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Ce que la coûteuse gestion des impôts locaux signifie

Dans un très récent rapport paru le 1er février, la Cour des comptes s’intéresse à la gestion de la fiscalité directe locale par la DGFiP ; et le moins que l’on puisse dire est que ses performances sont plutôt médiocres. Ainsi que l’indique la Cour, « Les résultats de la DGFiP (…) sont moins bons [en la matière] que dans ses autres secteurs d’activité, alors même que cette tâche absorbe 14% de ses effectifs totaux et 17% de ses coûts complets : elle y consacre proportionnellement davantage de moyens qu’à d’autres missions dont les enjeux financiers sont supérieurs. »

Un constat difficile en termes de performance de gestion

En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : à eux seuls, les services départementaux et infra-départementaux en charge des impôts locaux représentent un chiffre total de 14.800 ETP, soit 13,7% des 109.068 agents titulaires en 2015 de l’ensemble de la DGFiP. Si l’on y ajoute les effectifs centraux, le total monte même à 15.375 ETP, ce qui aboutit à des effectifs nationaux concernés par la gestion des impôts locaux de l’ordre de 14,09%.

Si l’on regarde maintenant du côté des coûts complets, là non plus les références ne sont pas avantageuses, même si l’on extourne, comme nous y invite la DGFiP, les missions foncières des professionnels et des particuliers qui sont en réalité ventilés dans les coûts de gestion de la TH et de la TF (PNB/PB[1]). Il en ressort une dépense complète corrigée de l’ordre de 1,422 milliard d’euros.

Gestion TH

566

Gestion TF

456

Gestion CFE/IFER/CVAE/TASCOM

367

Missions foncières des professionnels et particuliers

810

Expertise et conseil dans le domaine fiscal du SPL en DDFiP

33

Total dépenses complètes

2 232

Total dépenses corrigées

1 422

Sources : Cour des comptes, rapport p.100 note 131.

Si l’on rapporte ce montant à l’ensemble des dépenses du ministère en 2015, soit 8,164 milliards d’euros, les coûts complets engendrés par la gestion de la fiscalité directe locale ressortent à 17,4% des dépenses. Par ailleurs celle-ci représente 79,11 milliards (sur un total de fiscalité locale gérée par la DGFiP de 85,1 milliards[2]). La totalité des impôts encaissés par la DGFiP en 2015 s’élevant à 578 milliards d’euros, le produit de la fiscalité directe locale gérée par le DGFiP ressort donc à 13,68%.

Le taux des dépenses budgétaires mobilisées pour la gestion locale (17,4%) dépassant largement le taux des produits des impositions directes encaissés par rapport au montant d’imposition totale (13,68%), de près de 3,7 points, il en résulte mécaniquement que le taux d’intervention de la fiscalité directe locale (soit le produit des dépenses sur les recettes collectées) est particulièrement mauvais. Il apparaît en effet à hauteur de 2,6% pour la TH, de 1,2% pour la TF et à 1,3% pour les impositions économiques (CET (cotisation économique territoriale dans ses deux composantes CFE et CVAE) à laquelle on ajoute l’IFER (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau et la TASCOM), quand le taux d’intervention moyen des impôts gérés par la DGFiP ressort à 0,86% en 2015.

Les résultats sont même encore pires si l’on s’intéresse aux coûts directs de la gestion de la fiscalité directe locale. Aux coûts administratifs (1,422 milliard) s’ajoutent les dégrèvements en gestion (1,702 milliard), les remises gracieuses (128 millions d’euros) et les admissions en non valeur (sommes irrécouvrables soit 586 millions d’euros), pour un total de 3,832 milliards d’euros.

Ces sommes sont à mettre en vis-à-vis avec les frais de gestion perçus par l’Etat et refacturés aux contribuables qui s’élevaient en 2015 à 2,358 milliards d’euros. Le différentiel par rapport  aux coûts directs de gestion aurait représenté un coût net théorique de 1,474 milliard d’euros. Malheureusement la plupart des frais de gestion facturés sont en réalité réalloués aux collectivités territoriales dans le cadre du Pacte de confiance et de responsabilité du 16 juillet 2013. Sur les 2,358 milliards de frais collectés, l’Etat n’en conserve que 876 millions, ce qui fait ressortir le coût direct net à 2,95 milliards d’euros au détriment de la DGFiP.

Des mauvais chiffres qui s’expliquent

Les raisons sont multiples à ces mauvaises performances :

  • En amont : on relève des dysfonctionnements en début de chaîne de production fiscale, avec de nombreux retards d’actualisation : défaillance des services de publicité foncière, erreurs déclaratives, traitements imparfaits. La fiscalité locale est complexe, le cadastre français représente plus de 100 millions de parcelles, 51 millions de locaux et 37 millions de propriétaires. En réalité c’est l’identification des occupants pour l’établissement de la TH qui pose problème aux services, bien davantage que la prise en compte des mutations immobilières et leur recoupement. Ainsi les 354 services de publicité foncière réalisent par exemple 9 millions d’opérations/an dont 2,1 millions de publications. Mais les délais de publicité foncière et les traitements en aval par les services fiscaux posent la question de la mise en place de déclaration obligatoires et la généralisation du livre foncier (organisation confinée pour le moment à l’Alsace Moselle). Par ailleurs, la généralisation du progiciel Télé@cte n’est toujours pas achevée au 1er janvier 2017. Enfin, le circuit d’information sur les autorisations d’urbanisme est défaillant, tandis que des rapprochements et vérifications par les services fiscaux restent limitées ;
  • En aval : les redevables des impôts directs locaux sont beaucoup plus nombreux que les redevables des impôts directs nationaux[3]. En effet les foyers payant l’IR étaient en 2015 17 millions représentant 46,5% des foyers imposables, tandis que 90% paient la taxe d’habitation. Cependant, « les résultats du recouvrement des impôts locaux sont les plus mauvais parmi ceux enregistrés pour les impôts directs ». Les demandes de remises gracieuses pour la TH sont par exemple deux fois plus nombreuses que celles formulées pour l’IR (414.067 contre 223.262), tandis que le coût du contentieux administratif est particulièrement lourd (893.181 affaires en 2014 pour la TH contre 1.134.043 affaires pour l’IR). L’ensemble des dégrèvements des impôts directs locaux (hors IFER, CVAE et TASCOM) représentant près de 1,7 milliard d’euros. Pourtant, « le recouvrement forcé n’est pas une priorité pour la DGFiP compte tenu de la dispersion des dossiers et de la faiblesse des sommes considérées. »

La Cour formule cependant des propositions précises (notamment s’agissant du renforcement de l’interopérabilité des outils informatiques, de l’utilisation de la déclaration d’IR et des distributeurs d’énergie (exemple de la Grèce) afin d’améliorer les recoupements, généraliser rapidement télé@acte, « utiliser le numéro invariant fiscal comme moyen obligatoire d’identification des locaux dans tous les échanges avec les services de la DGFiP », etc. Mais son constat reste sans appel : « la gestion de la fiscalité directe locale n’offre pas de gisements d’économies massifs ».

Pour un basculement de la TH sur l’IR

Le mandat de la Cour des comptes était de mener une réflexion à fiscalité constante. Nous proposons un autre chemin : celui de supprimer progressivement la TH et de la convertir en une imposition sur le revenu additionnelle à l’IR et arbitrable par les collectivités locales elles-mêmes. Cette réforme aurait plusieurs avantages :

  • Elle permettrait de passer d’un impôt de répartition à un impôt réellement de quotité ;
  • Cette réforme devrait permettre de supprimer progressivement la garantie implicite de l’Etat relative aux produits d’impôts votés. Elle diminuerait ainsi drastiquement les dégrèvements légaux d’imposition (ou au choix du législateur, ferait peser sur l’Etat tout au contraire la sécurisation des prélèvements à l’IR des collectivités) ;
  • La question des frais d’assiette ne se poserait plus, puisque l’ensemble des prélèvements seraient notifiés et encaissés avec les mêmes documents, n’occasionnant aucun coût supplémentaire et permettant d’aligner les taux de recouvrement de la TH sur ceux de l’IR (ils passeraient ainsi dans le cadre du taux de recouvrement au basculement de 94,05% à plus de 98%) ;
  • L’assiette serait indexée sur la croissance et sur le revenu réel des habitants, laissant à la fiscalité foncière le soin de capter l’imposition du patrimoine immobilier ;
  • Les exécutifs territoriaux seraient alors directement sensibles à la pression fiscale qu’ils exercent sur leur territoire. Cela permettrait par ailleurs de limiter les appels à maximaliser la pression fiscale à raison du potentiel fiscal communal, et à mieux gérer les budgets locaux (en fonctionnement comme en investissement) ;
  • Enfin, le basculement de la TH sur l’IR devrait être l’occasion d’élargir l’assiette de l’IR et de développer des tranches additionnelles en bas de barème spécifiques (via le mécanisme bien connu des superindictions). L’objectif étant de faire en sorte que 90% des foyers imposables soient désormais assujettis à l’IR au lieu des actuels 46,5% ; 
  • Dans la foulée, la décote pourrait être totalement supprimée, clarifiant et simplifiant du même coût l’IR ;
  • L’égalité entre les contribuables serait alors garantie dans le ressort de la TH actuelle c’est-à-dire à l’échelle de la commune ou du bloc communal en cas d’EPCI à fiscalité propre intégrée. Ce niveau permettrait un pilotage plus aisé des taux et des produits attendus avec les services fiscaux.

Dans cette perspective la TH évaluée à 21,7 milliards en 2015 pourrait être basculée progressivement sur l’IR à produit constant (basculement sec). Elle pourrait prendre le relais d’un IR progressivement débarrassé de ses majorations de taux en haut de barème et de ses exonérations en bas de barème proposées tout au long du quinquennat de François Hollande (soit un gain de 6 milliards d’euros pour 12 millions de ménages[4]). Ce rehaussement des produits de l’IR permettrait à due concurrence de basculer la TH pour 6 milliards d’euros et de l’annuler ainsi pour les catégories les plus pauvres. Resterait alors à faire basculer le restant pour 15,7 milliards d’euros (ce qui représente grosso modo l’augmentation de l’IR entre 2012 (59,51 milliards d’euros) et 2017 (74,8 milliards d’euros)), pour une intégration complète de la TH à l’IR en 2022.


[1] TH : taxe d’habitation ; TFPNB/TFPB : taxes foncières sur les propriétés non bâties et bâties.

[2] A noter que l’ensemble des produits fiscaux perçus par les APUL représentait 125,13 milliards d’euros pour la même année 2015, voir rapport p.15.

[3] Voir en particulier le dernier article sur le sujet du Figaro, en date du 13/04/2016 http://premium.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2016/04/13/29006-20160413ARTFIG00012-impot-sur-le-revenu-en-france-moins-d-un-foyer-sur-deux-est-imposable.php

[4] Voir rapport Rabault tome 1 annexé au PLF 2017, p.193 et suiv http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4125-tI.pdf