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La Cour des comptes dénonce la gestion du CE d'EDF

La Cour des comptes consacre à nouveau un rapport aux institutions sociales des industries électriques et gazières. Sous le titre « une réforme de façade, une situation aggravée », la Cour dénonce à nouveau de nombreuses irrégularités : pertes importantes (60 millions d'euros), procédures judiciaires… mais surtout le versement, avec l'argent du Comité d'entreprise d'EDF (1% du chiffre d'affaires de l'entreprise nationale d'électricité) de compléments de rémunération pour alléger la perte en salaire des électriciens grévistes.

[(Les institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières (IEG) gèrent, pour le personnel et les pensionnés de la branche électrique et gazière (principalement ceux d'EDF et de GDF-Suez), les activités sociales habituellement gérées par les comités d'entreprise, ainsi que des prestations complémentaires en matière d'action sanitaire et sociale. Elles regroupent :

- la caisse centrale des activités sociales (CCAS) qui gère les activités sociales de dimension nationale ; le réseau local de la CCAS (23 territoires et 82 antennes) assure également l'accueil et l'information des bénéficiaires ;
- 69 caisses mutuelles complémentaires et d'action sociale (CMCAS), qui gèrent les activités sociales de dimension locale et distribuent des prestations sanitaires et sociales ;
- environ 600 sections locales de vie (SLV), qui accueillent et informent les bénéficiaires ;
- un comité de coordination, qui, au niveau national, représente les CMCAS et, dans une certaine mesure, coordonne leurs activités.

Les activités et prestations sociales gérées par les institutions du personnel des industries électriques et gazières (IEG) bénéficient, en 2011, à un peu plus de 652.000 électriciens et gaziers (dont environ 146.500 actifs, 154.000 titulaires de pensions, notamment de retraite, et 351.500 ayants droit). En 2009, la CCAS disposait de moyens estimés à environ 710 M€. Entre 2005 et 2009, les institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières ont reçu 2,3 Md € des employeurs.)]

Décrivant une organisation complexe et hypertrophiée, la Cour relève une constitution de trésorerie sur les recettes du 1% qui au lieu d'être reversé aux différentes caisses a fait l'objet d'une réserve « consistant en l'attribution d'un complément de rémunération à des salariés ayant subi une perte de rémunération en début d'année, y compris pour motif de grève. Le conseil d'administration de la CCAS et le comité de coordination avaient, au préalable, délibéré sur la nécessité pour les CMCAS de mettre en place des dispositifs solidaires pour les pertes de rémunération engendrées par les journées de grève ». Ce que la Cour dénonce comme un détournement des missions des institutions sociales du personnel. Et explique sans doute la toujours très forte mobilisation des entreprises publiques dans les mouvements de grève.

De même, l'opacité règne sur les ressources extra-statutaires, comprendre mises à disposition de moyens et de personnels. La Cour rappelle que les employeurs ont accepté 923.100 heures en 2009, au titre des absences sociales, soit l'équivalent de 586 postes à temps plein, soit 11% d'emplois en plus en 2009. Entre autres explications, « les conseils d'administration des CMCAS comportent un nombre élevé de membres au regard de l'étendue des missions de ces organismes, (24 membres dans le cas général et 18 pour les caisses les plus petites). (…) A cet égard, on notera que 66 CMCAS sur 69 comptent plus d'administrateurs que d'employés. ». Ce travers, nous l'avions également dénoncé pour les comptes des syndicats en réclamant la transparence des comptes et des ressources tant financières que sous forme de mises à disposition de personnels ou de moyens. C'est la seule façon de contrôler l'usage des fonds et de savoir si ceux-ci sont dépensés conformément aux missions, déjà très étendues, et pour lesquelles les syndicats comme les comités d'entreprises reçoivent des versements planchers.

Ce rapport revient aussi sur plusieurs originalités de ces institutions qui ne sont plus admissibles avec l'ouverture à la concurrence et qui sont largement plus favorables que les positifs similaires pour les entreprises privées.

Tout d'abord, il s'agit d'institutions de branche qui s'appliquent et gèrent les avantages des salariés de toute la branche. Les entreprises nouvellement entrées ont cru pouvoir y échapper au titre qu'elles assuraient (seulement) la distribution d'électricité ou de gaz mais la loi NOME de 2010 a bien veillé à étendre à toutes les entreprises sans exception le statut des personnels des IEG.

Autre incongruité, ces instances sont exclusivement gérées par des représentants syndicaux sans représentation de l'employeur, à l'instar de ce qui existe pour les entreprises soumises au code du travail. Vu les différents dérapages constatés, cela ne paraît pas superflu qu'un minimum d'implication soit requis de la part de l'employeur. Dans sa réponse au rapport de la Cour, le président d'EDF indique de façon assez diplomatique « Il est rappelé que dans aucune entreprise, il n'appartient à l'employeur de veiller à la régularité et à l'efficacité de l'emploi des sommes qui sont versées au comité d'entreprise pour la gestion des activités sociales. Le code du travail ne confère à celui-ci aucune compétence en la matière. »

Enfin et surtout, le financement des activités sociales du personnel des IEG est exorbitant par rapport au droit commun, où les activités sociales et culturelles gérées par les comités d'entreprise sont financées par un pourcentage de la masse des salaires bruts (pour mémoire, la subvention de fonctionnement est d'un montant annuel équivalent à 0,2% de la masse salariale brute ; ce montant s'ajoute à la subvention destinée aux activités sociales et Culturelles). Or la Cour calcule que le poids de ce financement est de 14% de la masse salariale pour GDF en 2005 et de 5,9% pour EDF. Et le rapport d'ajouter « Ces moyens représentant un revenu indirect égal à 1.850 € par actif ou pensionné de la branche électrique et gazière, soit l'équivalent d'un treizième mois, au seul titre des activités sociales. Sous l'effet de la hausse du prix du gaz et, dans une moindre mesure, de celle de l'électricité, les ressources des institutions sociales progressent d'année en année à un rythme supérieur à celui de l'inflation ou de la masse salariale des entreprises contributrices. »

Bien sûr toutes ces critiques ont déclenché la colère du président de la CCAS qui n'hésite pas dans sa réponse à affirmer « En l'état, le rapport public porte sur des objets échappant au champ de compétence de la Cour et excédant ses prérogatives et le cadre de ses missions, comporte des considérations partisanes incompatibles avec l'obligation de neutralité, d'impartialité et d'objectivité qui s'impose à la Cour. Une telle approche jette le discrédit sur les analyses et les conclusions de la Cour. »

Personne ne semble s'émouvoir qu'au final c'est le client qui paye tous ces travers dénoncés par la Cour. Une entreprise performante peut pratiquer une politique généreuse pour son personnel, mais, vue l'organisation du secteur et la pénétration limitée de la concurrence, il n'est pas normal que de tels avantages ne puissent pas être remis en cause. L'alignement sur le régime des comités d'entreprises du secteur privé constitue donc une étape indispensable pour remettre de l'ordre dans une gestion trop souvent objet de scandales.