Actualité

Paradis fiscaux, les trois propositions de la Fondation iFRAP

La question des paradis fiscaux revient sur le devant de la scène avec l'affaire dite des "Panama Papers". Elle ne constitue que l'aboutissement inattendu du rapport de force qui se structure aujourd'hui entre les initiatives américaines (FATCA), européennes (blacklist de la commission européenne et anti-avoidance rules package, ainsi que les dispositions de transparence mis en place à l'endroit des multinationale), et multilatérale (notamment au travers des recommandations OCDE via l'initiative BEPS). Pour autant, une définition incontestée de la notion de paradis fiscal (Tax Haven) devrait être nécessaire afin de clarifier le débat. Nous proposons une piste de réflexion ainsi que des mesures permettant de renforcer la lutte (objective) contre les activités fiscales frauduleuses, sans condamner pour autant l'optimisation fiscale si tant est qu'elle soit légale et loyale. Il y a deux définitions possibles des paradis fiscaux, correspondant plus ou moins à la distinction entre fraude et évasion fiscale.

Une première définition

 La première, et à notre avis la seule définition correcte, des paradis fiscaux est celle des pays qui refusent de coopérer pleinement avec les autorités fiscales d’un autre pays – et qui disposent des structures juridiques, financières et fiscales suffisantes pour faire écran aux recherches de ces autorités (en pratique des sociétés opaques qui peuvent n’être que des relais vers d’autres pays).

En théorie, ces pays sont en voie de disparition (cf. la Suisse), et le Panama devrait être un des derniers exemples, bien qu’il reste encore 8 pays du Pacifique et de l’Amérique centrale qui refusent toute coopération et figurent dans le classement français des paradis fiscaux. C’est sur ce point de l’amélioration de la coopération que les progrès sont les plus intéressants et les plus rentables pour le pays taxateur. Ainsi, malgré le scandale, il faut souligner que la situation s’améliore nettement à ce sujet même s’il y a plusieurs degrés dans la coopération selon les pays, comme par exemple :

  •  Les Bermudes et les dépendances britanniques de Jersey qui ont été inscrits sur la liste des paradis fiscaux reconnus par la France quelques mois en 2013. En 2014, Bercy informe qu’il retire les deux territoires de sa liste des paradis fiscaux après que leurs services fiscaux aient « répondu à toutes les demandes de renseignements » de l'administration française.  A noter que l’OCDE a jugé ces territoires « conformes pour l’essentiel ». Une conclusion de l’organisation mondiale vient également sur 16 autres pays dont l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni.
  •  Les Etats-Unis dont l’attitude est double : s’ils sont extrêmement exigeants vis-à-vis des autres pays pour ce qui de leurs propres ressortissants, ils sont peu coopératifs en sens inverse. En effet, les Etats-Unis ne collaborent pas de façon systématique avec l'OCDE pour donner les informations sur les habitants étrangers qui viennent ouvrir un compte dans une banque américaine et ce, alors que le pays exige les informations sur les citoyens américains qui possèdent des comptes à l'étranger selon le Foreign Account Tax Compliance Act. Shruti Shah, la vice-présidente de Transparency International explique aussi que « dans chaque état américain, vous pouvez créer une structure légale dissimulant le nom de son véritable bénéficiaire » notamment le Delaware ou le Nevada.

Listes des paradis fiscaux, de quoi on parle ?

La plus reconnue est la liste de l’OCDE. En 2000, 31 pays et territoires y étaient inscrits pour manque d’échanges d’informations avec l’organisation. Deux ans plus tard, seulement 7 pays y demeuraient (Andorre, le  Liechtenstein, Monaco, les  Îles Marshall, la République de Nauru et le Vanuatu). Progressivement, tous ces pays et territoires ont ouvert leurs données à l’OCDE et depuis octobre 2015, sa liste des paradis fiscaux de l’OCDE ne compte aucun pays.

Une liste des paradis fiscaux de la Commission européenne est reconnue depuis juin 2015. Elle est une fusion des listes des paradis fiscaux que tiennent les différents Etats membres de l’Union européenne dont la France. Mise à jour en décembre 2015, elles comptent 113 pays et territoires à travers le monde. D’ici 2019, la Commission européen s’est engagée à dresser une liste rationalisée, selon ses propres critères, qui devra servir de liste officielle de l’Union européenne.

La liste française tenue par Bercy. Depuis 2009, la France fait partie des rares pays à dresser sa propre liste des paradis fiscaux et à imposer des sanctions contre le pays incriminé (exclusion du régime des sociétés mères, surtaxe des flux financiers, etc). L’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Italie, le Danemark, la Suède ou encore l’Autriche ne tiennent pas de liste. A l’inverse, l’Espagne, le Portugal, la Pologne ou encore la Belgique tiennent des listes bien plus longues que la française qui ne compte que 7 pays depuis l’ajout du Panama en avril 2016 (contre 18 pays en 2009). A noter que la Polynésie française, une collectivité d'outre-mer de la France, figure sur la liste portugaise. La liste française prend en compte 3 critères pour inscrire un pays ou un territoire sur sa liste de paradis fiscaux :

  • Ce pays ne peut pas être membre de la Communauté européenne ;
  • Ce pays doit avoir été évalué par l'OCDE sur ses échanges d'informations entre services fiscaux ;
  • Ce pays n’a pas signé une convention d'échange d'informations fiscales avec la France.
 

Une seconde définition

La seconde définition du paradis fiscal procède d’une confusion trop répandue : ce serait celle de pays qui attirent les capitaux des autres pays par la compétitivité fiscale. En suivant cette logique, on arrive très vite à une définition idéologique où les contribuables n’ont le droit que de conserver les revenus que l’Etat veut bien leur laisser, en partant de l’hypothèse qu’il ne s’agit que de « cadeaux » à partir du droit pour l’Etat de tout prendre par principe. Une conception relativement répandue en France.

Mais les différences entre les systèmes de taxation ne sont pas déterminantes, sinon tous les pays du monde seraient des paradis pour la France en ce qui concerne la taxation du patrimoine, et inversement des pays comme la Belgique, qui taxent très lourdement les revenus du travail, considèreraient la France comme un paradis. Ce serait aussi le cas des Pays-Bas pour sa fiscalité des holdings.

En ce qui concerne les individus, on ne peut décemment pas considérer la Belgique comme un paradis fiscal parce qu’un quartier de Bruxelles concentre un très grand nombre de Français. Il s’agit vraisemblablement de contribuables qui tiennent à conserver leur capital et choisissent pour cela de se domicilier dans un pays limitrophe fiscalement plus attractif.  Pour les entreprises, il est évident que la fiscalité rentre pour beaucoup dans la localisation de leurs implantations, et parler de « paradis » est parfaitement abusif et vide le terme de son sens. La question est ici de converger le plus possible vers une fiscalité égale et semblable dans sa structure. Sur ce point, le travail qui reste à faire est très important, ne serait-ce qu’au niveau européen. Bref, ce n’est pas pour demain la veille… à la différence des améliorations de la coopération, plus réalistes et qui correspondent mieux à la réalité des paradis fiscaux (cf. première définition !).

On ajoutera que tous les pays développés taxent, sur la base de la résidence du contribuable, le bénéfice mondial (ou le patrimoine mondial en cas d’imposition sur le patrimoine comme la France) et ce, sous réserve des conventions évitant la double imposition (OCDE). Ce qui veut dire que chaque pays se réserve (dans certaines circonstances) de taxer l’activité d’une personne non résidente ou d’une entreprise filiale d’un groupe étranger, et que le pays de résidence renonce à taxer de son côté. Ce qui aboutira à une fiscalité moins lourde au total. C’est un système mondial, et vouloir le modifier ou l’interdire en dénonçant les conventions fiscales relève de la dangereuse utopie.

Les propositions de la Fondation iFRAP sur la question des paradis fiscaux :

  • Une transparence en matière de « tax ruling » au niveau européen: à l'heure actuelle, la transparence ne vaut qu'entre Etats partenaires. La logique voudrait que les montages pratiqués soient publiés en toute transparence à destination de la société civile. De la sorte les informations concernant les rescrits fiscaux (réponse de l’administration à des questions sur l’interprétation d’un texte fiscal) des multinationales seraient parfaitement connus et extensibles aux autres agents économiques, sauf à porter atteinte aux règles de la concurrence.  
  • Un statut, une rémunération et une protection sous la surveillance de la DGFIP ou du ministère de la Justice pour les (« whistleblowers » ou lanceurs d’alertes) qui alerteraient les services fiscaux d’une fraude d’un particulier, d’une administration ou d’une entreprise, à partir du moment où les faits découverts sont avérés (approche objective).[1]
  • La Fondation iFRAP propose en outre le recours légal aux aviseurs fiscaux rémunérés, avec un statut légal stabilisé sur le modèle des aviseurs douaniers. La rémunération serait fonction des sommes redressées et effectivement recouvrées. 

[1] en particulier rapport du Conseil d'Etat, avril 2016 p.43 et suiv, de « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger Étude adoptée le 25 février 2016 par l’assemblée générale plénière du Conseil d’Etat » sur le constat du décalage du public par rapport au privé en matière d’alerte éthique et de structures dédiées pour recevoir les signalements.