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Frein à l'endettement : Existe-t-il un modèle de discipline budgétaire canadien ?

Modèle en matière de discipline budgétaire pendant 10 ans, le Canada se retrouve aujourd'hui dans une situation financière délicate : dette à 112% du PIB (2012) et déficit à 3,2% (2012). Toutefois, le solde primaire reste à l'équilibre. Les politiques de relance (Plan d'action économique, lancé en 2009) ont obtenu des résultats tangibles : le chômage n'a que faiblement augmenté depuis 2008, se stabilisant autour de 7% [1], et le pays connait la plus forte croissance d'emplois de tous les pays du G7 [2]. La dépense publique canadienne se situe aujourd'hui autour de 41,2% du PIB, contre 39,2% en 2008. Pour ce faire, les politiques ont considérablement eu recours aux déficits, hypothéquant en partie les acquis d'une décennie d'excédents.

La situation budgétaire et économique du Canada est-elle aujourd'hui comparable à celle de la France ? Quelle a été l'utilité des différents mécanismes de frein à l'endettement ces dernières années ? Rappelons qu'en 2010, le Canada est le pays le plus décentralisé du monde : 47% et 21% des dépenses publiques sont respectivement déboursées par les paliers provincial et local, soit 68% des dépenses totales. [3].

Évolution récente du solde budgétaire canadien consolidé Source : OCDE (novembre 2013)

Peut-on parler de bonne santé financière ?

D'après l'OCDE, le solde financier des administrations publiques canadiennes semble aujourd'hui l'un des plus équilibrés parmi les pays du G7.

Soldes budgétaires en pourcentage du PIB (2012)
CanadaItalieAllemagneFrance
Solde budgétaire -3,2 -3 0,1 -4,8
Solde corrigé des variations conjoncturelles -2,6 -1,3 0,1 -3,6
Solde primaire 0,1 2,5 2,5 -2,3
Source : Commission européenne (hivers 2014) ; Statistique Canada, statistique de finances publiques (2013).

Seul la France (parmi ces quatre pays) compte un solde primaire déficitaire. Le solde primaire canadien est à l'équilibre. Puis, si nous corrigeons les variations conjoncturelles du solde primaire, le budget apparaît excédentaire (+0 ,8%), signe d'une relative bonne discipline budgétaire.

Évolution de la part de la dépense publique en pourcentage du PIB

AnnéeCanadaItalieAllemagneFrance
2008 39,2 48,6 44,1 53,3
2009 43,8 51,9 48,2 56,8
2010 43,2 50,4 47,8 56,6
2011 41,9 49,8 45,4 56,1
2012 41,2 50,6 45 56,9

Source : Statistique Canada, statistique de finances publiques (2013).

Aussi, la dépense publique canadienne connait une appréciable augmentation entre 2008 et 2012 due aux politiques de relance stimulant l'activité et à l'augmentation des stabilisateurs automatiques. Toutefois, l'augmentation n'est que de 1,8 point de PIB contre 2 points en Italie et 3,6 points en France. De plus, après avoir augmenté leurs dépenses respectives, l'Allemagne et le Canada réussissent à la diminuer à partir de 2011.

Évolution des dépenses sociales en pourcentage du PIB
Année CanadaItalieAllemagneFrance
2005 16,9 24,9 27,3 30,1
2009 19,2 27,8 27,8 32,1
2010* 18,7 27,7 27,1 32,4
2011* 18,1 27,5 25,9 32,0
2012* 18,1 28,0 25,9 32,5
2013* 18,2 28,4 26,2 33,0

*Les données de 2010 à 2013 sont des estimations et sont seulement disponibles pour les agrégats.

Source : OCDE Stats (2014)

Outre le différentiel d'environ 13,8 points de PIB entre les dépenses sociales françaises et canadiennes, nous observons une augmentation des dépenses sociales françaises après la crise de 2008, alors que le Canada les diminuent à partir 2009. Ainsi, le différentiel entre les deux pays ne fait que croître passant de 13,2 points en 2005 à 14,8 points en 2013.

Concernant le palier fédéral seul, l'augmentation des dépenses publiques entre 2007-08 et 2012-13 se fait en grande partie par l'augmentation des stabilisateurs automatiques, atténuant les effets conjoncturels sur l'activité. En effet, les transferts aux particuliers représentent 28% de l'augmentation des charges de programme : 19,1% d'augmentation pour les prestations de sécurité de la vieillesse ; 6,4% pour les prestations d'assurance-emploi ; et 2,5% pour les allocations familiales/prestations pour enfants [4]. De plus, les transferts aux provinces constituent, eux, 30% de l'augmentation et sont essentiellement composés de transferts en matière de santé et de programmes sociaux (23,1% de l'augmentation des charges de programme) [5]. Du reste, les autres transferts représentent 8,2% de l'augmentation. En tout, les stabilisateurs automatiques constituent près de la moitié de l'augmentation des dépenses de l'État fédéral hors coût de la dette.

Pour un frein à l'endettement effectif

L'équilibre budgétaire n'est pas un dogme en soi. Comme toute politique, il n'est désirable que s'il accroît le bien-être économique à long terme de la population. En ralentissant la croissance de la dette publique, les gouvernements dégagent une certaine marge de manœuvre (impôts plus faibles et dépenses publiques plus élevées). Toutefois, cette dernière est restreinte à court terme lorsque l'intervention de l'État peut paraître souhaitable (cycle récessif). Aussi, les politiques de relance par le déficit doivent impérativement avoir un cadre législatif contraignant, prévoyant une compensation par des excédents à plus ou moins court terme. Ce type de dispositif est expérimenté en Suisse, en Suède mais également dans plusieurs provinces canadiennes.

L'expérience québécoise

Le Québec se dote d'une telle loi dès 1996 avec la Loi sur l'équilibre budgétaire et l'élimination du déficit. Et elle porte ses fruits : combattant le laxisme budgétaire, le Québec enregistre son premier excédent budgétaire depuis 40 ans lors de l'exercice 1998-99. La loi prévoit une période de résorption des dépassements, autorisant des déficits, dans la mesure où ceux-ci peuvent être compensés par des surplus accumulés au cours des années précédentes ou subséquentes [6]. A partir de 2005, un Fonds des générations est destiné au remboursement de la dette. La stratégie est la suivante : faire en sorte que le rendement du Fonds excède le coût de l'emprunt de l'État. En 2008, c'est une réserve pour éventualités qui est créée, plaçant de facto le budget en surplus.

Si la législation est exemplaire en théorie, la pratique s'est avérée discutable. A partir de 2008, la loi est systématiquement « suspendue » par les Libéraux puis par les Péquistes. L'atteinte du déficit zéro, prévu pour 2014-15, « reporte » de nouveau la loi. Ces modifications posent alors un réel problème de crédibilité de l'exécutif [7]. Par ailleurs, les mauvais résultats du Fonds des générations en 2008 semblent momentanément « constituer une stratégie de remboursement de la dette bien fragile » [8]. Aujourd'hui capitalisé à hauteur de 5,5 milliards de dollars canadiens, les attentes sont grandes : le Fonds prévoit d'atteindre 13,5 milliards de dollars en 2017-2018 pour une dette québécoise de 176,5 milliards (2012-2013) [9].

Pour Adrien Pouliot, chef du Parti conservateur du Québec depuis 2013, la loi comporte quelques insuffisances.

  • Tout d'abord, elle ne restreint pas les dépenses tant qu'il y a des recettes alors que pour être plus efficace, il faudrait indexer l'augmentation des dépenses à la croissance du PIB.
  • De plus, elle n'empêche pas le gouvernement d'augmenter les impôts et les taxes pour compenser l'augmentation des dépenses. Un plafond fiscal doit alors être fixé en fonction de l'augmentation de la population et de l'inflation.
  • Enfin, compte tenu des dispositions fiscales, la dette peut augmenter plus que proportionnellement par rapport au déficit. De cette façon, il faut donc que la loi contienne un volet plafonnant la dette, ne pouvant être haussé qu'avec l'accord des deux tiers de l'Assemblée nationale.

Au niveau central, la récession des années 1980 et la dégradation des finances publiques fédérales permettent d'inculquer aux autorités publiques une certaine prudence budgétaire. Suite à la « revue des programmes », Paul Martin, alors ministre des Finances, présente en 1997 son premier budget excédentaire. Toutefois, les finances publiques demeurant vulnérables, il crée une « réserve pour éventualité » de 3 milliards en cas d'imprévu. A l'époque, un point de croissance du PIB en moins ampute les recettes de l'État de 2,8 milliards. Si les prévisions macro budgétaires sont vérifiées et que la réserve n'est pas utilisée, les fonds sont alors automatiquement alloués au remboursement de la dette. En 2003, une deuxième réserve, « prudence économique » est créée par John Manley portant le « coussin » du gouvernement à 5 milliards. Cependant, les finances publiques sont systématiquement meilleures que les anticipations du gouvernement : l'idée est donc abandonnée et la réserve supprimée avec l'arrivé au pouvoir des Conservateurs en 2006.

Dans le discours du Trône d'automne dernier, les Conservateurs ont annoncé de nouvelles mesures visant à alléger les dépenses publiques, notamment une possible loi anti-déficit au niveau fédéral. L'équilibre budgétaire se profilant plus vite que prévu, Ottawa doit aujourd'hui proposer des perspectives de long terme. Maxime Bernier, député de Beauce et ancien ministre des Affaires étrangères de Harper, milite aujourd'hui pour une telle loi et pour un plafond des dépenses publiques. L'idée est approuvée au congrès des Conservateurs mais toujours pas priorisée par les délégués.

Le projet de loi reste vague et ce, en partie à cause de la faible efficacité des expériences provinciales. Concernant, l'ouest canadien, pionnier en termes de législation anti-déficit, les experts observent trois vagues distinctes :

  • une première restreignant les dépenses ;
  • une deuxième se concentrant sur l'équilibre budgétaire et la réduction des déficits ;
  • enfin, une troisième combinant équilibre budgétaire, réduction de la dette et restreignant la croissance des prélèvements obligatoires [10].

Comparaison des différentes législations dans l'ouest Canadien BC = Colombie Britannique ; AB = Alberta ; SK = Saskatchewan ; MB = Manitoba

Source : Simpson, Wayne 2012

Cependant, les études montrent aujourd'hui que les objectifs de départ n'ont pas été respectés [11] puisque, sous pression du public, il a fallu stimuler l'économie et garder un niveau conséquent de dépenses sociales, laissant filer les déficits.

Conclusion

Ce que nous montre l'expérience canadienne du frein à l'endettement, c'est que la pratique défit la théorie (voir également nos notes sur le frein à l'endettement en Suisse et en Suède).

Cependant, il faut constater que la grande réussite de la loi anti-déficit québécoise a été d'améliorer significativement les comptes publics jusqu'à une succession de budgets excédents suite à la bonne conjoncture économique. Au niveau fédéral, le Canada retrouvant aujourd'hui une croissance convenable, le retour imminent du budget fédéral à l'équilibre ne fait plus de doute. Pour autant, les lois anti-déficit restent d'actualité puisque le gouvernement est en train de mettre en place des mécanismes assurant la durabilité des finances publiques et éloignant le risque de déficit sur le long terme.

[1] Perspective économique de l'OCDE. 2013

[2] Ministère des Finances. Canada. 2014. Le budget en bref

[3] Kim, Junghun & Camila Vammalle. OCDE Fiscal federalism Studies. 2012. Institutional and Financial Relations across levels of government.

[4] Ministère des Finances. Canada. 2013 (calculs de l'auteur).

[5] Joanis, Marcelin. 2009. La Crise financière et le déficit zéro : le Canada flirte avec les démons de son passé.

[6] Assemblée nationale. Québec. 1996. Loi sur l'élimination du déficit et l'équilibre budgétaire

[7] Joanis, Marcelin. 2009. La Crise financière et le déficit zéro : le Canada flirte avec les démons de son passé.

[8] ibid

[9] Finances et Economie. 2012. Le Fonds des générations : le Québec de demain se dessine aujourd'hui

[10] Simpson, Wayne. 2012. The Effectiveness of Balanced Budget Legislation : Lessons from Western Canada.

[11] Wesley, Jared J. & Wayne Simpson. 2011. Promise Meets Reality : Balanced Budget Legislation in Western Canada, 1991-2010.