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Pour une révision en profondeur des politiques de redistribution

Les pouvoirs publics sont en permanence appelés en France à mobiliser tous les outils à leur disposition pour corriger des inégalités aux multiples facettes et amplifier la redistribution des revenus. Il faudrait ainsi rendre les prélèvements obligatoires encore plus progressifs, taxer plus lourdement le capital, réduire les prestations sociales accordées aux ménages les plus aisés, diminuer les inégalités salariales en relevant le SMIC, améliorer les conditions de logement des plus pauvres en encadrant les loyers, lutter contre la précarité énergétique en instaurant des tarifs sociaux de l'électricité, etc.

Il en résulte une accumulation de dépenses publiques, de dispositifs fiscaux et de réglementations dont on peut se demander quel est finalement l'impact sur les inégalités. J'ai essayé de répondre à cette question dans un article publié dans le dernier numéro de la revue Sociétal et il en ressort deux conclusions : personne ne peut mesurer l'ampleur réelle de la redistribution des revenus en France ; les données disponibles suggèrent cependant qu'elle est nettement plus importante que dans les autres pays.

La redistribution la plus claire, celle qui est la mieux mesurée et pour laquelle les comparaisons internationales sont solides, résulte de l'impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux, de la taxe d'habitation, des prestations familiales, des aides personnelles au logement et des minima sociaux. En France, elle est un peu plus forte que dans l'Union européenne, en moyenne, et la répartition des revenus qui en résulte y est aussi égalitaire. Cette redistribution tient pour les deux tiers aux prestations sociales et pour un tiers aux prélèvements obligatoires.

Une redistribution, moins bien mesurée mais probablement du même ordre de grandeur, est aussi réalisée à travers les services publics, notamment d'éducation et de santé. Leur quasi-gratuité procure en effet aux ménages un avantage qui, si on le rapporte à leur revenu, est d'autant plus important que ce revenu est faible. Cette redistribution est plus forte en France que dans presque tous les autres pays.

Celle qui résulte de la fiscalité indirecte est très difficile à mesurer et il n'est pas du tout sûr que l'effet de la TVA soit anti-redistributif, comme on le souligne habituellement, si on le mesure sur le cycle de vie. En outre, les taux réduits de TVA ne sont pas efficaces pour réduire les inégalités.

Les impôts sur les bénéfices des sociétés, la détention et la transmission du capital ne sont pas pris en compte dans les mesures habituelles de la redistribution évoquée ci-dessus. Or ils contribuent manifestement à réduire le revenu disponible des ménages les plus aisés et sont particulièrement élevés en France.

Les régimes de retraite comportent de nombreux éléments « non contributifs » qui visent à réduire les inégalités mais il est quasiment impossible d'établir un bilan global de la redistribution opérée par les régimes de retraite, notamment en rapprochant les cotisations versées des prestations reçues sur le cycle de vie. Les éléments disponibles suggèrent toutefois que cette redistribution est très importante, plus particulièrement en France.

Enfin, la redistribution opérée par les collectivités locales (hors prestations sociales nationales gérées par les départements) et par les entreprises publiques du secteur marchand (tarifs sociaux de l'électricité par exemple) est totalement opaque.

Il en est de même des multiples réglementations qui affectent la formation des revenus primaires (avant prélèvements et prestations) : réglementations du travail (SMIC par exemple), qui protègent sans doute certains salariés au détriment des autres, réglementations sectorielles (professions avec numerus clausus par exemple), qui favorisent les rentes, encadrement des relations entre propriétaires et locataires, qui risque en réalité de pénaliser les locataires, etc.

Ce foisonnement des interventions publiques a pour effet de complexifier à l'excès le système fiscal et social français et d'entraîner de très importants coûts de gestion. Une révision générale des politiques publiques de réduction des inégalités s'impose donc. Elle devrait viser un schéma simple reposant, par exemple, sur un revenu minimum décroissant avec le revenu d'activité (comme le RSA), des allocations familiales et un impôt sur le revenu progressif.

Quel que soit le schéma visé, la principale difficulté de toute réforme en profondeur est que toute modification du système actuel, à budget constant, se traduirait inévitablement par des pertes pour beaucoup de ménages et des gains pour beaucoup d'autres. Or pour atténuer les pertes, la tentation est toujours très forte de mettre en place des dispositifs dérogatoires qui rendent souvent le système encore plus complexe qu'il n'était auparavant. Au moins faudrait-il essayer de tendre progressivement vers un tel schéma en évitant surtout de s'en éloigner, ce qui n'est déjà pas si simple car les pouvoirs publics sont régulièrement appelés à remédier à de nouvelles formes de pauvreté (énergétique, culturelle…).

A partir du moment où il existe un revenu minimum décent, il faudrait admettre que les ménages, sauf incapacité manifeste, doivent être considérés comme responsables de la gestion de leurs ressources, c'est-à-dire des arbitrages inévitables à faire entre dépenses de logement, de transport, de loisirs… les exceptions (dépenses de santé notamment) étant strictement limitées.

Tant que l'État n'aura pas reconnu que nous sommes tous des citoyens responsables, il continuera à intervenir dans tous les sens sans jamais connaître l'impact réel de ses décisions.