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Logement : un pas de plus vers la planification

Le logement est sous les feux de l'actualité cette semaine avec la présentation du projet de loi qui relève le pourcentage de logements sociaux prévu par la loi SRU et prévoit la mise à disposition de terrains par l'État aux collectivités. Il s'agit là de deux engagements présidentiels de François Hollande qui s'ajoutent aux mesures déjà prises en juillet d'encadrement des loyers et de relèvement du plafond du livret A.

Le diagnostic sur lequel reposent ces mesures est simple : il s'agit d'agir sur la crise du logement en augmentant le quota de logements sociaux, particulièrement dans les communes récalcitrantes. Et pour parvenir à construire plus de logements sociaux, la mise à disposition de terrains publics doit permettre d'abaisser le coût du foncier qui représente jusqu'à 25% du coût final de construction et handicape les bailleurs sociaux dans leur politique de développement.

Il s'agit donc de propositions à la fois coercitives et volontaristes : la ministre du Logement a déclaré au Parisien "La loi SRU a fait son temps […], il fallait l'améliorer, notamment en la rendant plus sévère." Les amendes seront donc plus lourdes pour les communes qui ne respectent pas le pourcentage. Elles sont actuellement fixées à 140 euros par logement manquant plafonnées à 5% du budget global de fonctionnement, déduction faite des dépenses de logement engagées. Ce qui donne un montant global de pénalités versées de 23 millions d'euros pour 2012. Il est prévu une multiplication par 5 des pénalités financières et le plafond devrait passer à 10%, dans l'intention de forcer la main à certains maires qui préfèrent payer l'amende plutôt que construire.

Mais plusieurs élus appellent à tempérer le caractère contraignant des mesures annoncées : c'est notamment le cas de Philippe Dallier, Sénateur UMP de Seine St Denis qui déclarait en juillet à l'occasion des journées parlementaires sur le logement que la multiplication par 5 des pénalités représenterait un prélèvement massif pour sa commune de Pavillon-sous-Bois qui doit aussi financer des équipements publics que la population lui réclame. On peut d'ailleurs se demander si en plus d'un minimum de logements sociaux le gouvernement ne devrait pas fixer un maximum, certaines communes atteignant 50% de logements sociaux avec la dimension clientéliste qui en ressort.

Pour les communes qui sont en zones tendues, l'objectif de 20% est déjà difficile à tenir sur le flux, alors sur le stock il se révèle extrêmement ardu à mettre en œuvre. Il faut pour cela revenir sur les règles d'urbanisme particulièrement complexes et la possibilité d'augmenter la densité. C'est aussi le cas en province comme l'a indiqué le sénateur Louis Nègre, sénateur des Alpes-Maritimes (PACA fait partie des zones tendues en matière de logement) à l'occasion de la discussion sur le rapport DALO : "Mon département cumule les contraintes de la loi littoral, de la loi montagne et de la loi sur les risques naturels majeurs. Dans un secteur que je connais, les Alpes-Maritimes, 60% du territoire est interdit à la construction. L'avions-nous anticipé, dans notre sagesse de législateurs ? "

Reste enfin la question du financement : pour construire, les bailleurs sociaux ont besoin d'aides publiques qui sont aujourd'hui remises en cause avec la crise. Les opérations ne sont bien souvent bouclées qu'avec l'appui des collectivités locales mais celles-ci se retirent, elles aussi contraintes par la crise de l'immobilier qui fait baisser leurs recettes en droits de mutation, et la crise des finances publiques qui fait baisser leurs dotations. C'est particulièrement vrai pour les collectivités de la couronne parisienne, les plus sollicitées en logement social. Idem pour le 1% logement qui voit ses ressources ponctionnées. Face à la baisse des aides, les bailleurs sociaux peuvent se tourner vers les ressources procurées par le livret A, mais cela implique d'augmenter leur endettement dans un contexte tendu : les coûts augmentent, pas les loyers. Les organismes HLM procèdent donc de plus en plus à la vente de logements sociaux pour reconstituer leurs fonds propres et financer de nouveaux programmes. Pour le groupe HLM 3F, cela représente 90 millions d'euros de cessions de vente en complément des 120 millions d'euros d'autofinancement. Mais la législation veut que ces logements vendus sortent du quota de la loi SRU au bout de 5 ans ! Quant à l'obligation d'intégrer à un programme de promotion 25% de logements sociaux, de nombreux témoignages de constructeurs expliquent qu'elle contribue à accroître le prix des autres appartements libres du même immeuble. La perte budgétée est reportée sur les autres appartements avec un risque de mévente qui peut conduire l'opérateur à diminuer le nombre de logements construits. Ce qui limite l'offre avec un effet sur les prix comme l'explique Vincent Bénard [1].

Pour résoudre ce cercle vicieux, le gouvernement en est venu à un certain pragmatisme : le passage de 20% de logements sociaux en 2020 à 25% en 2025 ne sera pas uniformément appliqué sur le territoire. Autrement dit il y aura un recentrage : actuellement, les communes de plus 3.500 habitants (1.500 en IDF) sont soumises à la loi SRU. Mais le passage à 25% ne concernera pas celles "dans lesquelles le parc de logements existants ne justifie pas un effort de production supplémentaire pour répondre à la demande" [2]. La ministre répond ainsi à une critique forte qui était soulignée par le rapport que la Cour des comptes avait consacré au zonage des aides à la construction, à savoir : "En 2009, selon le ministère chargé du logement, 75% des logements sociaux étaient construits là où n'existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25% l'étaient dans les zones les plus tendues ." Ce point mérite qu'on s'y arrête car la Cour des comptes avait aussi révélé que dans le cadre du plan de relance, le déclassement de communes de "tendues" à "moins tendues" avait été repoussé pour soutenir le secteur du bâtiment et de l'immobilier. Celui-ci fait à nouveau face à une crise sévère : les parlementaires devront donc être inflexibles pour ne pas transformer le logement social en politique de lutte contre le chômage.

L'autre mesure phare du projet de loi : les terrains publics mis à disposition des collectivités locales par l'État. Aujourd'hui le coût du foncier est particulièrement élevé dans les zones tendues. Le ministère du Logement indique : "Le coût d'acquisition du foncier représente en moyenne, en fonction des zones considérées, entre 14 et 24% du coût de revient d'une opération de logement social. Au-delà des chiffres, il ressort que les coûts du foncier dans les zones tendues empêchent dans certains cas d'équilibrer financièrement les opérations de logement comportant du logement social."

Mais ce point n'est pas non plus sans poser de questions : la localisation tout d'abord. Sur les 900 terrains publics annoncés [3], il y en a 375 en IDF, 40 en PACA et 62 en Rhône-Alpes qui sont les régions "les plus tendues". La mise en œuvre ensuite : il s'agit de cessions à titre gratuit. Actuellement il est prévu une décote pour logement social pouvant aller jusqu'à 35% pour un terrain public cédé pour un programme de logement social. Le projet de loi prévoit de porter cette décote jusqu'à 100%. Si ce texte peut se révéler efficace pour les bailleurs sociaux, il l'est beaucoup moins pour les finances publiques. Le manque à gagner sera important : on peut l'estimer entre 7 et 15 milliards d'euros [4]. Certains parlementaires dénoncent cette vision strictement budgétaire : "pour l'État, céder ses terrains inutilisés, ce n'est pas brader son patrimoine, c'est investir". Mais les établissements publics que le gouvernement entend mobiliser ne voient pas les choses de la même façon : ainsi l'Assistance publique, VNF, SNCF, RFF, ou encore la RATP, devraient apporter leur contribution à cette mobilisation foncière. Pour RFF par exemple, la vente des terrains publics délaissés a rapporté 156 millions d'euros en 2010 et 100 millions en 2011, a indiqué Les Échos. Lorsque l'on sait que l'établissement public a un endettement de plus de 30 milliards d'euros et doit urgemment investir dans la rénovation du réseau ferroviaire, lui demander de renoncer à ses recettes patrimoniales est un contresens économique. Sans compter qu'il s'agit bien souvent de terrains publics "bruts" c'est-à-dire qu'il faudra démolir, dépolluer et aménager, et là, qui paiera ? Le projet de loi devrait être cependant bénéfique pour les finances locales car les mairies se livrent jusqu'à présent à une politique de préemption coûteuse. A Paris par exemple, la mairie s'est fixé l'objectif d'atteindre les 20% de la loi SRU en 2014, c'est-à-dire en anticipant sur l'échéance de 2020 avec une politique d'acquisition agressive. Mais à quel prix ? La mairie a par exemple exercé son droit de préemption pour la création de logements sociaux, avenue George-V dans le 8e ! Le coût est double pour les finances publiques : il faut payer la prime de préemption au vendeur et revendre avec décote au bailleur social pour que celui-ci puisse monter une opération financièrement équilibrée… Ce qui coûte une fortune aux contribuables locaux.

Derrière le volontarisme affiché, on peut se demander si les ambitions du gouvernement en matière de logement social sont réalisables ? Ambitions fixées à 150.000 logements sociaux nouveaux par an, car la ministre souhaite répondre au 1,7 million de personnes en attente d'un logement social. Mais cette politique ne sera pas suffisante car elle n'agit pas sur la mobilité résidentielle qui figure parmi les leviers essentiels reconnus par tous les économistes pour résoudre la crise. Sur les 1,7 million de demandeurs, la moitié sont déjà locataires dans le parc social et attendent une réaffectation dans un logement plus adapté à leurs attentes. On sait pourtant que près de 380.000 logements HLM sont en sous-occupation tandis que 450.000 logements sont en situation de surpeuplement. De même les études de l'INSEE ont montré que 455.000 ménages locataires de HLM appartiennent aux trois derniers déciles de revenus. Une situation due au droit au maintien dans les lieux qui empêche toute mobilité dans le parc social ! Le taux de rotation n'est que de 10% lorsqu'il atteint près de 30% dans le secteur libre [5]. Autant de logements qui pourraient être mieux attribués et dont la construction va peser sur les finances publiques. Selon l'USH, l'aide budgétaire moyenne délivrée en 2010 par logement ressort à 3.900 euros même s'il y a des différences bien sûr entre logements et entre territoires. Libérer des logements par une plus grande mobilité dans le parc social permettrait d'économiser plus d'un milliard d'euros en nouvelles constructions. Une économie substantielle. Et surtout cela éviterait de franchir un nouveau pas dans l'encadrement et la planification d'un marché du logement déjà géré de façon très interventionniste.

[1] Économiste, auteur de "Logement : crise publique, remèdes privés"

[2] La liste des agglomérations pour lesquelles le taux de 20% sera maintenu, sera déterminée par décret selon trois critères : le nombre de demandeurs de logements sociaux rapporté au nombre de logements disponibles à la location, le taux d'effort des ménages logés dans le parc privé, mesuré à l'aune du nombre de bénéficiaires de l'allocation logement, le taux de vacance dans le parc public (hors vacance technique).

[3] Chiffre qui devrait être confirmé, la première liste publiée n'était pas à jour…

[4] En 2011, dans les villes de plus de 150 000 habitants, le prix moyen des terrains à bâtir atteignait 770 €/m² au centre et 390 € en périphérie. D'ici à 2016, le gouvernement prévoit la cession de 930 sites, qui représentent 2.000 hectares de terrains publics.

[5] en IDF, il est de 6% dans le secteur HLM et 27% dans le secteur libre !