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La biomasse, énergie d'avenir ?

de Hervé Bichat et Paul Mathis

La biomasse (bois, déchets animaux, céréales, autres végétaux), est  renouvelable, disponible presque partout et ne produit en principe pas de CO2. Serait-elle l'énergie idéale ?  « La biomasse, énergie d'avenir ? » évalue les capacités de chacune des filières biomasse utilisées ou utilisables, en termes de volume de production possible, de coût et d'autres contraintes, écologiques notamment : utilisation des terres agricoles, consommation d'eau, pollution de l'atmosphère et des terres.

La définition officielle de la biomasse rappelée par les auteurs est très vaste. Il s'agit de « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture, y compris les substances végétales et animales issues de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi de la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ». 

Contrairement aux autres énergies renouvelables, la biomasse est une énergie carbonée, mais avec un bilan CO2 neutre : dans une gestion durable des végétaux, le CO2 libéré par leur combustion est re-capturé par la pousse des plantes qui les remplacent. La quantité d'énergie dans la seule biomasse terrestre est considérable, « au niveau mondial, 59 milliards de tonnes d'équivalent pétrole (Gtep) par an, alors que la consommation mondiale est de 12 Gtep ». Un résultat obtenu malgré « le faible rendement énergétique de la photo-synthèse » 50 à 100 fois moins efficace que le photo-voltaïque actuel. Cette sur-abondance existe aussi pour d'autres énergies renouvelables (solaire, éolien), soulignant que le défi ne provient pas de la quantité existante de ces énergies mais des problèmes liés à leur exploitation. « La part de la biomasse dans la consommation d'énergie, qui était de 80% en 1850, a chuté à 40% en 1890. » Aujourd'hui, la biomasse ne fournit plus que 10% de l'énergie consommée au niveau mondial.

Source : Projet Tiper.

Les filières

En 2015, on sait, à partir des divers types de biomasse, produire de la chaleur, ou de la chaleur et de l'électricité (co-génération), ou du gaz méthane, ou des agro-carburants compatibles avec l'essence ou le diesel. Pour chacune de ces filières, Bichat et Mathis examinent la disponibilité de la matière première, les techniques de transformation existantes, les tensions entre les productions de nourriture et d'énergie [1], l'efficacité en termes de production de gaz à effet de serre et d'autres polluants, le prix de revient, les besoins en eau et la facilité d'utilisation. Un travail complexe puisque chaque filière possède plusieurs variantes. Dans le cas pourtant simple du bois combustible, les performances varient beaucoup selon que le bois est utilisé sous forme de bûches, de plaquettes ou de granulés, selon la chaudière utilisée (cheminée ouverte, insert, combustion à haute température), selon le taux d'humidité du bois et selon la distance entre le lieu de production et celui de consommation. Pour chacun des sous-cas envisagés, le lecteur dispose des informations nécessaires pour construire un résumé de ce type (très simplifié ici) :

 

FranceQuantitéCoûtAvantage CO2Particules finesConflit nourritureFacilité d'utilisation
Bois bûche cheminéeLimitéeFaibleBonMauvaisFaibleMédiocre

Les scénarios plus novateurs (production d'agro-carburants à partir de maïs, de betterave à sucre ou de colza) sont expliqués de façon pédagogique sans être simpliste.

Les perspectives

Toutes les filières décrites présentent des limitations importantes ou de sérieux inconvénients : « Quelle que soit leur signification précise, les chiffres ci-dessus montrent que, avec les connaissances actuelles, la productivité énergétique de nos sols reste modeste ».

Même le bilan carbone de certains agro-carburants, pourtant plus coûteux que l'essence issue du pétrole, est incertain. Mais presque toutes les techniques d'utilisation de la biomasse sont susceptibles d'amélioration. Par exemple, la production de biocarburants ou de gaz méthane à partir de biomasse n'est pas satisfaisante puisqu'elle concurrence la production agricole. Les chercheurs étudient maintenant des agro-carburants de seconde génération produits à partir de biomasse non alimentaire. Plusieurs techniques physiques, chimiques ou bactériologiques sont décrites, dont les auteurs ne semblent pas envisager la rentabilité dans l'immédiat. Encore plus futuristes, la culture de micro-algues ou la sélection de plantes à phyto-synthèse améliorée sont évoquées. À côté de l'utilisation de la biomasse pour produire de l'énergie, un chapitre est consacré à son utilisation dans le domaine de la chimie et de la construction.

Agir local

Un des messages clef est qu'en matière de biomasse, les bonnes solutions doivent respecter les conditions locales [2]. Le Brésil par exemple, avec sa taille, son climat et sa faible densité de population (5 fois inférieure à celle de la France), est capable de produire sans subvention des biocarburants à partir de la canne à sucre, et du charbon de bois pour ses usines sidérurgiques. La Suède qui dispose d'une vaste forêt exploitée de façon renouvelable peut utiliser beaucoup de bois pour le chauffage. Les États-Unis consacrent 20% de leur maïs à une production de bioéthanol de moins en moins subventionnée, mais qui reste soutenue par une obligation d'incorporer 10% de ce produit à l'essence. En France, la volonté d'utiliser les terres disponibles pour des productions de haute qualité nutritive et environnementale laisse peu de place, en l'état actuel des techniques, à la production de biomasse destinée à être transformée en énergie. Seule la biomasse contenue dans les déchets agricoles, forestiers, industriels ou alimentaires seront à terme utilisés pour fournir de l'énergie.

Conclusion

Les auteurs se situent clairement dans le cadre du modèle standard de menace d'un réchauffement climatique dû à l'effet de serre et de la nécessité de réduire notre production de CO2. Mais les informations contenues dans ce livre sont utiles dans toutes les hypothèses d'évolution du climat. Experts en recherche agronomique, l'intérêt intellectuel et pratique des auteurs pour les applications de la biomasse est naturel. Le titre de leur livre comporte prudement un point d'interrogation, et ils ne dissimulent pas les problèmes que pose son utilisation pour produire de l'énergie, ni les conséquences négatives pour les populations qu'entraînerait une production plus massive : coût, éviction des cultures vivrières, pollution. Après s'être enthousiasmée pour les agrocarburants, l'Union européenne vient de réduire de 10 à 7 % leur taux maximum d'incorpartion dans l'essence et le diesel. Chaque hectare ne peut être utilisé qu'une fois, il faut choisir entre énergie, nourriture, fumure des terres, chimie et matériaux de construction, sans oublier le logement et les espaces naturels. En l'état actuel des techniques, la biomasse ne contribuera pas à satisfaire les besoins croissants du monde en énergie.

En complément de ce livre, consulter la conférence du Professur Marc Fontecave à l'Université de tous les savoirs, et sa série de cours au Collège de France :

Ces exposés confirment les perspectives limitées d'utilisation actuelle de la biomasse, mais traitent des recherches en cours sur la filière solaire-hydrogène qui pourrait, à moyen ou long terme, fournir une énergie abondante à l'humanité. Une confirmation de la position de la Fondation iFRAP : investir dans la recherche, pas dans le déploiement de méthodes de production inefficaces et coûteuses.

[1] En France, on aurait pu y ajouter les tensions avec le logement, la pénurie de terrains constructibles étant invoquée comme une des causes principales du problème.

[2] C'est aussi vrai d‘autres énergies renouvelables : le solaire est mieux adapté en Afrique du nord qu'au nord de l'Allemagne