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Les biocarburants : une solution d'avenir ?

En France, les biocarburants sont distribués pour la circulation automobile sous deux formes : le biodiesel en addition du gazole (jusqu'à 5% d'un plein) et le bioéthanol en addition à l'essence (jusqu'à 10%). Pour élargir le recours aux biocarburants en France et espérer atteindre les objectifs de baisse des prix à la pompe, de réduction de notre dépendance énergétique et de celle de nos émissions de gaz à effet de sphère, il est nécessaire de changer les habitudes anciennes des consommateurs, mais aussi des agriculteurs ou des industriels de l'énergie.

Le transport routier mondial dépend presque exclusivement des énergies fossiles non durables et polluantes. La consommation d'énergie tourne autour de 2,5 milliards de tonnes équivalent pétrole dont seulement 45 millions de carburants alternatifs : gaz de pétrole liquéfié, biocarburants, gaz naturel… Si la demande pétrolière de la planète continue de s'accroître (de 1,7% à 2,1% en moyenne sur les 25 à 30 prochaines années selon l'OCDE), la plupart des grandes zones de production hors OPEP offrent des perspectives limitées de développement. La production de la mer du Nord qui représente près de 6% de l'offre mondiale a désormais entamé son déclin, ce qui est également le cas pour les principales zones actuelelment en production en Afrique et en Asie. Seuls les pays pétroliers du Moyen-Orient, d'Amérique du sud (Brésil, Guyane …), de la zone arctique, de la zone de la mer Caspienne (Kazahkstan) et de la Méditértannée orientale (Chypre, Israël) et les pétroles extraits des sables bitumineux (Canada) semblent désormais être en mesure de satisfaire l'accroissement de la demande mondiale à long terme.

Les biocarburants en France

Les biocarburants ont été introduits en France en 2005, ni dans un but environnemental ni pour réduire le prix des carburants à la pompe. L'objectif était avant tout de soutenir la filière agricole en permettant alors aux agriculteurs de compléter leurs revenus quand les prix de leurs productions végétales étaient très bas. Ils permettaient également d'utiliser les jachères rendues obligatoires dans le cadre de la première réforme de la PAC pour réduire la production et faire remonter les prix. On estime aujourd'hui que les biocarburants ont permis la création ou le maintien de 18.000 emplois [1] dans un secteur non délocalisable, et qu'ils constituent un débouché supplémentaire pour les agriculteurs, ce qui ne peut qu'influencer à la hausse les prix de vente des matières premières agricoles (blé, maïs, sucre de betterave, colza…). L'éthanol et le biodiesel utilisaient en France en 2011 pour la culture de leur matière première, un peu moins de 6% de la surface agricole utile. L'éthanol a tout particulièrement eu un impact positif sur l'agriculture française en permettant de compenser la perte de surface cultivée résultant de la réforme du marché mondial et européen du sucre qui a restreint la capacité exportatrice de la France pour ce produit. Les biocarburants que l'on peut donc produire en France semblaient être à la fois bénéfiques à notre agriculture tout en nous permettant de nous engager sur la voie de l'indépendance énergétique. Les biocarburants peuvent également être vus comme un atout économique pour la France puisque celle-ci est désormais le troisième exportateur mondial de ces produits agricoles derrière les USA et le Brésil, ce qui peut constituer un moyen de rééquilibrer notre balance commerciale, la France important 65 millions de tonnes de pétrole par an.

Sur le plan environnemental, les biocarburants ont tout d'abord bénéficié d'un a priori positif puisque, contrairement aux énergies fossiles, ils ne rejettent dans l'atmosphère que ce qu'ils ont capturé pendant leur phase de croissance. On se rend toutefois rapidement compte que leur production (engrais, traitemsnts, culture, fabrication du biocarburant) consomme des quantités importantes d'énergie issue du pétrole, et que leur énergie par unité de volume est plus faible que celle des carburants fossiles. Autrement dit, on consomme plus de biocarburant que de pétrole pour parcourir la même distance. Les biocarburants sont également à l'origine de phénomènes de déforestation, de changements d'affectation des sols et d'atteintes à la biodiversité. Ce constat n'a toutefois pas remis en cause le recours aux biocarburants bien que le Grenelle de l'environnement ait demandé la mise en place d'un usage systématique aux biocarburants de deuxième génération estimés plus « propres ». Par ailleurs, il n'existe pas de source d'énergie neutre même parmi celles qui semblent les plus vertes : le photovoltaïque nécessite le recours au cadmium dont on ne sait que faire des déchets, l'énergie hydraulique favorise l'érosion des sols et les changements d'écosystème.

Les biocarburants sont désormais accusés de concurrencer les cultures alimentaires comme l'ont montré les émeutes de la faim dans les pays émergents. Ces remarques concernent également les pays développés puisque de nombreuses études ont montré que la hausse du prix des produits alimentaires aux États-Unis est liée au recours toujours plus grand aux biocarburants. Ainsi, cette année, 37% de la production de maïs sera affectée à la production d'éthanol. Selon certains, il n'existerait toutefois pas en France ou en Europe de conflits entre les cultures à usage alimentaire et celles destinées à la production de biocarburants : un réservoir de terres de 400.000 hectares en France serait disponible en remettant en culture une partie de la jachère encore imposée pour des raisons environnementales.

Les biocarburants, un outil pour baisser les prix à la pompe ?

On estime aujourd'hui que le recours aux biocarburants, même s'il n'a pas fait baisser massivement les prix de l'essence a en tout cas permis de limiter la hausse des prix du pétrole brut sur le marché mondial. C'est ce constat, accompagné d'une forte volonté de soutien à l'agriculture, qui explique les exonérations fiscales mises en place par l'État pour soutenir les filières éthanol et biodiesel. L'État a ainsi mis en place des exonérations fiscales importantes, d'abord pour compenser leur surcoût de production par rapport à l'essence fossile, et plus récemment pour se protéger des importations de biocarburants (tout particulièrement américaines et brésiliennes), le tout leur garantissant de couvrir le montant des investissements nécessaires. De telles dispositions ont coûté aux pouvoirs publics 820 millions d'euros entre 2005 et 2010.

Curieusement, ces dépenses ont été compensées par le surplus de consommation de ces carburants moins énergétiques, et donc par les taxes supplémentaires qu'a touchées l'État grâce à la hausse du prix du carburant. En effet, le prix du baril de brut ne représente qu'à peine 30% de ce que coûte un litre d'essence tandis que le reste se répartit entre la TVA (26%), la TIPCE [2] (32%), et la marge des distributeurs (12%.) Autrement dit, c'est bien le consommateur qui, avec l'augmentation des prix à la pompe, a compensé le coût des subventions versées par l'État.

Cependant lorsque l'on regarde précisément combien les biocarburants ont coûté aux consommateurs, on se rend compte que les sommes engagées par litre sont faibles. C'est ainsi que sur la période mi-2005 mi-2010, alors que les prix du gazole et de l'essence ont augmenté respectivement de 13 et 20 centimes par litre, le surcoût des biocarburants pour les conducteurs fut, en moyenne, de moins de 1 centime par litre de carburant dont la moitié au titre des taxes d'État. Quant aux carburants qui contiennent le plus de biocarburant comme le SP95-E10, l'automobiliste paie même moins cher à la pompe : cette essence qui sera la référence européenne fin 2013 contient 10% de bioéthanol et coûte en moyenne 4 centimes de moins à la pompe que le SP95. Même en tenant compte d'une consommation supérieure comme nous l'avons vu à celle de l'essence traditionnelle, le consommateur économise toujours 2 centimes par litre. Quant au superéthanol E85, le carburant destiné aux véhicules « flex-fuel » [3] ; son prix à la pompe est de 0,90 € par litre, ce qui permet au conducteur moyen d'économiser 450 euros par an.

Conclusion

Il est aujourd'hui impossible de mesurer le véritable coût des biocarburants puisqu'il est à la fois largement subventionné par le contribuable tout en permettant au consommateur de bénéficier d'économies lors d'un plein d'essence, mais sans qu'il sache clairement qu'il va consommer plus. Il n'existe ainsi que très peu de données transparentes et consensuelles sur les coûts des biocarburants à l'exception notable d'un rapport de la Cour des comptes qui signale la difficulté qu'elle a eue à accéder à certaines d'entre elles. Ces informations sont d'autant plus importantes qu'un marché international existe avec les règles habituelles de l'OMC. Il est donc temps de mettre en libre accès ces données.

Le progrès décisif, celui qui justifierait le recours aux biocarburants et assurerait leur pérénité, consiterait dans le développement d'une nouvelle génération de biocarburants, à la fois moins chère et moins consommatrice de produits agricoles "nobles" (utilisant, schématiquement, la tige et les feuilles - la biomasse - et non plus les précieux épis). Il nécessite des entreprises françaises un fort investissement dans la Recherche et Développement en impliquant les centres de recherches universitaires experts dans ce domaine, les industriels du secteur énergétique, agricole et forestier. Le crédit d'impôt recherche (CIR), ce moyen révisé en 2008 de développer les relations entre la recherche universitaire et les entreprises, permet aux entreprises un crédit d'impôt de 30% des dépenses de recherche et développement de 100 millions d'euros et 5% au-delà de ce montant. Le grand succès de ce dispositif (34% des entreprises ont déclaré des dépenses de R&D pour bénéficier du CIR dès la première année) peut être un moyen efficace de promouvoir la recherche dans le domaine des biocarburants.

La Commission Européenne a exprimé à de nombreuses reprises son souhait de la mise en place d'un marché européen « transparent » en ce qui concerne les biocarburants. Cela devrait passer par une harmonisation des conditions fiscales dans l'ensemble des pays de l'UE, ce qui signifierait par conséquent un abandon ou en tout cas une limitation des préférences nationales comme c'est aujourd'hui le cas en France. Un tel changement permettrait probablement une baisse du prix des biocarburants par les mécanismes traditionnels de concurrence.

La Fondation iFRAP publiera la semaine prochaine une nouvelle note sur le sujet du développement des gaz de schiste en France

[1] D'après le rapport de la Cour des comptes portant sur la politique d'aide aux biocarburants de janvier 2012

[2] TICPE : taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques, ex TIPP[[TICPE : taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques, ex TIPP

[3] La technique dite « Flex fuel », encore appelée VCM (Véhicule à Caburant Modulable), désigne un système d'alimentation et carburation d'un moteur à explosion qui permet d'utiliser indifféremment des carburants comme l'essence, l'éthanol, ou encore une combinaison des deux. Ces véhicules sont tout particulièrement conçus pour fonctionner au superéthanol E85. Le modèle de voiture « Flex fuel » le plus connu est le modèle Taurus de Ford lancé en 2005.