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Rapport Perruchot sur le financement des syndicats : la FNSEA aussi

L'embargo mis par les députés sur le rapport Perruchot aura renforcé les soupçons sur le financement des syndicats et fait monter l'attente, le « buzz ». Sa publication, réclamée par la Fondation iFRAP qui avait été auditionnée, permet de découvrir les circuits de l'argent des syndicats, employeurs comme salariés. Le monde agricole n'est pas exclu de cette enquête. Et pour le syndicat dominant, la FNSEA, des questions supplémentaires ont surgi sur le pouvoir que ces fonds lui procurent dans la nébuleuse qui administre l'agriculture.

Ressources de la FNSEA en 2010
FNSEA : 200 000 adhérentsMontants en millions d'eurosProportion des ressources en %
Cotisations 6,16 30
Financement du syndicalisme (subvention du ministère) 4,8 23
Participation paritarisme 4 19
Indemnités de mandat (1502 mandats : Chambres d'agriculture, CESE, …) 0,8 3,8
Produits financiers 0,56 2,7
Autres 4,68 21,5
Produit total d'exploitation et financiers 21 100

Au-delà de ces données officielles, le rapport s'interroge sur l'utilisation des 500 millions d'euros et des 7.800 salariés des Chambres d'agriculture : « De fait, la FNSEA et le Centre national des jeunes agriculteurs exercent une influence sans partage sur le réseau. Dans certaines situations, il en résulte une certaine confusion des genres assez troublante. » M. Puelch, sociologue au CIRAD « Une part importante des moyens financiers est fréquemment détournée dans l'intérêt des représentants du syndicalisme majoritaire. » (note : lire les témoignages complets dans le rapport).

De plus, la commission 1) n'a pas été en mesure d'évaluer les aides apportées par les collectivités locales à la FNSEA, 2) se pose des questions sur l'utilisation des 11,5 millions du Fonds d'incitation et de communication en agriculture (FICIA) et 3) s'étonne que les « frais liés aux administrateurs » de la Mutualité Sociale Agricole soient de 26,5 millions d'euros, un montant voisin de celui des administrateurs du régime général des salariés qui couvre 10 fois plus d'assurés.

Extrait du rapport Perruchot

« En soi, il n'y a rien d'original à ce que la FNSEA affiche un niveau de cotisations plus élevé que des organisations concurrentes comme la Confédération paysanne (8,5 %) ou le MODEF (25 %). Le fait est, cependant, que l'adhésion à ce syndicat se trouverait encouragée par la position qu'il occupe dans les différentes instances locales chargées de promouvoir l'installation des agriculteurs, certains allant jusqu'à affirmer que des aides seraient subordonnées à une souscription de cotisation. En attestent ces propos, tenus le 20 octobre 2011, à l'occasion de l'audition des responsables de la Confédération agricole des syndicats d'exploitants familiaux (MODEF) :

« M. Alain Gaignerot. Dans le syndicalisme majoritaire, l'adhésion paraît quasi obligatoire : il est de notoriété publique que, sans adhésion à la FNSEA ou aux JA, il est difficile d'obtenir des prêts – bien qu'il y ait eu une évolution en la matière depuis la fin du monopole du Crédit agricole –, d'agrandir son exploitation, voire d'obtenir des conseils juridiques : dans certaines chambres d'agriculture, le conseiller juridique suggère d'abord à l'agriculteur de prendre sa carte à la fédération départementale, la FDSEA. Bien sûr, de telles conditions ne sont jamais exposées par écrit. (…)

« Mme Estelle Royet. Sachez que lorsque je me suis installée, mon installation a été qualifiée de « hors cadre familial » : j'ai repris les terres de mon grand-père à son décès, mais mes parents n'étaient pas agriculteurs. Lorsque je suis revenue à la terre et lorsque j'ai fait mon parcours d'installation en tant que jeune agriculteur, je n'avais qu'une notion lointaine du monde syndical. Le « point info installation » était géré par les Jeunes agriculteurs et l'on m'a demandé – sans que, bien sûr, cela ne soit jamais écrit – d'adhérer à cette organisation pour que la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA) me soit plus favorable. Cette commission, je le rappelle, examine les dossiers d'installation dans le cadre d'une procédure qui permet d'obtenir des aides, sous forme de prêts bonifiés européens notamment. Comme j'ai refusé d'adhérer aux JA, j'ai perçu une dotation d'installation aux jeunes agriculteurs (DJA) minimale.

« M. le rapporteur. Si vous aviez adhéré, vous auriez eu un avantage plus important ?

« Mme Estelle Royet. J'ai fait mon stage de formation chez le président des Jeunes agriculteurs et je vous avoue que cela ne s'est pas très bien passé…

« M. le rapporteur. Il vous a reproché de ne pas avoir adhéré ?

« Mme Estelle Royet. Tout à fait ».

De telles critiques jettent le trouble, notamment en ce qu'elles pointent un mécanisme contradictoire avec le principe de libre adhésion à une organisation représentative.

Note : JA est la section jeunes Agriculteurs de la FNSEA ; FDSA la fédération départementale de la FNSEA

La tentation du monopole d'embauche

La suite du rapport donne une idée de la complexité des mécanismes de financement des syndicats agricoles et conforte la déposition des témoins :

« Dans le cas du syndicalisme agricole, certains mécanismes de cotisations obligatoires indirectes [1] prélevées notamment par des coopératives au profit d'associations de producteurs qui en reversent le montant à l'organisation bénéficiaire, privilégient les adhésions aux syndicats dominants (la FNSEA et le Centre national des jeunes agriculteurs) et entretiennent ainsi la position de force de ceux-ci, tant sur le plan financier que sur celui de la représentativité. »

Autre centre de pouvoir, les Sociétés d'Aménagement Foncier et Rural. Elles ne sont pas mentionnées dans le rapport mais ont un rôle clef dans le contrôle du monde agricole. Ces 26 sociétés privées décident, parmi toutes les terres et propriétés agricoles qui sont à vendre, lesquelles elles achètent de gré à gré, ou préemptent, éventuellement en faisant baisser leur prix de vente. Elles choisissent ensuite l'un des candidats acheteurs (parmi une dizaine en moyenne), moyennant une commission de 6 à 12% du prix total. Un pouvoir quasiment discrétionnaire vu la latitude de décision laissée aux SAFER par le flou des critères de choix et qui peut être inquiétant pour les candidats qui n'adhèrent pas au syndicat majoritaire. Deux commissaires du gouvernement par Région sont censés les contrôler mais semblent bien impuissants, seuls, très loin du terrain dans leur préfecture et face aux salariés (1.000) et délégués des SAFER qui quadrillent sans arrêt la campagne.

La biographie des responsables des organismes agricoles montre l'intimité entre les différents organismes agricoles (Chambres d'Agriculture, SAFER, FNSEA, Jeunes Agriculteurs, Commission départementale d'Orientation Agricole, Contrôle des structures, Droit d'exploiter, Commissions de gestion des quota…)

« Le conseil d'administration de la Fédération Nationale des Safer (FNSafer) a élu Emmanuel Hyest [2] à sa présidence. Agriculteur, il a été président du CDJA de l'Eure et administrateur du CNJA. Il est aussi élu de la chambre d'agriculture de l'Eure depuis 1989, membre du conseil d'administration de la FNSEA depuis 2005 et président de la Safer de Haute-Normandie depuis 2008. » A la tête de la FNSafer, il remplace André Thevenot, aux avants-postes des syndicats et notamment de la FNSEA depuis le début des années 80. » Au niveau du dessus, Jean-Michel Lemétayer, après avoir été président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) pendant 10 ans, est maintenant président des chambres d'agriculture. Une proximité qui rend vraisemblables les affirmations des deux témoins cités ci-dessus et justifie l'inquiétude de la commission.

Pour les syndicats comme pour les entreprises, le monopole est très tentant. En France, le syndicat des dockers ou celui des ouvriers du livre ont longtemps réussi à l'imposer. A l'étranger le « closed shop » était la règle dans de très nombreuses entreprises du Royaume-Uni et des États-Unis. Il est remarquable que dans tous ces pays, les secteurs où un syndicat contrôlait les embauches ont tous périclité et qu'il a fallu des faillites ou des réformes énergiques pour y mettre un terme. Une raison de plus pour refuser la confusion entre les syndicats et la gestion des entreprises agricoles.

[1] A ne pas confondre avec les cotisations volontaires obligatoires (CVO) prélevées sur tout ou partie des acteurs de filières agricoles (producteurs, transformateurs, négociants etc.) en vue de financer le fonctionnement des organisations interprofessionnelles. Ce dispositif de prélèvement, créé par la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole, repose le plus souvent sur des accords étendus et rendus obligatoires à l'ensemble des membres de la filière par arrêté des ministres chargés de l'agriculture et des finances. Dans son rapport public annuel de 2007, la Cour des comptes estimait le montant total des cotisations volontaires obligatoires à quelque 300 millions d'euros et soulignait le dynamisme de ces recettes. En outre, dans son rapport public de 2002, elle avait relevé le fait que le fonds d'action stratégique des oléagineux (FASO), géré par la société financière des oléagineux et protéagineux (Sofiproteol), avait servi à contribuer au financement du bureau de la FNSEA à Bruxelles en 1995 et 1996. Ces faits ont donné lieu à une procédure judiciaire et à une régularisation depuis. Il reste que, pour reprendre les observations formulées par la Cour en 2007 : « Les interprofessions financent parfois les organisations professionnelles qui les composent en leur reversant une part des CVO que celles-ci ont décidées. Le motif en est soit d'indemniser leur participation au financement de l'organisme, ceci sans fondement évident, soit de rétribuer l'exécution de missions que l'interprofession leur délègue. Dans cette dernière hypothèse, les versements effectués mériteraient d'être précisément contrôlés pour éviter que les CVO ne s'avèrent des cotisations syndicales de fait. » (rapport public 2007, p. 68).

[2] Messieurs Hyest et Thevenot ont exprimé à la Fondation iFRAP leur ferme volonté d'équité envers tous les agriculteurs, mais cela semble difficile à mettre en pratique sur les 550.000 km2 du territoire français