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Taxation des résidences secondaires, le retour d'un serpent de mer

En brandissant le spectre de la taxation des résidences secondaires, le gouvernement ressort des placards une mesure initialement destinée aux non-résidents en 2011, puis orientée vers le logement social en 2012 qui irait finalement aux communes en 2015 dans les zones dites « tendues ». Au-delà de l'aspect purement cosmétique de la mesure par son rendement (150 millions d'euros), l'aspect le plus critiquable est ailleurs : si l'on voulait faire une taxe « comportementale », il fallait accepter par avance son attrition, ce qui ne milite pas pour un fléchage en direction des communes ; si l'on voulait rendre cette taxe efficace, il aurait fallu qu'elle « mobilise » véritablement le foncier, en s'orientant sur les logements vacants et non sur les résidences secondaires. Si l'on voulait au contraire en faire une mesure de rendement, il aurait fallu la calibrer sur une assiette et avec un taux qui permette une rentrée fiscale significative et pérenne, ce qui disqualifiait alors paradoxalement les zones dites « tendues », généralement situées dans de grandes agglomérations au potentiel fiscal important, mais à la fiscalité légère comparativement.

En réalité, l'annonce de cette taxe dans le PLFR (2) de 2014 est une mauvaise nouvelle pour plusieurs raisons :
- Il s'agit d'une mesure sans cesse déprogrammée et reportée qui, modifiée à la marge, resurgit telle une mesure en apesanteur, glissée dans un « dossier ministre ».
- Elle fait partie de la kyrielle de dispositifs « hors sol » qui attendent dans les couloirs : de la taxe sur les domaines forestiers privés (pour forcer les propriétaires à vendre leur bois), en passant par la mise en place de loyers fictifs pour les propriétaires etc…
- La mesure jusque-là repoussée, car on voit mal l'efficacité de l'effet produit au regard de sa motivation (voir supra et infra), a pourtant dès 2012 déjà été remplacée par une autre, ce qui devrait précisément la rendre inopportune.
- Enfin, nous voyons in vivo comment marche la stratification fiscale à la française et l'effet « petites taxes ». Dans la perspective d'une simplification et de lisibilité (pour ne rien dire de l'attractivité) de notre législation fiscale, il serait bienvenu que l'on fasse la chasse aux dispositifs inférieurs à 500 millions d'euros. Mais comme toujours la complexité se structure dans l'urgence, alors qu'il faut trouver de quoi amortir les effets pour les collectivités territoriales de leur contribution solidaire à la baisse des dépenses publiques.

Petit retour historique sur les tentatives d'imposition des résidences secondaires :

La taxation des résidences secondaires est une antienne qui ne date pas d'hier.

Acte 1 : Déjà en 2011, une telle idée avait été proposée sous la forme de l'article 17 du premier projet de loi de finances rectificative pour 2011 [1], sans avoir gain de cause dans le cadre de la discussion parlementaire au Sénat. À cette époque, le gouvernement de Nicolas Sarkozy entendait taxer les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, que ceux-ci soient des étrangers ou des Français non-résidents. Il était alors envisagé une assiette représentée par la valeur locative cadastrale frappée d'un taux de 20%. Malgré les critères d'exonération retenus (afin de ne pas porter atteinte à la mobilité des personnes physiques), 363.000 résidences secondaires auraient été frappées, pour un « gain » théorique de 363 millions d'euros.

Acte 2 : Rebelote, mais cette fois, alors que la majorité a changé dans le cadre de la loi de finances rectificative (3) pour 2012 [2]. Cette fois-ci un amendement gouvernemental déposé après l'article 24 en discussion, n°409 [3] (puis retiré après examen en commission), précise que le gouvernement voulant écarter une taxation prévue par le précédent gouvernement sur les « dodus dormants » (prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux), ces organismes HLM à la trésorerie excédentaire qui ne remplissaient pas leurs objectifs en termes de construction de logements sociaux, a décidé de ressortir le principe de la taxe sur les résidences secondaires, sous la forme d'une taxe sur les logements sous-occupés.

Son assiette, là encore, constituée par la valeur locative cadastrale aurait été frappée d'un taux de 5%. Le produit de la taxe allant abonder le fonds de financement du logement social prévu à l'article L.452-1-1 du code de la construction et de l'habitat. La disposition sera finalement remplacée par un sous-amendement du député Christian Eckert, visant l'assiette de la taxe sur les plus-values immobilières élevées (sur les résidences secondaires), et introduisant une surtaxe avec une majoration de taux, dès 50.000 euros de plus-value, selon un barème progressif allant jusqu'à 6%.

Acte 3 : On pouvait alors croire l'affaire close… pourtant elle vient de rebondir suivant les dernières annonces, avec l'introduction d'une surtaxe d'habitation sur les résidences secondaires en zones tendues dans le cadre du PLFR (2) 2014. À la clé cette fois, une majoration de 20% de la taxe d'habitation payée sur le bien, ce qui correspond grosso modo à la pression fiscale visée par la taxe de 5% de décembre 2012. Mais dans l'entre-deux, la première avait déjà été compensée.

La destination cette fois change, le produit (plus restreint car concentré sur les zones tendues et hors exonération pour les logements secondaires à caractère professionnel et les personnes modestes vivant en maisons de retraites ou en établissements de soins de longue durée) ne serait que de 150 millions d'euros (donc très faible effet de levier), et orienté à destination des collectivités locales qui en disposeraient comme d'une ressource propre additionnelle à leur convenance. Ce qui viole manifestement deux principes :

  • Le premier, qui a trait à la non augmentation de la fiscalité dans le cadre du PLF 2015. Cet engagement d'affichage semble « violé », et la productivité de la taxe sera vraisemblablement plus faible puisque certaines résidences secondaires en zones tendues deviendront principales. Il s'agit surtout d'une atteinte directe au principe précédemment prôné par le gouvernement, de stabilité fiscale.
  • Le second, avec le développement progressif d'un panier de recettes additionnelles pour les collectivités alors même que le principe de la répercussion de 3,67 milliards d'économies par an, pendant 3 ans, suppose bel et bien l'existence d'une stabilité fiscale afin de dégager les économies envisagées et de freiner l'augmentation de la dépense locale. Il ne s'agit donc certainement pas, au contraire, de la financer… et pourtant visiblement le gouvernement semble faire tout le contraire.
Comment le retour à un prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux a été judicieusement bloqué par ces derniers

Et pourquoi pas évoquer le retour d'un prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux ? Cette perspective a été écartée suite à la mise en place progressive d'une solution plus douce pour les bailleurs consistant à « mutualiser » leurs fonds propres immobilisés. Le dispositif actuel est prévu en trois tranches :

  • Première mutualisation des ressources des bailleurs sociaux, ciblées sur la rénovation des logements (250 millions d'euros/an entre 2015 et 2018) initiée en 2014.
  • Seconde mutualisation avec fléchage vers la construction de logements dans les zones les plus déshéritées, 280 millions d'euros/an à compter de 2015.
  • Troisième mutualisation dans le cadre d'un nouvel accord triennal 2015-2018, afin de construire 15.000 logements/an additionnels pour les plus démunis, pour un coût de 100 millions d'euros.

Les organismes représentatifs, dont l'USH (Union sociale de l'habitat), ont donc réussi à bon compte à s'exonérer d'une éventuelle taxation supplémentaire, qui aurait pu prendre le relais de la taxation sur les plus-values laquelle aurait pu être supprimée et non redirigée vers les collectivités territoriales afin précisément de tenir l'objectif de baisse de dépenses. Tout au contraire, le Gouvernement a sans doute dû céder, à la recherche de ressources supplémentaires, aux fiscalistes de Bercy qui ont ressorti des cartons la fameuse taxe sans prendre garde (volontairement ?) à sa compensation intervenue à compter de 2013. Nous avons là encore in vivo un magnifique exemple de stratification fiscale.

Les résidences secondaires vaches à lait de la fiscalité locale

Si la taxation spécifique envisagée voit le jour, elle sera assise sur un substrat particulièrement imposé. En effet, les résidences secondaires ne bénéficient pas sauf quelques rares exceptions d'exonérations ou d'abattements spécifiques contrairement à la résidence principale. Ainsi, les détenteurs de résidences secondaires ne peuvent jouir des exonérations et plafonnement prévus en faveur des personnes modestes, ainsi que des abattements applicables sur la valeur locative pour charges de famille.

Par ailleurs, certains prélèvements annexes au profit de l'Etat collecteur des dites taxes locales, sont majorés : 8% de frais de gestion au lieu des 4,4% perçus pour résidence principale. Tandis que pour le calcul de la taxe d'habitation, le prélèvement effectué sur les logements à "valeur locative élevée" (dépassant 4.573€) est plafonné à 0,2% pour la résidence principale, mais peut monter à 1,7% au-delà de 7.622 € pour la résidence secondaire.

La seule exonération restante l'exonération partielle ou totale pour une durée maximale de deux ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les contribuables faisant construire leur résidence secondaire ou transformant un bâtiment rural en habitation.

La "justice fiscale" risque de s'en trouver amoindrie

Il n'aura échappé à personne que le projet de surtaxe sera orienté vers les bâtiments (voir supra) qui paient déjà le plus de taxes indépendamment de la situation personnelle des propriétaires. On aboutira ainsi au paradoxe que plus aucun résident en zone jugée tendue, ne sera imposé au barème normal. Soit "sous-imposé" à raison d'une habitation principale, soit "sur-imposé" à raison de la surtaxe sur les résidences secondaires. Cela risquera sans doute de poser un problème de constitutionnalité quant au respect du principe de l'égalité devant l'impôt.

Pis, le principe de proportionnalité en fonction des moyens lui aussi risquera de ne pas sortir indemne de l'opération. C'est pourquoi par avance le gouvernement semble réserver une exception pour les ménages modestes.

Et les effets comportementaux dans tout cela ?

Et les effets comportementaux dans tout cela ? Et les effets attendus de « détente » sur les marchés immobiliers en zones « tendues » ? Ils seront sans doute agités pour servir de prétexte à la mise en place de la nouvelle disposition législative, mais en réalité n'auront sans doute que très peu d'effets. Par ailleurs, l'élasticité du prélèvement sera à étudier de près. Les « comportementalistes » relèveront que ce type de taxe devrait servir à « mettre en tension » le marché et que le montant de la taxe devrait baisser au cours du temps. Ils seront sans doute détrompés quant à l'effet, mais pas quant au montant qui sera certainement plus faible qu'escompté. À moins qu'une petite rétroactivité judicieusement placée permette de rattraper la fuite devant l'impôt pour l'année 2015… mais au-delà rien ne serait bien évidemment garanti… car les propriétaires modifieront leurs comportements et se le tiendront pour dit.

Un "cadeau" financier aux collectivités locales ?

Nous pouvons cependant faire confiance aux collectivités territoriales afin de rendre cette surtaxe d'habitation pérenne, en dépit de son rendement très modeste. Le risque ? Que les collectivités deviennent de plus en plus dépendantes de ces ressources adjuvantes et cycliques à l'instar des fameux DMTO, et que les efforts attendus soient en définitive fléchés vers les mauvais bénéficiaires. En effet, les « zones tendues » à détendre sont celles des grandes villes françaises et même métropolitaines (Paris, Lyon, Marseille, Côte d'Azur, Côte Atlantique). Or précisément, ce sont ces aires qui disposent du meilleur potentiel fiscal et qui donc devraient naturellement disposer des fonds nécessaires pour animer leur bâti. Par ailleurs, les rendements de la taxe seront également très faibles parce que les grandes, voire très grandes collectivités, disposent de bases fiscales telles que leur pression est relativement modeste en comparaison des villes moyennes, et que leurs taux sont bas et en conséquence les prélèvements individuellement contenus. Une majoration de taux n'aboutira donc qu'à un faible rendement par construction. Rendement dont elles n'auront pas besoin. On imagine avec délectation le législateur s'emparer alors de la taxe afin d'en « mutualiser » le produit, conduisant à ne la cibler que dans les zones tendues sans potentiel fiscal, ce qui devrait correspondre essentiellement à la grande couronne des agglomérations PLM (Paris/Lyon/Marseille) mais pas plus.

Non décidemment, en matière de complexification de notre législation fiscale et s'agissant de notre attractivité, il y aurait tout lieu de ne pas voter une telle disposition. Quant à notre discipline budgétaire qui fourmille de rustines à force de compenser les coupes budgétaires par ailleurs pratiquées… elle ne pourra pas ressortir grandie ni clarifiée de l'affaire.

[1] Voir PLFR (1) 2011 en date du 11 mai 2011

[2] En particulier la première séance du mercredi 5 décembre 2012

[3] http://www.assemblee-nationale.fr/1…