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L’imposition des loyers fictifs, l’aberration qui revient sur le tapis

On sent que quelques passionnés de l’imposition (ou sur-imposition) du capital commencent à croire à la très probable suppression de l'ISF car revoilà le monstre de notre Loch Ness national, l’imposition des loyers fictifs. Ni plus ni moins qu'une taxe que les contribuables propriétaires des logements qu’ils occupent, sont censés se verser à eux-mêmes. C’est une vieille lune en effet, qui resurgit périodiquement. Parce que les économistes ont chiffré à 120 milliards les loyers que les Français devraient effectivement payer au propriétaire de leur logement s’ils n’en étaient pas eux-mêmes propriétaires. Dans les derniers temps, on retrouve des organismes ou des économistes comme le Conseil d’analyse économique (CAE), Natixis, Thomas Piketty. Et tout dernièrement l'OFCE, pour reprendre le flambeau. Une idée qui repose sur un ensemble d’aberrations, dont les plus importantes sont une conception fausse de la justice fiscale, et d’autre part le principe selon lequel il faut toujours aligner la fiscalité des instruments sur celle pesant sur les plus lourdement taxés, avec pour résultat de fermer toutes les portes à l’investissement quel qu’il soit, au lieu d’alléger la fiscalité des instruments que l’on cherche à favoriser.

On peut rapidement faire justice de l’argument prétendument tiré de la « justice fiscale ». Parce qu’une personne qui possède un logement pour l’occuper s’octroie un avantage en nature sous forme d’une mise à disposition non taxée comme loyer, par opposition à une autre personne qui consacrerait son capital à des investissements dont les revenus sont taxés tandis qu’il paie un loyer non déductible de ses revenus, il y aurait dans le traitement fiscal une inégalité à laquelle il faudrait remédier.

On retrouve ici l’obsession de l’égalité poussée jusqu’à l’absurde[1]. Il ne s’agit pas en effet seulement de décréter que toutes les personnes se trouvant dans la même situation de fortune et la même composition de patrimoine doivent être imposées identiquement. Il s’agit aussi de dire en outre qu’ils doivent payer les mêmes impôts quelle que soit la façon dont ils utilisent leur fortune  et quelle que soit la composition de leur patrimoine. on passe dès lors d'une fiscalité « objective » s’appliquant à des situations, à une fiscalité « subjective » taxant les personnes quels que soient leurs choix. L’absurdité de la prétention est démontrée par exemple par la réglementation de l’ISF qui ne respecte nullement le principe prétendu de neutralité fiscale : un contribuable qui investit sa fortune dans des toiles de maître – ou des voitures dites de collection alors qu’il roule en bicyclette - est exonéré alors que celui qui acquiert un logement acquitte non seulement l’ISF mais aussi la taxe foncière dont le caractère d’impôt sur la fortune est avéré. Idem surtout pour celui dont l’investissement est constitué par son outil de travail. En matière d’impôts sur le revenu, la seule idée d’imposer des revenus fictifs, donc qui ne sont pas reçus par le contribuable, contraindrait ce dernier à détruire son capital pour acquitter l’impôt (c’est d’ailleurs ce qui se passe avec l’ISF par ailleurs). Et une telle imposition pourrait s’appliquer à une liste sans fin de « capitaux » que l’on utilise sans en tirer de revenus. Ainsi de la détention d’une voiture, d’un réfrigérateur, etc., sans même évoquer la valeur des capitaux intellectuels…

Mais l’argument principal, celui invoqué par le CAE, tient au rôle économique de la fiscalité quant à l’orientation des investissements des contribuables. Lorsque ces derniers désirent épargner, ils ont en gros trois choix possibles : le choix de la liquidité non risquée (assurance vie et les différents livrets bancaires), les valeurs mobilières (actions et obligations) et les valeurs immobilières. Le premier choix est depuis toujours favorisé en France pour des raisons tenant, soit à la volonté de protéger l’épargne des moins riches (livret A), soit à la nécessité que le secteur de la bancassurance investisse dans les obligations d’un Etat extrêmement endetté. Le deuxième choix est depuis peu de temps massacré par la fiscalité des revenus (prélèvements sociaux à 15,5%, abandon de la taxation forfaitaire, hausse de la dernière tranche de l’IR, application de l’ISF[2]) au point que dans certains cas la fiscalité dépasse 100% de l’assiette. Quant à la propriété immobilière, elle ne génère pas de revenus mais se trouve lourdement taxée au niveau de l’ISF et des taxes locales qui ont bondi ces dernières années.

Dans ces conditions, les contribuables sont d’abord incités à investir dans le premier choix, à savoir l’épargne liquide (encore que l’assurance vie ne soit pas vraiment liquide mais présente l’avantage important d’échapper aux droits de succession). C’est la voie royale. Pour le surplus, le contribuable se trouve comme le voyageur en face d’un embranchement de routes dont l’une est chaotique et pavée d’incertitudes considérables sur le rendement et, en cas de succès, de taxes et d’impôts confiscatoires. Le CAE constate – ou estime - alors que l’heure ne serait plus politiquement à inciter à l’accession à la propriété immobilière, mais plutôt à dégonfler une prétendue bulle immobilière, alors que les investissements dans les entreprises manquent cruellement. Admettons. Mais, c’est là l’aberration, au lieu de préconiser d’abaisser les obstacles fiscaux à l’investissement dans les entreprises, l’idée est de rendre aussi peu « carrossable » la troisième voie que la seconde. Avec la conclusion que toutes les voies se ferment pour permettre un investissement souhaitable de la fortune des Français ! Taxer tout ce qui bouge, voilà la règle. Et notre voyageur sera tenté de rester chez lui à coudre ses billets dans son matelas. C’est la politique du cliquet, on serre toujours davantage sans jamais revenir en arrière. Alors que l’on clame sur tous les toits que les Français sont asphyxiés par la fiscalité…

Cela ne se passera pas, car les Français n’admettront pas de devoir payer des impôts sur des revenus qu’ils ne perçoivent pas, alors que dans leur immense majorité ils se sont endettés pendant leur période d’activité pour se constituer un capital immobilier. Mais on se demande par quelle aberration de telles idées peuvent revenir périodiquement dans les préconisations d’organismes comme le Conseil d’analyse économique ou de certains think tanks réputés sérieux et proches du pouvoir, ou encore d’économistes de renom. Sinon qu’une fois pour toutes le développement des dépenses publiques constitue la doxa définitive de la politique française.


[1] Notons que le montant des loyers fictifs ne correspond nullement aux revenus sur lesquels les contribuables propriétaires seraient taxés s’ils recevaient effectivement des loyers pour ce montant. En effet, les propriétaires doivent faire face à des charges très lourdes, notamment pour l’entretien des immeubles, ainsi d’ailleurs qu’à des impayés et difficultés de location, si bien que souvent le rendement de la propriété immobilière est proche de zéro. Ces charges étant naturellement déductibles, il ne pourrait évidemment pas en être autrement pour calculer la valeur taxable des loyers fictifs des propriétaires occupant leur logement.

[2] D’autant plus anti-économique que dans le contexte actuel de rendement des valeurs mobilières extrêmement faible, le taux inchangé de l’IS ne permet pas d’acquitter l’ISF sans prélever sur le capital lui-même.