale dont on nous rebat les oreilles en permanence, et dernièrement à l'occasion des résultats des élections municipales, comme si c'était ainsi qu'il fallait interpréter ces derniers. Cette justice sociale-là, rampante, n'est pas supportable, comme la CFE-CGC vient de nous le rappeler.

Au total, il faudra bien, et le plus rapidement possible, que l'on prenne les dispositions nécessaires pour mettre fin à la dérive des finances de l'Unedic, au lieu de s'en tenir à des mesures qui ont surtout pour objet d'effectuer une redistribution parfaitement contestable des ressources de l'organisme, sans quasiment rien modifier quant à l'équilibre général du régime. Sur ce point, on ne peut qu'approuver ce que préconise la Cour des comptes, et qui aboutit nécessairement à limiter l'indemnisation des chômeurs, et à le faire en répartissant également les sacrifices demandés : essentiellement durée d'emploi pour ouvrir les droits, restriction à la règle un jour d'emploi / un jour d'allocation, dégressivité des allocations s'appliquant assez tôt pour avoir un effet notable. Mais abaisser les plafonds de cotisation et corrélativement d'allocation aurait l'effet contraire d'aggraver globalement le déficit comme nous l'avons indiqué.

[1] Définition du mot « pérennité » dans le Larousse : « caractère de ce qui dure pour toujours ». On appréciera l'oxymore.

[2] « Tant que l'orchestre joue, il faut continuer à danser », phrase prononcée par le patron de Citigroup à la veille de la crise des « subprime ».

[3] L'étude complète se trouve sur le document « Alternance emploi-chômage »

[4] Ainsi, en supposant une indemnité légale moyenne de un tiers de mois par année de présence et un salaire mensuel de 2.000 euros, un licenciement intervenant après 15 années devrait ouvrir droit à 5 mois soit 10.000 euros. Au-delà d'un total de 26.200 euros, sera appliqué un différé de perception de 180 jours pour la partie d'indemnité supérieure à 10.000 euros.

[5] Elle vient en effet de refuser de signer cet accord sur le chômage, et de plus remet en question sa signature sur le relevé de conclusions des négociations concernant le pacte de responsabilité, ce qui est sans rapport.