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Encadrement des loyers : la fausse-bonne idée

A peine nommé, le nouveau gouvernement Ayrault a annoncé une série de mesures issues des promesses de campagne. Parmi celles-ci, on retiendra l'encadrement des loyers annoncé par la ministre du Logement, Cécile Duflot, thème qui avait mobilisé les électeurs. Cette décision constitue-t-elle une avancée pour les locataires ?

Citant volontiers l'exemple de l'Allemagne, la ministre du Logement Cécile Duflot interviewée pour le JDD ce week-end a expliqué que la situation des loyers n'était plus tenable : "A Munich, la ville d'Allemagne où les loyers sont les plus chers, on est à 9,71 euros le m² en moyenne. A Paris, nous sommes au-dessus de 24 euros", d'où sa décision d'encadrer les loyers comme c'est le cas justement en Allemagne ou en Suisse.

A titre d'exemple citons pour l'Allemagne : Stuttgart (8,7 €/m²), Heidelberg (8 €/m²), Düsseldorf (7,37 €/m²), Cologne (7,26 €/m²), ou encore Berlin (5 €/m²) [1]… Parallèlement, si les loyers sont très élevés à Paris, ils sont beaucoup plus modérés en province : l'observatoire OLAP des loyers relève que sur 11 villes de province, les loyers à Lyon, Toulouse, Bordeaux ou Grenoble sont aussi de 9 à 9,6 euros par m2 ; seule Aix-en-Provence dépasse ce niveau avec 11,8 €/m2 [2].

Mais la réglementation concernant les loyers est-elle exactement la même dans ces pays ? Rappelons d'abord quelles sont les règles en France.

France : quelles règles pour l'évolution des loyers ?

Le loyer, fixé par le propriétaire au moment de la signature du bail, peut par la suite être révisé à chaque anniversaire du contrat à la condition qu'une clause évoquant cette modification soit prévue. Cette hausse se cale sur l'indice de révision des loyers (IRL) publié par l'INSEE. Ainsi, selon le dernier indice publié par l'INSEE, les propriétaires bailleurs peuvent ainsi, sur une période d'un an, augmenter de 2,24%, les loyers qui arrivent à échéance au premier trimestre 2012.

Au moment, du renouvellement du bail, il existe deux situations où le loyer peut augmenter plus vite que l'indice :

- La première : lorsqu'il y a une sous-évaluation manifeste par rapport aux prix du voisinage. Dans ce cas, l'augmentation, à l'occasion d'un renouvellement peut être rehaussée par paliers sur 6 ans de la moitié de la différence entre le loyer déterminé par référence au voisinage et celui du logement à la date du renouvellement du bail. Le locataire peut refuser et le propriétaire conserve le droit de saisir la commission de conciliation qui dispose de deux mois pour rendre un avis. Ce processus est souvent dénoncé comme pouvant avoir un effet inflationniste, si autour de l'habitation tous les loyers sont à la hausse.

- Seconde exception, la réalisation de travaux dans les parties privatives ou communes pour une somme au moins égale à une année de loyer. Dans ce cas de figure, le montant du loyer peut être réévalué jusqu'à l'équivalent de 15% du coût TTC des travaux réalisés. Comme le relève l'observatoire des loyers Clameur, même à Paris, la hausse n'est forte que lorsque des travaux sont réalisés : l'effort d'amélioration et d'entretien a encore progressé en 2011, afin de faciliter les remises en location et de contenir les pertes de recettes dues à la vacance.

Les loyers peuvent également augmenter à un rythme plus élevé : entre deux baux signés avec deux locataires différents, le propriétaire peut augmenter le montant du loyer comme il l'entend. Le "saut à la relocation" en 2011 reste à un niveau élevé dans l'agglomération parisienne +6%, et même +9% à Paris.

Une précédente expérience d'encadrement des loyers a été menée avec la loi Mermaz en 1989 : il s'agissait d'un encadrement des loyers pour les relocations à la suite d'un changement de locataire. Le loyer était fixé par référence aux loyers du voisinage. Cette mesure s'est appliquée à Paris et dans la région parisienne de 1989 jusqu'en 1997 mais n'a pas été poursuivie. D'autres facteurs ont pu jouer, mais c'est un fait que le nombre de logements construits s'est effondré durant cette période et qu'il est généralement admis que la pénurie actuelle est, entre autres facteurs, la conséquence du faible niveau de construction de 1983 à 2003.

Chiffres : France entière ; Source Insee Première "La construction en 2005 : la prospérité du logement se confirme" – juin 2006

Sur ces points, le candidat François Hollande s'était engagé sur le site Internet Particulier à Particulier en avril dernier : "Les loyers de relocation et des nouvelles locations seront encadrés. Ainsi, ils ne pourront pas dépasser la moyenne des loyers pratiqués dans le quartier pour un logement similaire. C'est ce qu'on appelle le loyer de voisinage". Et "dans les zones où les loyers sont manifestement surévalués, ils devront baisser au moment de la relocation. Ces zones aux prix exceptionnellement hauts ne sont pas forcément très nombreuses mais elles « contaminent » les quartiers qui les environnent en tirant leurs prix, eux aussi, vers le haut." La ministre du Logement a précisé qu'elle visait Paris et la région PACA.

Allemagne : le "miroir des loyers"

Si l'exemple de l'Allemagne est souvent avancé, la situation dans ce pays n'est pas tout à fait la même : le marché du logement se caractérise par une forte proportion de locataires du secteur privé (le parc social ne représente que 6% du nombre total des logements) et un taux de propriétaires de 43%. S'agissant du logement social, le bailleur s'engage sur le niveau bas des loyers pratiqués en échange d'une subvention publique perçue pendant une durée déterminée (12 à 20 ans). La subvention diminue dans le temps jusqu'à ce que les loyers reviennent aux prix du marché. Au-delà, les logements reviennent au marché libre, d'où la forte proportion de locatif privé. [3]

Le modèle allemand a été largement commenté pendant la campagne électorale avec son système d'information dit de "miroir des loyers". En Allemagne, les loyers et leurs augmentations sont fixés librement, que ce soit à la location ou à la relocation. Mais le locataire peut saisir le juge s'il estime que le loyer est supérieur de 20% aux loyers pratiqués pour des logements équivalents. Si le juge décide d'une baisse du loyer, celui-ci se substitue de plein droit à celui du bail.

La plupart des communes publient des loyers pratiqués sur leur territoire, ventilés selon l'année de construction, l'état du bâti et l'équipement du logement. Ce sont ces listes que l'on appelle "miroirs des loyers" et qui servent de référence. Cette solution avait les faveurs du candidat Sarkozy qui voulait "faire comme en Allemagne, à savoir attaquer le propriétaire de son logement si son loyer est supérieur de 20% au prix du marché". L'Anil précise en outre qu'en Allemagne le bail est nécessairement de durée indéterminée et le congé pour vente n'existe pas. Le locataire jouit donc d'un quasi droit de maintien dans les lieux.

Mais ce qui n'est pas dit c'est que contrairement à la France, l'Allemagne ne connaît pas de crise prononcée du logement. Les propriétaires font tout pour retenir leurs locataires et lutter contre la vacance. Une situation qui s'explique par le développement économique de ce pays fortement décentralisé, et qui ne connaît donc pas la concentration de notre crise du logement dans nos zones tendues. Dans une moindre mesure, l'évolution démographique n'est pas comparable à la France. Mais surtout, le marché immobilier est plus libre qu'en France avec beaucoup moins d'interventions des Länder.

Les conséquences de l'encadrement des loyers

A l'inverse, avec la solution dont semble s'inspirer la France, à savoir baisser autoritairement les loyers au moment de la relocation en zones tendues, on peut craindre pour l'offre résidentielle dans l'avenir. La France dispose malheureusement d'un précédent avec la loi de 1948, qui contrairement à ce que l'on pense généralement était une loi de déblocage des loyers, bloqués depuis 1914. Or la conséquence de ces blocages était que les investisseurs n'avaient pas intérêt à construire. La loi de 1948 devait permettre de relancer la construction tout en ne touchant pas à la situation des locataires en place. Résultat, en touchant peu aux conditions régissant les logements existants (toujours bloqués) on créait un effet de rente considérable pour les locataires en place aux dépens des propriétaires et des nouveaux entrants, principalement les jeunes. En revanche on instaurait la liberté des loyers pour les logements neufs ou complètement rénovés. Pour les investisseurs privés, l'essentiel du marché restait constitué de logements réglementés, le coût des constructions nouvelles imposait des loyers considérablement plus élevés que dans le parc locatif général, compliquant la commercialisation. Comme on pouvait s'y attendre, le parc des logements dont les loyers étaient bloqués n'a plus été entretenu, et la loi a été détournée sur une grande échelle par des recours aux faux logements meublés, aux pas-de-porte et aux dessous-de-table, le tout aux dépens des ménages modestes. Il était bien prévu un rattrapage progressif des loyers mais en pratique le risque politique de cette décision était tel qu'aucun gouvernement n'a pris l'initiative de mécontenter les nombreux locataires et l'écart se maintint. Le parc des logements "loi de 1948" s'est progressivement réduit. En 1986 une loi a expressément mis fin à ce régime, en libérant les logements vacants et en organisant une sortie progressive pour les logements occupés sauf pour les personnes âgées ou à revenus modestes.

Doit-on craindre aujourd'hui les mêmes effets ? Il est frappant que le Conseil de Paris, dans le cadre d'une mission de réflexion sur l'encadrement des loyers, évoque "toute mesure destinée à rééquilibrer le marché des locations soumises à la loi de 1989 fait reporter l'offre de logements sur le secteur meublé. Pour éviter cet effet, la solution est de faire entrer le meublé-résidence principale dans le champ d'application de la loi de 1989."

Les nouvelles locations vont, elles aussi, certainement souffrir de cette réglementation, d'autant que la nouvelle ministre du Logement n'a pas que l'encadrement des loyers comme objectif. Elle veut faire sa priorité de la politique de construction de logements sociaux en renforçant la loi SRU. Or, obliger à inclure 25% de logements sociaux dans les constructions neuves et à les céder à un organisme HLM à prix réduit, cela revient à faire financer ces appartements par les acquéreurs ou les locataires des autres logements du même ensemble. Et donc mécaniquement à augmenter les prix. Si les loyers des logements non-HLM sont eux aussi encadrés, le rendement locatif, déjà très bas, va s'effondrer encore et décourager définitivement les bailleurs privés soit d'entretenir le parc, soit d'y investir.

Autant de mesures qui vont rendre la location plus difficile et plus coûteuse. Est-ce vraiment l'objectif recherché ? D'ailleurs les investisseurs institutionnels, en particulier les compagnies d'assurance, ont déserté le marché locatif résidentiel en raison de réglementations particulièrement strictes (lois Aurillac) encadrant leurs relations avec leurs locataires. La conjonction d'un taux marginal très élevé d'imposition des loyers (60% avec la CSG en grande partie non déductible) et du rétablissement de l'ancien barème de l'ISF devrait déjà inciter les plus gros propriétaires bailleurs à céder les logements devenus vacants plutôt que de les relouer car leur rendement après impôt deviendra négatif ! Si on y ajoute une baisse autoritaire des loyers, la réduction du parc locatif privé sera rapide !

La question des effets du contrôle des loyers a depuis longtemps été traitée par les économistes et les avis sont unanimes pour dire que l'encadrement des loyers réduit la qualité et la quantité d'offre de logements. Le prix Nobel suédois d'économie Gunnar Myrdal, artisan aux côtés du parti travailliste suédois du " welfare state", avait même déclaré : "Le contrôle de loyer a dans certains pays Occidentaux constitué, peut-être, le pire exemple de planification par des gouvernements manquants de courage et de vision" [4]. La ministre Cécile Duflot a déclaré que « le dispositif précis sera calé dans les semaines qui viennent, après concertation avec les acteurs du secteur ». Espérons que ces derniers lui feront passer le message.

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Conclusion à la mission du Conseil de Paris sur l'encadrement des loyers : L'enjeu d'une telle réglementation est bien de reconnecter les niveaux de loyer avec les revenus, sans bloquer ni l'investissement locatif ni les travaux d'amélioration. Auditionné par la mission, le responsable des propriétaires avançait le seuil minimum de 5% de rentabilité pour tout investissement. La législation proposée pourrait entraîner une baisse de ce seuil. Se pose alors de façon incontournable la question de l'encadrement des prix de vente, à notre avis indissociable de toute politique de régulation des loyers. )]

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Commentaire posté sur le site universimmo.com Je suis bailleur en Allemagne, pays que je connais pas mal (tout comme le marché locatif parisien). Il est difficile de comparer les 2 pays puisque la structure de l'habitat est beaucoup plus décentralisée en Allemagne. Les loyers sont meilleur marché (à part quelques micro-marchés tels que Munich, Stuttgart, Hambourg qui sont des villes chères), mais l'achat est aussi meilleur marché et ce que vous ne dites pas, c'est que les déductions fiscales pour les bailleurs sont beaucoup plus importantes qu'en France. Par ailleurs, il me semble que le marché est plus fluide, ce qui expliquerait aussi des problèmes moindres : j'utilise des baux conformes à la législation mais la superficie du logement n'y figure pas ; les indexations sont libres et prévues sur nos baux sur une durée de 5 ans ; les sorties ne donnent pas lieu à une foire d'empoigne. Ce ne sont que quelques exemples. )]

[1] site des expatriés francophones en Allemagne

[2] http://www.observatoire-des-loyers....

[3] Conseil d'analyse stratégique, Note d'analyse n° 230 "Le logement social pour qui ?", juillet 2011

[4] http://www.econlib.org/library/Enc/...