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"Inégalités" scolaires : osons le forfait par élève

Un récent rapport de la Cour des comptes fait état de fortes disparités des coûts de scolarité selon les académies. D'après la Fondation iFRAP, ces différences s'expliquent avant tout par le mode d'affectation des enseignants et leur statut, pour le moment trop rigides pour remédier au problème. Par ailleurs, on sait que l'enseignement privé reçoit des moyens moins importants, tout en obtenant des résultats au moins aussi bons que l'enseignement public. Pour réduire l'inégalité scolaire, la solution semble donc passer par un encadrement des dépenses de l'État et des collectivités, et par une plus grande souplesse dans le choix de l'établissement. Face à la crise de l'école en France, où 40% des élèves de primaire sont confrontés à l'échec, la Fondation iFRAP souhaite avec la Cour des comptes la réforme du mode d'allocation des moyens, jugée « indispensable » dans le rapport, avec la mise en place d'un forfait éducation pour chaque élève.

Le financement par l'État dépend du jeu des affectations et du statut enseignant

L'État assure plus de la moitié du financement de l'éducation (56,6% avec 74,7 milliards d'euros en 2009), et les collectivités territoriales un quart (25,1% avec 33,2 milliards d'euros en 2009), le reste étant assuré par les ménages et les entreprises. Selon les informations dont nous disposons, le rapport de la Cour des comptes fait état d'une répartition inégale des moyens alloués aux établissements par l'État et les collectivités. L'État dépense 9.300 euros pour les lycées de l'académie de Paris contre seulement 6.185 euros pour ceux de l'académie de Versailles.

Il faut comprendre que les disparités de financement par l'État découlent non de décisions politiques mais du jeu des affectations et du statut enseignant. En effet, sur la dépense d'éducation, l'État intervient principalement sur les traitements des enseignants.

Or la rémunération est fixée selon des critères rigides fixés par l'Éducation nationale : un temps de travail statutaire (27 heures pour les professeurs des écoles, 18 heures pour les certifiés, 15 heures pour les agrégés) et un système de points qui augmente la rémunération avec l'ancienneté et le niveau de diplôme notamment.

Ce système à points permet aux enseignants expérimentés et bien diplômés (agrégés) de choisir leur affectation, contrairement aux enseignants inexpérimentés. Ceux-ci sont envoyés là où les « meilleurs » enseignants n'ont pas souhaité aller : dans les banlieues et les provinces isolées. Paris a donc plus d'argent par élève que Créteil parce que les agrégés préfèrent enseigner à Paris. Et comme ils sont bien mieux payés que les jeunes enseignants débutants de Créteil, un élève à Paris coûtera plus cher à l'État qu'à Créteil !

Le rôle de l'État devrait pourtant être de chercher à corriger ces disparités, pour que tous les élèves aient les mêmes chances de réussite… Mais on voit qu'en l'état actuel, le système manque terriblement de souplesse et laisse peu de possibilités de rééquilibrage.

Le financement par les collectivités est plus politique

Les collectivités jouent aussi un rôle non négligeable dans le financement de l'éducation, compensant parfois les écarts observés aux niveaux des salaires des enseignants :

Contribution des collectivités au financement de l'éducation
CommunesDépartementsRégions
Écoles : - Bâtiments
- Activités culturelles et sportives
- Restauration
- Personnels non enseignants
- Matériel pédagogique
Collèges : - Bâtiments
- Activités culturelles et sportives
- Restauration
- Personnels non enseignants + Transports scolaires
Lycées : - Bâtiments
- Activités culturelles et sportives
- Restauration
- Personnels non enseignants
- Personnels administratifs, techniques et de santé + Apprentissage et formation professionnelle

Il convient également de préciser que le ministère de l'Éducation nationale est parfaitement au courant des disparités de financement des collectivités, comme en témoigne le document consultable sur le site de l'Éducation nationale intitulé « La géographie de l'école », et qui « vise à repérer les disparités géographiques du système de formation français ».

La disparité des financements au niveau des collectivités vient donc de la décision de laisser un peu d'autonomie aux collectivités. Celles-ci peuvent effectivement choisir d'accorder des moyens plus ou moins importants aux activités culturelles, aux manuels scolaires en primaire, à la cantine…Veut-on revenir sur cette concurrence entre collectivités ?

L'enseignement privé fait mieux avec moins de moyens

Les disparités de moyens sont également fortes entre l'enseignement privé et l'enseignement public. Avant même de comparer les résultats obtenus par les deux types d'enseignement, la Fondation iFRAP s'est intéressée au coût par élève, en se référant aux chiffres de l'Éducation nationale. Notre étude de juin 2011 a trouvé un écart de 30 à 40% : l'enseignement public est beaucoup plus cher que le privé. Même en prenant en compte le coût des retraites publiques, les investissements plus importants pour les établissements publics, et le coût des personnels techniques, l'enseignement public reste 1.313 euros plus cher dans le premier degré et 721 euros plus cher dans le second degré, par élève et par an. Nous avions alors déjà constaté de fortes disparités dans le financement de l'éducation par les collectivités locales, qui répartissent plus ou moins équitablement les moyens entre enseignement privé et enseignement public [1]. D'un département voisin à l'autre, d'une région à l'autre la répartition est très différente. Les dépenses d'investissement ne sont pas seules en cause ; il s'agit plutôt de décisions politiques. L'enseignement privé peut faire encore aujourd'hui l'objet d'une forte discrimination, comme en témoigne la polémique opposant en ce moment à Rennes une enseignante du privé à l'association des délégués départementaux de l'éducation nationale d'Ille-et-Vilaine (DDEN 35). [2]

Malgré des moyens moins importants, l'enseignement privé obtient de très bons résultats : c'est ce que montre l'enquête internationale PIRLS de 2006 pour les élèves de CM1, ou encore les indicateurs de résultats des lycées français : en 2010, sur les 100 lycées français les mieux notés en termes de « valeur ajoutée », 62 étaient des établissements privés sous contrat. La semaine dernière, la publication des indicateurs 2011 va dans le même sens : 72% des lycées privés sous contrat font mieux que ce qu'on attend d'eux, contre seulement 28% des lycées publics.

Une solution : le forfait éducation pour chaque élève

En cette période de crise de l'enseignement en France, les parents choisissent de plus en plus le privé. Non par idéologie (les origines des élèves sont tout aussi diverses que dans le public), mais simplement parce qu'ils veulent pouvoir choisir l'établissement le plus adapté aux besoins de leur enfant. Les établissements privés ont un peu plus de liberté pour proposer des enseignements plus souples, mieux à même de s'adapter aux besoins réels des élèves.

On voit bien que les familles qui habitent en Seine-Saint-Denis ou dans la Creuse auront moins de choix que d'autres pour l'établissement de leurs enfants : peu importent les efforts fournis par les établissements de leur académie. Plutôt que d'attendre tout de l'État et des collectivités, il est sans doute plus efficace et plus simple de confier aux parents le soin de rééquilibrer le financement des établissements scolaires. Comme le dit Maryline Baumard dans un article du Monde, la question de fond est celle « du pilotage politique du système éducatif ».

A court terme, le ministère pourrait inciter, par des primes ou d'autres avantages, les enseignants expérimentés et les plus qualifiés à aller enseigner dans les établissements difficiles, dans le but de rééquilibrer la qualité de l'enseignement et les coûts qui s'ensuivent.

Pour aller plus loin dans l'amélioration de l'égalité des chances, nous proposons de réformer le système de financement de l'éducation par la mise en place d'un forfait par élève. Les parents peuvent ainsi scolariser leur enfant dans l'établissement de leur choix. Nous nous inspirons en cela des pays qui font aujourd'hui référence en matière de réussite scolaire : en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, d'autres systèmes de gestion de l'école ont permis le retour à l'égalité des chances. Ces pays ont choisi de faire confiance à la libre initiative des parents, et cela a permis aux familles modestes d'accéder à de meilleurs établissements.

Nous proposons de fixer un prix par niveau pour la scolarité de chaque élève dans l'ensemble de la France. Ce forfait par élève serait distribué entre l'État et les collectivités concernées ; chaque acteur devrait respecter une fourchette de dépenses. Ce forfait de financement éducatif (national + local) se situerait autour de 5.000 euros par élève du premier degré public et autour de 9.000 euros dans le second degré public.

Cette réforme pourrait inciter au niveau local au regroupement d'établissements : si les collectivités doivent respecter un forfait (ou une fourchette) fixe par élève, elles pourront choisir d'économiser en regroupant des établissements, afin d'attirer par de meilleurs équipements par ex. (ordinateurs, gymnase, cantine…)

Si l'on voulait rétablir l'égalité stricte des dépenses par élève entre les académies, une solution pourrait être de permettre aux chefs d'établissements de moduler le nombre d'heures de cours par enseignant (agrégés mieux payés mais pour plus d'heures de cours), le nombre d'heures de cours par élève, le nombre d'élèves par classe ou le salaire des enseignants.

Une piste plus radicale encore serait de faire un forfait passant entièrement par l'État puis confié au chef d'établissement, donc en retirant aux collectivités leur rôle de financement. Le chef d'établissement pourrait alors moduler aussi ses dépenses pour les équipements, le fonctionnement, l'investissement, et sans toucher dans ce cas à la grille de salaires des enseignants.

**Conclusion

Aujourd'hui, seule une minorité a la capacité de choisir le meilleur établissement scolaire. En permettant aux parents de choisir l'établissement de leurs enfants, les disparités injustifiées entre les académies, entre les collectivités, entre privé et public ne pourraient perdurer dans l'ignorance des familles comme aujourd'hui. En expérimentant le forfait éducation, donnons-nous les moyens de commencer une vraie réforme scolaire, fondée sur la responsabilité des parents, l'autonomie scolaire et la liberté de choix.

[1] Exemple : en 2009, la région Limousin a accordé 4.374 euros par élève dans le public contre 585 euros dan le privé

[2] Cette association a ouvert un musée, le Conservatoire de l'école publique, faisant redécouvrir aux visiteurs une classe de l'époque de Jules Ferry avec ses pupitres et ses encriers. Voulant faire visiter ce musée à sa classe, l'institutrice s'est heurtée à un refus catégorique : « Nous ne voulons pas que des élèves de l'enseignement catholique puissent accéder à notre conservatoire… Nous défendons l'école publique et il n'est pas question d'accueillir des élèves du privé. » !