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Instituer une TVA Sociale : une solution inefficace

Si l'on désirait basculer sur la TVA au taux normal les seules cotisations patronales de la Maladie et de la Famille du régime général de Sécurité Sociale, il faudrait que ce taux passe à 35% !

Le Medef vient de proposer d'abaisser le coût du travail en se prononçant en faveur d'une TVA sociale, à partir de plusieurs scénarios envisageables. L'AFEP a de son côté fait une autre proposition en faveur de la TVA sociale. Ces propositions ont au moins le mérite de faire concrètement toucher du doigt le problème. Mais à notre sens, elles ne sont guère convaincantes et ne sont praticables qu'à une dose si faible qu'il est nécessaire d'utiliser conjointement une panoplie de mesures.

La TVA sociale est une mesure de basculement de certaines charges sociales, patronales ou éventuellement salariales, sur l'impôt. Son institution aurait deux avantages, qu'il ne faut pas confondre. Le premier est la conséquence directe du basculement des charges, à savoir la baisse du coût du travail pour les entreprises, laquelle peut elle-même se traduire de plusieurs façons : baisse du prix hors taxes des produits, augmentation des salaires, embauches, investissements, ou simplement amélioration de la marge de l'entreprise. Le second est un effet supposé sur la compétitivité de la France, puisque le prix TTC des produits importés (comme ceux de tous les produits français vendus en France) augmente avec la TVA, et qu'en même temps le prix des produits exportés peut bénéficier de la baisse du coût du travail (dans la mesure où cette baisse est répercutée sur les prix).

La proposition du Medef consiste, selon trois scénarios envisageables, à basculer certaines charges sociales, patronales aussi bien que salariales, sur la TVA ou la CSG. Il s'agit des charges qui, n'étant pas contributives, ne donnant pas droit à des avantages personnalisés et répondant à un objectif de solidarité nationale, n'ont pas raison de peser sur les seuls salaires. On identifie généralement dans cette catégorie la santé et la politique familiale, par opposition aux retraites qui s'analysent en salaires différés. C'est ainsi que les conçoit le Medef, et nous pouvons être d'accord sur ce point, en faisant d'ailleurs remarquer que le basculement sur l'impôt a commencé il y a déjà longtemps avec l'institution de la CSG (voir les chiffres en encadré).

Décomposition des recettes Maladie et Famille du Régime général
Recettes totales Maladie 140
dont : Cotisations 67.6
Impôts 67.4
dont CSG : 51.2
Recettes totales Famille 51.2
dont : Cotisations 33.4
Impôts et taxes 16 (environ
dont CSG:9.5
CotisationsPatronalesSalariales
Maladie Taux 12.80% 0.75%
Recettes (en milliards d'euros) 64 3.6
Famille Taux 5.40% 0
Recettes (en milliards d'euros) 33.4 0

Source : Cour des comptes Ce tableau montre que les cotisations patronales pèsent pour un total de 97,4 milliards dans les recettes des branches Maladie et Famille du régime général, cependant que les impôts et taxes pèsent pour un montant égal aux cotisations dans les recettes de la Maladie (hors financement du déficit), et pour environ la moitié des cotisations dans les recettes de la Famille. Les cotisations salariales pèsent pour un très faible montant dans les recettes de la branche Maladie, et aucunement dans celles de la branche Famille. Toutefois les salariés sont des contributeurs très importants au titre de la CSG (60,7 milliards affectés aux deux branches sur un total de 83,5), qui repose pour les trois quarts sur les salaires, malgré la très forte augmentation de la CSG sur les revenus du capital.

Ce tableau permet aussi de calculer la valeur du point de cotisation, qui est en moyenne de 97,4 Mds / 18,20 soit environ 5,4 milliards d'euros. Quant au point de TVA, il est égal à 0,5 Md pour le taux à 2,1%, de 2,6 Mds pour le taux à 5,5%, de 6,5 Mds pour le taux à 19,6%, soit 9,6 Mds tous taux additionnés.]

Le Medef envisage trois scénarios, correspondant respectivement à basculer 5 points de cotisations pour 30 milliards d'euros, ou 8 points pour 50 milliards ou enfin 12 points pour 70 milliards. Dans le cas du premier scénario, les cotisations patronales, selon les calculs du Medef, seraient abaissées de 3,5 points (soit 22,3 milliards) en contrepartie d'augmentations de TVA de 1,9 point du taux réduit de 2,1% (passant à 5%), de 1,5 point du taux à 5,5% (passant à 7%) et de 2,4 points du taux à 19,6% (passant à 22%). Dans le même temps, les cotisations salariales seraient abaissées de 1,5 point (soit 8,3 milliards) et en contrepartie la CSG serait augmentée de 0,75%. Le Medef précise par ailleurs que la baisse du coût du travail pourra se traduire de différentes façons comme nous l'avons indiqué, mais sans s'engager sur rien en particulier, et notamment pas sur la baisse des prix. L'AFEP propose un basculement plus modeste, limité à une hausse de seulement 1,4% du taux normal de la TVA pour un montant de 13 milliards.

Quels sont les effets probables de ces scénarios ?

- Il faut d'abord souligner que, à supposer que la baisse des coûts se traduise effectivement par une baisse des prix, l'avantage de compétitivité ne pourrait être au mieux que très faible. Si l'on prend comme hypothèse moyenne une part du coût du travail égale à 30% du prix de revient d'un produit, le gain sur le prix de revient du produit exporté ne serait, dans le cas du taux normal, que de 3,5 * 0,30, soit 1,05% [1]. Dans le même temps, en passant à 22% la TVA au taux normal pénaliserait les importations de 2,4%, mais il est rien moins certain que les importateurs ne seraient pas capables d'annuler cet effet en baissant leurs propres prix. Quant à la proposition de l'AFEP, qui aboutit à un basculement de 13 milliards pour une augmentation d'1,4 point de TVA selon l'organisation elle-même, son effet sur la compétitivité serait encore plus négligeable. Notons d'ailleurs que le Medef calcule que seul le scénario à 70 milliards permettrait que les cotisations patronales françaises soient au même niveau que les cotisations allemandes. Au total, l'effet compétitivité serait quasi nul, et quant à penser que la mesure favoriserait le retour en France de productions délocalisées, ce serait encore moins probable, les choix de localisation de leurs productions par les entreprises répondant à des considérations complexes et multiples où le coût du travail n'entre que pour partie.

- Les différents scénarios du Medef supposent des augmentations des taux réduits de TVA. Dans le scénario à 70 milliards, le taux à 2,1% passerait à 5%, le taux à 5,5% à 10%, le taux à 7% à 12% et le taux normal à 25%. Nous pensons que ces nouveaux taux seraient insupportables pour les consommateurs français. Le taux normal (5,4 points d'augmentation !) serait au maximum permis par l'UE, et le taux réduit à 5,5% concentre la plupart des produits correspondant à des besoins essentiels. En réalité, nous estimons que même le premier scénario augmenterait de façon trop élevée la TVA, en particulier sur les taux réduits, seule la proposition de l'AFEP restant raisonnable. Il a été indiqué dans la presse que le gouvernement réfléchirait à un basculement des allocations familiales : cela aboutirait à 5,4 points de cotisations patronales pour 32 milliards, mais il faudrait que la TVA au taux normal passe à 24,5%, ce qui paraît inenvisageable pour la même raison.

- Laurence Parisot, interrogée sur une radio périphérique le 28 novembre, vient d'évoquer le passage de la TVA à « 20% ou 21% », ce qui semblerait signifier qu'elle revient très largement sur les propositions de sa propre organisation (passage à 22% ou 25%). Mentionner 20% est quand même étonnant, car une augmentation de 0,4% serait pour le coup cautère sur jambe de bois.

- De nombreux économistes, ainsi que le Ministère des Finances, relèvent le caractère inévitable de la hausse des prix provoquée par la hausse de la TVA. Dans ce cas, la hausse des prix annulerait elle aussi la baisse du coût du travail par les mécanismes d'ajustement automatique des salaires sur les prix. Il faut en effet prendre en compte ce mécanisme automatique, spécifique à la France, qui est inscrit dans la loi en ce qui concerne le Smic, et qui se répercute aux salaires supérieurs. Dans le cadre de l'euro, cela condamne pratiquement en France toute solution qui impliquerait une hausse des prix provoquée [2] .

- La solution du Medef aboutit à une augmentation de la TVA profitant aux entreprises sans aucune affectation des ressources à la diminution de la dette. Il faut hélas choisir, et dans les circonstances actuelles c'est cette diminution qui se trouve prioritaire, d'autant que l'effet sur la compétitivité des entreprises françaises est au mieux très faible. Les députés UMP viennent de s'opposer à une augmentation de la TVA au taux de 5,5% pour les produits et services de première nécessité, et de son côté, le gouvernement veut affecter cette éventuelle augmentation exclusivement à la diminution de la dette. Il n'y a donc aucune place pour une baisse des cotisations sociales en contrepartie.

- Il resterait enfin des difficultés d'application particulières. La diminution des cotisations salariales prônées par le Medef, supposées être supérieures à la hausse de la CSG intervenant en contrepartie, ne profiterait qu'aux salariés : qu'en serait-il pour les chômeurs, des retraités, des fonctionnaires (imposés différemment), des non-salariés en général ? D'autre part, comment régler la question des bas salaires (de 1 à 1,5 Smic) pour lesquels les entreprises sont déjà exonérées en quasi-totalité des cotisations patronales ? Difficile d'envisager des cotisations négatives…

Au total, avec la TVA sociale, guère praticable dans des proportions significatives, la montagne accoucherait d'une souris. Le problème réside dans l'importance considérable des sommes en jeu. La TVA, qui est l'impôt français de loin le plus rentable, a rapporté 171 milliards en 2010. Les seules dépenses des régimes de base de la Sécurité sociale se sont montées à 440 milliards la même année, dont 232 milliards au titre de la maladie et de la famille, couvertes à hauteur de 97 milliards par les cotisations patronales. Il est tout simplement impossible de penser à basculer près de 100 milliards sur un quelconque autre impôt : si l'on concentrait le basculement sur le taux normal de TVA, ce taux devrait passer à … 35% ! Le basculement des cotisations sociales au bénéfice des entreprises ne peut donc être que minime, et nous estimons qu'une augmentation de la TVA, exclusivement au taux normal, ne serait admissible dans ce but qu'à hauteur de 21% maximum, comme le propose l'AFEP, ce qui ne permet au plus que de basculer une quinzaine de milliards de cotisations sociales vers la TVA.

C'est une erreur de croire que la TVA sociale peut être un outil efficace, que ce soit pour lutter contre les importations comme pour baisser le coût du travail. Déjà à 19,6%, le taux normal, supérieur à celui de l'Allemagne, devrait être augmenté dans des proportions insupportables pour avoir un effet notable.

En ce qui concerne le coût du travail plus particulièrement, les cotisations sociales patronales sont certes, au niveau du salaire moyen, supérieures de 26,9% en France à ce qu'elles sont en Allemagne , les cotisations salariales étant quant à elles quasiment les mêmes si l'on considère en France l'addition des cotisations proprement dites et la CSG/CRDS. Mais les prélèvements qui ne sont pas opérés au niveau des cotisations patronales le sont à celui de l'impôt sur le revenu, beaucoup plus élevé en Allemagne. Pour que le revenu des salariés n'en souffre pas, c'est au niveau du salaire brut que se situe la différence, considérable, puisque le salaire moyen est de presque 41.000 euros en Allemagne contre 33.000 en France. Et au total le coût du travail n'est donc pas inférieur en Allemagne à ce qu'il est en France. C'est une autre question que celle de savoir s'il ne serait pas judicieux de basculer les cotisations sociales sur l'IR comme en Allemagne (système beveridgien, alors que la France adopte paradoxalement un système plus bismarckien que celui du pays dont ce dernier est issu à l'origine), mais en tout état de cause ce n'est pas la TVA sociale qui règlera le problème du coût du travail.

Enfin, le basculement des cotisations sur la TVA n'a aucun effet sur la diminution du déficit des comptes publics. Lorsqu'en janvier 2007 l'Allemagne a relevé de 3% le taux normal de la TVA, les deux-tiers ont été affectés aux comptes publics et donc les Allemands ont subi une augmentation de 2% des prix. C'est ici que se situe le problème français : l'important est de parvenir à diminuer le coût des prestations sociales et donc les dépenses sociales, pas à basculer des prélèvements d'un impôt sur l'autre sans effet sur les comptes publics.

[1] Sous le titre « la TVA sociale, enfin ! », le sénateur Jean Arthuis fait paraître le 1er décembre dans Libération un nouvel article prônant l'institution de cette TVA, en affirmant en particulier qu'une baisse de 5% des cotisations sociales aurait pour conséquence une baisse des prix hors taxes du même pourcentage. C'est là le principal problème de la TVA sociale : non seulement le Medef prévient que la baisse des cotisations pourra être utilisée à autre chose qu'à la baisse des prix, mais il est fait totalement abstraction par le sénateur du fait que le coût du travail ne représente qu'une partie faible du prix de revient d'un produit.

[2] Les exemples danois et allemand ne sont pas pertinents à ce sujet. L'augmentation du taux de TVA en Allemagne s'est produite dans une conjoncture très opportune de croissance, inverse de la conjoncture actuelle, à partir d'un taux bas de 16% pour ne parvenir qu'à 19%, et enfin il ne s'agissait pas d'une TVA sociale, puisque seulement un point de cotisation a été basculé, mais d'une mesure surtout destinée à réduire le déficit public.