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La plus grande niche fiscale va être créée

Avec un coût annuel de plus de 20 milliards d'euros en régime permanent, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sera la plus grande niche fiscale jamais créée, très loin devant le taux réduit de TVA sur les travaux d'entretien du bâtiment (5,3 milliards d'euros) qui est actuellement la plus coûteuse.

Les dépenses fiscales, communément appelées niches fiscales, résultent de dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires, par rapport à l'application d'une norme de référence spécifique à chaque impôt, qui entraînent une perte de recettes fiscales pour l'État.

Le CICE se traduira incontestablement par une perte de recettes fiscales pour l'État, estimée à plus de 20 milliards d'euros par le Gouvernement, principalement au titre de l'impôt sur les sociétés et secondairement au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques réalisant des bénéfices industriels, commerciaux, non commerciaux ou agricoles.

D'après le rapport sur les dépenses fiscales annexé au projet de loi de finances pour 2013, la norme de référence, pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, est de taxer les bénéfices réalisés en France par les sociétés et autres personnes morales, au taux normal ou au taux réduit. Le principe de l'impôt sur les sociétés est d'être un prélèvement sur les bénéfices, pas d'être un instrument pour réduire la masse salariale.

Certaines dispositions permettant d'éviter une double imposition (régime dit « mères / filles »…), de déduire des pertes antérieures (mécanisme des reports de déficit…) ou de reporter l'imposition (en cas de restructurations d'entreprises…) sont certes considérées comme relevant de la norme de référence, en matière d'impôt sur les sociétés, et ne constituent donc pas des dépenses fiscales, mais le CICE n'a aucun rapport avec ces mécanismes.

En revanche, il s'apparente aux dispositifs incitant à réaliser des dépenses particulières en allégeant l'impôt en contrepartie, qui sont considérés comme des niches fiscales. C'est, par exemple, le cas du crédit d'impôt en faveur des dépenses de recherche qui a des caractéristiques très voisines de celles du CICE : ils sont égaux à un pourcentage des dépenses de recherche et développement pour l'un, et de rémunération pour l'autre ; ils sont imputables sur l'impôt dû au cours des trois années suivantes, le solde étant intégralement remboursé la quatrième (les petites entreprises bénéficiant toutefois d'un remboursement plus rapide).

Si la définition des normes fiscales, et donc des dépenses fiscales, est toujours assez floue et si les listes officielles des niches fiscales publiées dans tous les pays sont souvent contestables, les crédits d'impôt figurent toujours sur ces listes dont ils forment le noyau dur.

En effet, l'appellation « dépenses fiscales » a été créée pour désigner des dispositions fiscales qui ressemblent beaucoup à des dépenses budgétaires et peuvent facilement leur être substituées. Or, un crédit d'impôt est, d'un point de vue économique, strictement équivalent à une subvention calculée en fonction des dépenses de recherche, des investissements en Corse, des productions d'œuvres audiovisuelles… ou des rémunérations inférieures à un certain seuil, comme pour le CICE.

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi est donc manifestement une nouvelle niche fiscale, exceptionnellement coûteuse, alors qu'un large consensus s'était formé ces dernières années pour réduire le coût de ces niches.

Ce consensus repose cependant un peu trop sur l'idée que les dépenses fiscales sont toujours inutiles, alors que certaines d'entre elles permettent d'atteindre des objectifs pertinents de politique économique pour un coût raisonnable ; c'est très vraisemblablement le cas du crédit d'impôt en faveur de la recherche.

Même si elles sont utiles, les dépenses fiscales, notamment les crédits d'impôt, sont néanmoins critiquables dans la mesure où elles ont les mêmes effets que des dépenses budgétaires, devant notamment être financées en levant des impôts sur d'autres contribuables. Elles évitent en effet la comptabilisation d'une dépense budgétaire et permettent de respecter artificiellement les normes de croissance des dépenses publiques.

Une intervention publique pour réduire le coût du travail et améliorer la compétitivité des entreprises est certes souhaitable, mais les modalités retenues pour cette intervention sont contestables. D'autres solutions étaient en effet possibles :
- une baisse des cotisations patronales, même si elles sont déjà fortement allégées au niveau du SMIC ;
- une subvention aux entreprises, calculée comme le CICE mais comptabilisée comme une dépense.

L'allègement des taux de cotisations sur les bas salaires, qui va jusqu'à 1,6 SMIC aujourd'hui et serait allé jusqu'à 2,5 SMIC si le Gouvernement avait retenu cette solution, ne devrait pas être considéré comme une « niche sociale ». En effet, la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu est la norme de référence et il devrait en être de même de la progressivité des cotisations sociales. Les taux nuls puis réduits sur les premières tranches de revenus soumis à l'impôt sur le revenu ne sont pas des niches fiscales.

Une nouvelle baisse des cotisations aurait donc pu être analysée comme une modification de leur barème et non une niche. Elle aurait probablement été plus efficace, car beaucoup plus simple à mettre en œuvre et à comprendre. Cette solution ayant été écartée, l'État devait prendre en charge cette intervention sur son budget et il avait le choix entre un crédit d'impôt et une subvention calculée de la même façon. Il a opté pour la solution qui permet de ne pas afficher une hausse de ses dépenses et de faire baisser le taux des prélèvements obligatoires.