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Supprimer l'ISF, une « provocation » salutaire

Emmanuel Macron n'a pas apprécié la sortie de Pierre Gattaz sur l'ISF, qui selon ce dernier doit être purement et simplement supprimé. Il l'a fait vertement savoir en accusant le patron du Medef de « provocation ». Ce qui pose le problème de savoir si le plus important représentant des entreprises est censé se comporter comme un accommodant négociateur ou comme un responsable chargé de dire les choses telles qu'elles sont. Pour nous, la réponse ne fait pas de doute, d'autant plus que l'ISF est devenu dans l'époque actuelle un impôt encore plus insupportable et nocif que lors de son introduction.

Ce qui s'est dit

Pierre Gattaz s'exprimait au cours de la conférence des entrepreneurs consacrée aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), dont le faible nombre constitue une exception française.

« Il y a un moment, il faut dire "l'ISF c'est dramatique pour le pays, ça détruit de l'emploi, ça détruit de la croissance". Il faut le supprimer, point »…« En 2014 je n'ai plus aucun concurrent patrimonial en France et j'ai toujours 40 concurrents patrimoniaux allemands qui vont très bien, qui se développent fantastiquement dans le domaine des connecteurs », a-t-il déclaré en allusion à son entreprise Radiall, qui avait selon lui une vingtaine de concurrents français et 40 allemands il y a une trentaine d'années.

Emmanuel Macron a réagi ainsi :« Lorsqu'on est responsable syndical ou responsable politique, on est avant tout responsable, (…) on ne peut pas dire à n'importe quelle seconde de la journée tout ce qu'on pense. En l'espèce, pour ce qui relève de Pierre Gattaz, ce n'est pas la première fois qu'il a cette lubie », a-t-il déclaré…« C'est de la provocation ». Et de reprocher au responsable syndical de ne pas négocier activement dans le cadre du pacte de compétitivité. »

À quoi Pierre Gattaz a répliqué à son tour en rappelant que son entreprise est la dernière en France dans le secteur des connecteurs électroniques, après que ses concurrents français, entreprises familiales, se sont vendues à des étrangers à cause de l'ISF. Elles étaient en effet contraintes de verser des dividendes, qui auraient été mieux utilisés en investissements, pour permettre aux actionnaires ne pouvant bénéficier de l'exemption réservée à l'outil de travail, de payer leur ISF. Bien que soit intervenue la loi Dutreil en 2003, les pactes entre actionnaires familiaux que cette loi prévoit afin de bénéficier de l'exemption, sont très compliqués à mettre en œuvre et la réforme est insuffisamment efficace.

L'intervention de Pierre Gattaz est-elle justifiée ?

Il faut quand même replacer l'intervention dans son cadre. Pierre Gattaz ne formulait pas de revendication dans le cadre d'une négociation, comme semble le dire le ministre qui détourne le sujet, mais s'exprimait au cours d'une conférence d'entrepreneurs. On se serait plutôt étonné que l'ISF n'ait pas été mis en cause pour expliquer les raisons de l'atonie des ETI en France !

En vérité, on ne trouve pas de responsable politique ou d'économiste pour nier que l'ISF soit une imposition stupide et contreproductive, qui coûte beaucoup plus cher à l'économie et à l'État que ce qu'elle rapporte, et Bercy sait parfaitement à quoi s'en tenir sur son effet délétère. Mais voilà, c'est une imposition idéologique, comme les fameux 75% du Président. Parler de provocation dans ces conditions en dit long sur l'état d'esprit du gouvernement [1], qui veut absolument maintenir, contre vents et marées, que les pactes de compétitivité et autres sont l'alpha et l'oméga des réformes favorables aux entreprises. Le patron du Medef n'est pas un personnage politique, mais un responsable dont le rôle est bien de dire ce qu'il en est pour les entreprises qu'il défend, et qu'on ne saurait qualifier avec mépris de « lubie ». Pierre Gattaz a eu raison de rappeler les méfaits de l'ISF, et de toute évidence son message ne s'adresse pas qu'au gouvernement actuel…

L'ISF est particulièrement insupportable dans le contexte actuel

L'ISF est le successeur en 1989 de l'IGF qui avait vu le jour en 1982. À ces époques, l'économie était en pleine croissance (fin des 30 glorieuses), et même si l'inflation était très élevée jusqu'en 1985, les taux d'intérêt réel (inflation déduite), qui permettent de se faire une idée du rendement des capitaux nécessaires au paiement de l'ISF, restaient très largement supérieurs à l'inflation. C'est ainsi que les taux d'intérêt à 10 ans tournaient autour de 6% jusqu'en 1990, entre 4 et 5% la décennie suivante, de 3% en moyenne la décennie 2000/2010. En 2010, 2011 et 2012, ils ont été respectivement de 1,9%, 1,1% et 0,2%. Or le barème de l'ISF est le même en 2013 et 2014 que celui d'origine, à savoir 1,5% au taux marginal.

En second lieu, l'imposition des revenus sur le capital investi s'est considérablement alourdie. C'est ainsi que les dividendes ne supportaient pas de prélèvements sociaux à l'origine alors qu'ils se montent à 15,5% à l'heure actuelle, que ces prélèvements ne sont déductibles de l'imposition sur le revenu qu'à hauteur de 5,1% (impôt sur impôt pour le reste !), que l'abattement qui a remplacé l'avoir fiscal de 50% n'est que de 40%, et que le prélèvement forfaitaire (de 16% à l'origine) n'est plus disponible, la soumission au barème de l'IR, au taux marginal de 45% ( sans tenir compte de la majoration applicable aux hauts revenus) étant obligatoire.

En conséquence, sur un dividende distribué de 1.000, le gain net d'impôt pour un IR au taux marginal est égal à : 1.000 – 155 – (549 x 45%) = 598 (soit une imposition de 40,2%). Ce qui signifie que pour acquitter un ISF au taux de 1,5% (au-delà des 40,2% ci-dessus), soit 15, il faut chaque année obtenir un dividende de 21, soit un rendement de 2,1% sur la valeur boursière du capital taxable. En pratique, on est proche des rendements boursiers [2], ce qui signifie que la marge permettant de rémunérer le risque est très faible, voire nulle ou négative en période de chute des rémunérations. À noter que, avant abattement profitant à l'actionnaire, une entreprise doit subir l'impôt sur les sociétés.

À l'heure actuelle, c'est l'immobilier qui constitue la catégorie de capital la plus importante supportant l'ISF. Or on observe une érosion constante des rendements, et l'on parle pour 2013 de taux autour de 3% avant impôts personnels, et sans tenir compte des risques très importants en France de périodes sans rendements dues à l'absence de loyers. Or les impositions sur les revenus immobiliers sont plus importantes au niveau du contribuable que dans le cas des dividendes puisque l'abattement de 40% ne s'applique pas. Dès lors, le rendement nécessaire, toujours pour obtenir une rentabilité nulle, est cette fois de 2,4% (sur la base de 60,5% d'imposition) et non pas de 2,1%, en réalité nettement plus (environ 5%) si l'on tient compte des frais de syndic et de copropriété et de la majoration pour hauts revenus.

Dans ces conditions, on mesure l'importance négative pour l'investissement que peut avoir le prélèvement de l'ISF :en dessous d'un rendements avant impôts personnels compris entre 2,1% et 5% selon les cas la rentabilité du capital est négative. On rapprochera cette observation du fait que précisément ce sont les investissements dans les secteurs des entreprises et du logement qui sont actuellement en crise en France. Plus que jamais, à l'époque actuelle, l'ISF est une imposition mortifère pour le capital investi.

[1] On notera que le gouvernement se garde bien de faire le même commentaire lorsque, par exemple, des responsables syndicaux viennent revendiquer que le smic soit augmenté au niveau du salaire médian, ce qui pour le coup représente une véritable provocation.

[2] En 2001, le tiers seulement de la cote avait un rendement supérieur à 3%, la moitié en 2011.