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Contraintes budgétaires : l'exemple de l'Australie

La récession des années 1990 marque une nouvelle ère en termes de politique budgétaire. L'augmentation du ratio dette/PIB des pays de l'OCDE les amène à réformer leur administration et parallèlement, des lois plafonnant les différents agrégats budgétaires sont introduites afin d'assurer la durabilité des efforts.

En dépit de deux crises des finances publiques dans les années 1980 et 1990 (voir graphique no 1), l'Australie est actuellement le pays industrialisé jouissant de la meilleure santé économique et financière. Dans une situation de quasi plein emploi et avec une dette de ses administrations publiques de 35% du PIB en 2013 (niveau exceptionnellement bas - voir graphique no 2), le pays se présente aujourd'hui comme un eldorado pour les travailleurs du monde entier [1] et le nouvel indicateur de l'OCDE mesurant la qualité de vie classe l'Australie en première position [2].

À noter, une caractéristique du fédéralisme australien : le Commonwealth est responsable de la plupart des recettes et des dépenses consolidées. De cette façon, la dette du pays est supportée à 67% par le palier fédéral.

Analyse des dépenses publiques australiennes selon le palier administratif (sans compter le niveau local) (2012-13), en milliards de dollars australiens

fédéral et Étatsfédéralfédéral (avec transfert aux États)États
en AUD 504,68 297,13 376,27 207,54
en % du total 100% 58,90% 74,60% 41,10%

Graphique no 1. Évolution du solde budgétaire du gouvernement australien entre 1979 et 1999

Source : Trading Economics. 2013. Australian government budget. En ligne

Graphique no 2. Évolution de la dette moyenne des pays dits avancés en pourcentage du PIB Pays dits avancés : Allemagne, Australie, Canada, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon.

Source : OCDE Sovereign Borrowing Outlook 2014.

1982 : Les prémices d'un cadre budgétaire de moyen terme

Comme la plupart des pays industrialisés, l'Australie se heurte dans les années 1980 à une forte récession économique. Le parti travailliste, alors au pouvoir, se lance dans une vaste réforme de la fonction publique. Le but est alors de repenser le rôle de l'État et de le rendre plus efficace. La modernisation durera deux décennies et permettra d'annuler la dette de l'Australie.

Parallèlement aux réformes structurelles, le gouvernement se dote en 1982 de 3 règles budgétaires :

  • limitant l'augmentation des impôts en pourcentage du PIB ;
  • limitant l'augmentation de la dépense publique en pourcentage du PIB ;
  • limitant la détérioration du solde budgétaire en termes absolu et en pourcentage du PIB.

L'objectif principal est de réduire le niveau d'emprunts de l'État et ce sans augmenter les prélèvements obligatoires et le fardeau fiscal qu'ils représentent pour les ménages et les entreprises. Les dépenses publiques doivent donc rester stables.

Dans un premier temps, cette « trilogie » se présente sous la forme d'engagements politiques et se caractérise par l'absence de toute base légale. De surcroît, les engagements se limitent à la durée de vie du Parlement, soit 3 ans en Australie. De manière générale, les limites sont respectées et les résultats sont tangibles : le solde budgétaire consolidé passe d'un déficit de 3,5% du PIB en 1983-84 à un surplus de près de 2% au bout de cinq ans (voir graphique n° 1 pour le seul palier fédéral). Les mesures sont maintenues au-delà de leur durée prévue. Cependant, la récession du début des années 1990 amène le gouvernement australien à soutenir l'économie par la demande.

L'année 1993 marque le retour de la croissance et de l'emploi. Le rapport FitzGerald, commandé par le gouvernement, met l'accent sur le niveau historiquement bas de l'épargne nationale, l'augmentation du niveau de dette publique et des déficits publics. Ainsi, le Labor Parti australien s'engage de nouveau à réduire les déficits : de 3,75% du PIB en 1993-94 à 1% en 1996-97. Malgré la victoire du parti libéral-national aux élections de 1996, l'objectif budgétaire est tout de même atteint, illustrant la nécessité transpartisane d'un retour à un cadre budgétaire de moyen terme.

1998 : Une contrainte budgétaire fondée sur des principes

L'année 1998 et la promulgation de la loi « charter of budget honesty act » marque un tournant dans la politique budgétaire australienne. Son mécanisme de contrainte budgétaire se singularise alors des autres pays de l'OCDE. La loi n'indique pas de limites numériques précises comme, par exemple, pour le Traité sur l'Union européenne (TUE) et les « critères de convergence » [3]. L'approche budgétaire australienne est dite discrétionnaire et est fondée sur des principes (principles-based approach). Le débat est alors ouvert au sein de l'OCDE entre les deux approches : principles-base versus rules-based. Mais, il parait évident qu'« une règle budgétaire ne sera jamais plus forte que la volonté politique de la respecter » [4]. Mais la loi australienne exige que le gouvernement publie annuellement une feuille de route spécifiant les objectifs budgétaires de long terme (fiscal strategy statement) ainsi que les mesures pour les atteindre. Le non respect des objectifs initiaux ne prévoit aucune sanction, toutefois le gouvernement doit reporter ses performances à travers des notes budgétaires (budget paper). L'introduction de ce cadre budgétaire assure de nouveau au Commonwealth une stratégie de moyen terme, prévoyant l'équilibre budgétaire au cours d'un cycle économique donné.

La flexibilité d'une telle approche, notamment lors de crises budgétaires imprévues, constitue le principal avantage. Le gouvernement peut alors utiliser des mécanismes de stabilisation allégeant le fardeau de la crise pour les acteurs les plus exposés et soulageant l'activité économique puisque l'équilibre se fait tout le long du cycle économique. Cependant, ce modèle comporte des risques. Il n'existe aucun moyen évident de situer l'année en cours par rapport au cycle. Il est souvent compliqué de prévoir avec précision la conjoncture. Dans certains cas, le gouvernement possède une marge d'interprétation considérable. Il peut, notamment par intérêt politique, laisser filer les déficits et repousser les objectifs d'équilibre budgétaire ou de surplus.

Aussi, nous remarquons qu'en 2006, l'Australian Government Futur Fund est inauguré. En y plaçant ses excédents budgétaires le gouvernement contribue ainsi à financer les futures retraites de ses fonctionnaires. Le fonds d'investissement est géré par l'exécutif. L'objectif est d'atteindre un financement de 140 milliards de dollars australiens en 2020.

2009 : Le cadre budgétaire à l'épreuve de la crise

L'Australie est le pays industrialisé qui a le mieux traversé la crise. Même si son taux de croissance s'est infléchi récemment suite à la fin de son « boom minier » (Voir encadré), il a crû de 16% entre 2007 et 2013, la moyenne de l'OCDE étant nulle. La réaction du gouvernement australien, jugée par Joseph Stiglitz comme l'une des meilleures politiques de relance jamais mise en œuvre [5], a été d'une ampleur exceptionnelle et rendue possible par les excédents dégagés depuis 1994. Le plan de stimulation a pu être décidé rapidement grâce à la flexibilité de l'approche budgétaire australienne. Et si l'Australie enregistre ses premiers déficits depuis les années 1990, le gouvernement central se muni, dès 2009, d'une nouvelle règle budgétaire limitant la croissance réelle des dépenses à 2%. Cette restriction sera maintenue jusqu'à ce que le solde budgétaire soit au moins de 1% du PIB.

La crise économique de 2008 est un élément fondateur en termes de contrainte budgétaire. Avant celle-ci, la croyance générale se résumait à limiter explicitement et numériquement les agrégats budgétaires. Mais la crise aura enseigné une leçon fondamentale : les règles budgétaires doivent être plutôt contraignantes lorsque les périodes économiques sont bonnes tout en permettant une marge de manœuvre quand l'économie est faible [6]. Pourtant, les lois d'équilibre budgétaire pré-crise autorisaient une expansion budgétaire lors de booms économiques (e.g. Espagne), et supposaient un resserrement pro-cyclique et politiquement difficile lorsque l'économie s'affaiblissait. Ainsi, nombre de pays suspendent tout simplement leur loi après la crise, sans clarifier de chemin de retour à l'équilibre. A cet égard, les législations nationales offrant le plus de flexibilité, qu'elle soit basée sur un cycle économique donné (e.g. Australie, Suisse) ou prévue par des clauses d'échappement explicites (e.g. Brésil), ont obtenu généralement de meilleurs résultats [7].

Comme nous le montrent les experts [8], l'introduction d'institutions budgétaires indépendantes paraît être le complément approprié à l'adoption de règles budgétaires. De plus, plus le modèle de contrainte est flexible (e.g. Australie), plus le besoin de transparence est élevé. Ainsi, en 2012, le Bureau parlementaire du budget (parliamentary budget office) est créé. Ce comité budgétaire est indépendant du pouvoir exécutif et rattaché au Parlement. Cette agence budgétaire (qui fait ses propres chiffrages contrairement au Haut conseil des finances publiques), supposée non partisane, prévoit l'évolution des différents agrégats budgétaires : déficits ; dépenses publiques ; recettes ; dette, en fonction des différentes mesures gouvernementales. Elle augmente le niveau d'information du Parlement et le degré de transparence budgétaire global. Ce « fiscal watchdogs » complète l'information du ministère des finances.

La fin du cercle vertueux du « boom minier »

L'économie australienne s'appuie depuis sa création sur l'extraction de ses ressources naturelles, autrefois l'or. Ces dernières sont aujourd'hui essentiellement composées de minerais de fer, de charbon, de gaz naturel liquéfié, mais aussi d'or, de pétrole, et bien d'autres minéraux (cuivre ; uranium ; aluminium ; zinc ; nickel, etc.).

Au cours des années 2000, l'expansion de la Chine et des autres pays émergents asiatiques a entraîné une forte croissance de la demande en minerai de fer, en charbon, ainsi que d'autres produits de leur sous-sol. Le niveau des exportations australiennes est alors fortement stimulé. En 2011-12, elles représentent 21% du PIB et 54% concernent les matières premières minières. Aussi, 70% des exportations totales sont à destination de l'Asie (29% Chine, 19% le japon, 8% Corée du Sud, 5% Inde). L'augmentation de la demande asiatique a eu pour conséquence le triplement du prix des matières premières entre 2003 et 2011, doublant les termes de l'échange et alimentant à partir de 2006 un flux massif d'investissements dans le développement de nouvelles mines. Ces financements appellent une activité accrue de support dans les secteurs de fourniture d'énergie, de construction ou de services. Les entreprises s'adaptent alors rapidement sans faire croître leurs coûts et attirent parallèlement une immigration importante, elle-même stimulant la demande intérieure.

L'année 2011 marque le pic des termes de l'échange. La hausse du dollar australien, le ralentissement de la demande chinoise et le fléchissement du cours des matières premières sont autant de facteurs expliquant cette dégradation. Le ministre des Finances australien, Chris Bowen, a annoncé lors de la présentation du dernier budget, que « l'Australie traverse une période de transition économique, résultant de l'arrivée à son terme du boom de l'investissement minier en Chine ».

Cela dit, l'impact du boom minier est considérable. La part du secteur minier dans le PIB et dans l'emploi a doublé en 8 ans passant de 9% à 18%. Il est à l'origine d'environ la moitié de la croissance des dernières années, l'inflation des ressources minières contribuant pour un tiers.

Pour autant, le boom a également engendré un partage inéquitable des bénéfices :

  • entre les régions minières et les autres ;
  • entre les secteurs d'activité liés à l'extraction et à l'exportation des ressources minières et les autres, et renforcé par une valorisation du dollar australien handicapant les autres activités exportatrices ;
  • également, 80% des actifs miniers appartiennent à des sociétés internationales.

Conclusion

En somme, le cadre budgétaire australien de moyen terme a permis dès la fin des années 1990 de dégager des surplus (voir graphique no 3).

Graphique no 3. Évolution du solde budgétaire du gouvernement australien entre 1999 et 2014 Source : Trading Economics. 2013. Australian government budget. En ligne

L'Australie qui comptabilisait 21% de dette nette en 1996-97 n'est plus qu'à 7% en 2000-01. Toutefois, ce désendettement est causé aux deux tiers par les gains des privatisations, le reste étant les excédents budgétaires [9].

L'instauration de règles budgétaires contra-cyclique est une étape indispensable à la durabilité des politiques publiques. Néanmoins, elles ne sont introduite qu'afin d'accompagner les réformes structurelles. Aussi, l'expérience australienne nous montre que les seuls engagements politiques restent fragiles et que la contrainte budgétaire doit, à un moment, se traduire légalement. La durabilité des bénéfices des réformes passe fatalement par des règles budgétaire inscris dans la loi ou dans la constitution. Aussi, le modèle australien semble être le plus adéquate au vu de sa flexibilité. Tout comme au Royaume-Uni, la loi australienne n'impose pas d'objectif numérique. En compensation, le gouvernement doit annuellement spécifier clairement les objectifs et les stratégies budgétaires dans le fiscal strategy statement. Il faut cependant prendre en compte que la conjoncture économique australienne depuis 1998 a permis au gouvernement de simultanément réduire les impôts, augmenter les dépenses et diminuer la dette. Et d'après les récentes études du Grattan Institute, l'Australie fait face aujourd'hui à un déficit structurel important (voir graphique no 4).

Graphique no 4. Évolution et décomposition du solde budgétaire du gouvernement australien entre 2003 et 2013

Source : Daley, John. 2013. Blancing budgets : Tough choices we need. Grattan Insitute. En ligne

Ainsi les prévisions de long terme du think tank présagent une dégradation continue des finances publiques due en partie à l'augmentation des dépenses de santé [10]. Aussi, la composante structurelle du déficit tend à remettre en cause le modèle de restriction budgétaire australien. Compte tenu de la bonne performance économique (taux de croissance élevé et recettes fiscales potentiellement optimales), de nouveaux efforts structurels importants devraient être fait.

[1] En 2010, 26,8% de la population australienne étaient nés à l'étranger, contre 21,3% pour le Canada et 12,6% pour la France. Pour l'année 2011, l'Australie se place en 4e position des pays de l'OCDE accueillant le plus de migrants : 0,97% de sa population.

[2] Voir OCDE Better life Index

[3] Afin de permettre une harmonie nécessaire à l'union monétaire, le TUE de 1992, ou traité de Maastricht, définit des restrictions économiques : le déficit budgétaire de chacun des pays doit être inférieur à 3% du PIB et l'endettement à moins de 60% du PIB.

[4] Blöndal, Jon R., Daniel Bergvall, Ian Hawkesworth et Rex Deighton-Smith. 2008. « Budgeting in Australia ». La revue de l'OCDE sur la gestion budgétaire, 8 (no 2). En ligne.

[5] Stiglitz, Joseph. 2013. Australia, you don't know how good you've got it. The Sydney morning herald. En ligne.

[6] FMI. 2013. Reassessing the role and modalities of fiscal policy en advanced economies. En ligne.

[7] ibid

[8] Fatas, Antonio. 2010. The Economics of Achieving Fiscal Sustainability. INSEAD. Academic consultants Meeting on Fiscal Sustainability. Board of governors, Federal Reserve. En ligne.

[9] Kennedy, Suzanne, Janine Robbins and François Delorme. 2003. The Role of Fiscal Rules in Determining Fiscal Performance. En ligne.

[10] Daley, John. 2013. Budget pressures on Australian governements. Grattan Institute. En ligne.