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Rififi sur la TEOM

Le gouvernement à l'article 7 du PLF 2019 prévoit une réforme assez substantielle de la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) afin d’en compléter le régime de façon à « sécuriser » juridiquement les décisions des collectivités territoriales (communes, intercommunalités) en la matière. La pratique montre en effet que de nombreux exécutifs locaux ont eu parfois la main lourde sur le taux de la taxe, de façon à financer des dépenses non directement liées au service d’enlèvement des ordures ménagères. Résultat, un début de contentieux de masse. Le récent rapport GRAU/LOUWAGIE relatif à la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’Etat (p.127), fait état depuis 2014 de 5.000 contestations relatives à la TEOM, et 220 millions d’euros au 30 avril 2018, les montants budgétés par l’Etat pour y faire face - en effet, l’Etat « assure » aux collectivités le produit de la recette de TEOM, et lorsque des décisions illégales sont prises, paie ainsi la note au titre des remboursements et dégrèvements - . Mais il n’est pas sûr pour autant que la réponse gouvernementale soit à la hauteur des enjeux juridiques associés.

Les insécurités juridiques de la TEOM 

La TEOM est une taxe au rendement important, près de 6,79 milliards pour l’année 2017, dont 12,8 millions d’euros seulement pour sa version « incitative ». Elle concerne par ailleurs près de 1.375 collectivités, les intercommunalités prenant en charge cette compétence dans la plupart des cas.

Contrairement à la REOM (redevance d’enlèvement des ordures ménagères) qui est calculée en fonction du service rendu, c’est-à-dire que « son produit équilibre exactement les charges de service public rendues » et que son montant n’est pas dû par les personnes qui n’utilisent pas le service (à charge pour eux de le prouver (ndlr)), la TEOM se comporte au contraire comme une simple taxe additionnelle à la TFPB (elle n’a pas de nature incitative), et à ce titre représente un taux appliqué aux valeurs locatives de chaque local d’habitation et faiT l’objet d’un plafonnement. Toutefois, son produit n’est pas sans limite. Ainsi la TEOM n’entre pas dans le champ des prélèvements obligatoires (au sens d’Eurostat et de l’OCDE) dans la mesure où elle est considérée par ces institutions en comptabilité nationale « comme le paiement d’un service.[1] » Et c’est le juge qui fait respecter scrupuleusement cette adéquation entre le produit de la taxe et le financement du service qu’elle est sensée couvrir.

Les contentieux, nourris (5.096 réclamations, pour un montant de 232 millions d’euros[2]) sont nés du fait que depuis 2014 le Conseil d’Etat a précisé dans son arrêt du 31 mars 2014 Lille métropole contre Auchan (n°368111), que « le produit de cette taxe, et par voie de conséquence son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de ces dépenses. »

La limitation a ensuite été précisée par le juge administratif :

  • Matériellement : Celui-ci précisant dans une décision récente (CE, 19 mars 2018, SAS Cora, (n°402946)) les limitations des dépenses à financer par la taxe : celles-ci comprennent « les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. » sans prendre en compte « non seulement les dotations aux amortissements des immobilisations affectées au service, mais aussi, des dépenses réelles d’investissement. »
  • Quantitativement : le paragraphe 27 du BOFiP du 6 juin 2015 prévoit que la disproportion admise est un maximum de 15% de sur-recette, mais le Conseil d’Etat a rejeté un pourvoi pour une disproportion de 9,76%. « Dès lors, il apparaît prudent et raisonnable de circonscrire son excédent autour des 7,5%...[3] »

La solution proposée par l’exécutif et corrigée en 1ère lecture à l’A.N.

Conscient de ces difficultés juridiques qu’in fine il finance, l’Etat décide dans le cadre du PLF 2019 d’arrêter les frais. Les dispositions adoptées sont les suivantes :

  • Apporter une réponse législative claire à la définition des dépenses à prendre en compte par le financement de la taxe. Il choisit donc, non pas de « légaliser » la jurisprudence du CE, mais d’étendre au bénéfice des communes le champ des dépenses : en y incluant
    • Les dépenses directement liées à la définition et aux évaluations du programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés ;
    • Les dépenses réelles de fonctionnement et sur option soit les dépenses réelles d’investissement (exclues par la jurisprudence), soit les dotations aux amortissements correspondantes ;
  • Par ailleurs, il reporte sur les collectivités la charge des dégrèvements pris en charge actuellement par l’Etat, lorsqu’une décision de justice confirme l’illégalité de la délibération portant sur le taux ;
  • Enfin, l’article 7 du PLF 2019 vise à inciter le passage de la TEOM (non incitative) vers la TEOM incitative (TEOMi) dans le cadre de la FREC (feuille de route pour une économie circulaire) du 23 avril 2018[4], en :
    • Autorisant la première année de l’institution d’une part incitative que le produit de la TEOM puisse excéder de 10% le produit de la taxe de l’année précédente (alors qu’aujourd’hui l’année de transition, ce produit doit être identique) ;
    • En creux afin de ne pas trop alourdir la fiscalité des particuliers, de diminuer les frais d’assiette et de recouvrement de 4,4% à 1% et les frais de dégrèvements et d’admission en non-valeurs de 3,6% à 2%, soit une baisse du surcoût de collecte facturée aux contribuables par la DGFiP de 8% à 3% (gain de 5 pts), pendant 3 ans.

En première discussion dans l’hémicycle, la volonté d’étendre le champ de couverture de la TEOM à l’ensemble des dépenses directes et indirectes assurées par les services de traitement des ordures ménagères et assimilées (déchets non ménagers, non professionnels) est rejeté tout comme la volonté de revenir à un taux limite de facturation de 115% du coût du service. Le taux gouvernemental de 10% est adopté. Enfin les députés obtiennent une augmentation de la période rabais sur les frais de collectes DGFiP qui passent de 3 à 5 ans en cas de bascule de la TEOM à la TEOMi.

Le dessous des cartes

La réforme de « sécurisation » était attendue par les maires mais était-elle justifiée du point de vue des contribuables ? Rien n’est moins sûr. En effet, les chiffres montraient :

Certes, un contentieux de masse existe à cause de la fixation de taux de TEOM très au-dessus des coûts directs engendrés par le service par certains exécutifs locaux. Les collectivités voulant indirectement financer par la TEOM les coûts complets (dont le financement de finalités purement administratives ou de cohésion sociale). Ce contentieux pesait sur les finances de l’Etat, mais pour un montant somme toute modeste par rapport aux frais de collecte encaissés (8%) pour une taxe adossée à la TFPB pour laquelle les coûts de collecte étaient fixés à 3%. Pour 2017 la DGFiP encaissait par exemple des frais de gestion de 544 millions d’euros dont 299 millions d’euros au titre des frais d’assiette et 245 millions d’euros au titre des dégrèvements et admissions en non-valeurs. Or comme le relève le député Charles de COURSON « l’Etat perçoit, de mémoire 8% de la TEOM au titre des frais de gestion, alors que son coût de recouvrement est pratiquement nul, dans la mesure où la TEOM est recouvrée en même temps que la taxe foncière sur la propriétés bâtie. L’Etat fait des bénéfices importants sur les frais qu’il perçoit. »

Par ailleurs, cette « rente » était doublement bénéfique pour l’Etat et les collectivités territoriales. Pour l’Etat, à cause de la constitution d’une « rente » sur le bénéfice réalisé par sa gestion directe pour compte de tiers (les collectivités) de la taxe. Pour les collectivités elles-mêmes fortement incitées à choisir cette méthode de financement car leur évitant de se retrouver seules face aux contribuables, ce qui est le cas lorsque l’on retient le choix de la REOM. Par ailleurs jusqu’en 2014, il y avait la perspective de financer un service de façon « large » en y incluant des coûts indirects impossibles à financer avec la REOM, la logique de la redevance s’effectuant à prix coûtant.

La REOM a par ailleurs l’avantage d’être « naturellement » incitative. Le législateur a néanmoins créé une REOMi de façon à accroître encore le caractère incitatif de sa tarification. Tandis que la TEOMi jusqu’au PLF 2019 ne rencontrait pas le succès escompté : les statistiques font état de 51 collectivités seulement se dotant de TEOMi, dont seulement 23 communes via un syndicat et aucune sans syndicat. Pire, on assistait à une bascule en sens inverse : « 67 collectivités sont ainsi passées de la TEOM à la REOM incitative, et plusieurs ont choisi d’instaurer une REOM simple pendant un an en transition vers la REOM incitative (REOMi). »

Le mouvement allait donc en sens inverse, offrant pour les collectivités un témoignage patent d’une « non neutralité » du mode de gestion. Le dispositif REOMi, impliquant de quitter le champ de la TEOM[5]. Par ailleurs, le bilan de la TEOMi par rapport à la REOMi ne fait pas apparaître, comme l’avance le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale, « une plus grande efficacité de la TEOM incitative par rapport à la REOM » puisque les chiffres de l’ADEME, en dépit d’un échantillon très discutable statistiquement (182 collectivités en REOMi contre 10 en TEOMi), montrent au contraire  (nous citons l’étude) des résultats exactement inverses : les collectivités ayant mis en place la REOMi voient une baisse plus importante de leur  flux OMR (ordures ménagères résiduelles) ; Une meilleure prise en compte des flux en déchèterie (+14%) contre celles en TEOMi (+7%) et enfin, une baisse de la collecte des déchets ménagers assimilés (DMA) de -9% en REOMi contre -1% en TEOMi. Seul le flux verre voit une meilleure performance des collectivités en TEOMi (+10%) contre +7% en REOMi.

Conclusion 

En matière de TEOM, la ligne de crête pour les pouvoirs publics comme les exécutifs locaux est difficile à respecter. Les enjeux sont contradictoires :

  • La REOM est structurée comme intrinsèquement incitative et moins coûteuse pour les contribuables solvables ;
  • Les premiers chiffres REOMi/TEOMi montrent une plus grande efficacité de la première méthode sur la seconde.

Le gouvernement décide de « sauver » la TEOM, à notre avis pour de mauvaises raisons. Il s’agit de préserver les confortables marges financières de la DGFiP sur les coûts de gestion de la taxe, inexistants dans le cadre de la REOM. Par ailleurs au lieu de « légaliser » la jurisprudence il se permet d’aller dans le sens des élus locaux. Mais cette avancée pourrait être in fine contrariée par le juge communautaire. En effet, celui-ci a précisé pour la CSPE (contribution au service public de l’électricité) dans sa décision du 25 juillet 2018 les limites à ne pas franchir en matière de fiscalité affectée :

  • Reconnaissance d’une finalité spécifique permettant de qualifier d’imposition indirecte la contribution susvisée ;
  • Mais pas pour la partie de la taxe poursuivant des finalités de cohésion territoriale et sociale[6] (ce qui nous ramène à la TEOM lorsqu’il s’agit de ne pas répercuter les coûts directs engendrés sur les producteurs de déchets à raison de leur situation sociale ; et de la TEOMi potentiellement lorsqu’il s’agit d’une tarification au nombre de passages et non au poids) ; Où à raison des schémas de ramassages et des péréquations intercommunales sous-optimaux ;
  •  Ni pour des finalités purement administratives (financement des coûts inhérents aux fonctionnement administratifs), ce qui nous porterait en matière de TEOM vers le financement des coûts indirects, et notamment aux « dépenses directement liées à la définition et aux évaluations du programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés » prévus par l’article 7 du PLF 2019, qui ne s’apparentent pas au ramassage et au traitement des déchets proprement dits.

Il y a donc fort à parier que malgré la « rustine » législative prévue par Bercy pour parer au plus pressé, l’affaire pourrait rebondir sur le plan européen. En cas de sanction par le juge, les risques pour la France seraient alors doubles :

  • Faire face à un nouveau contentieux de masse fondé sur de nouveaux critères plus précis et dégagés par le juge européen et par subsidiarité par le juge national ;
  • Risquer de la part d’Eurostat une requalification de la taxe en prélèvement obligatoire. Le taux de P.O de la France pourrait alors augmenter d’environ 0,2 point.

Enfin, les contribuables auraient certainement à gagner d’une simple migration de la TEOM vers la REOMi, sans intervention particulière du législateur.

 

[1] Voir CESE, rapport LE CLEZIO : Prélèvements obligatoires : compréhension, efficacité économique et justice sociale, p.218 (ou p.II.156). http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000071.pdf

[2] Mais, au 29 juin 2018, le stock de contentieux en cours portait sur seulement 2.250 réclamations, pour un montant de 147 millions d’euros.

[3] Voir La Gazette des Communes, fiches pratiques financières, n°201 août-septembre 2018, TEOM : la grande confusion, p.2.

[4] Lire en particulier le point 22 : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Feuille-de-route-Economie-circulaire-50-mesures-pour-economie-100-circulaire.pdf

[5] ADEME, Bilan des collectivités en tarification incitative au 1er janvier 2016, https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/bilan_ti_2015_201801_synthese.pdf

[6] Pour la CSPE les finalités « sociales » exclues visaient « la péréquation tarifaire géographique et la réduction des prix (…) pour les ménages en situation de précarité » voir rapport GRAU/LOUWAGIE p.45 op.cit.