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Agriculture, comprendre la variété des exploitations

En présentant cinq exploitations laitières très différentes, le documentaire « Envoyé spécial » de France 2 du 19 mai 2016  a fait œuvre pédagogique utile. Mais sans poser trois questions clefs : Combien de subventions recevez-vous par an ? Qui vous a encouragé à vous mettre dans cette situation ? Pourquoi l’agriculture française a-t-elle plus de problèmes que les pays voisins ?

Les cinq exploitations enquêtées ne peuvent pas représenter toute la variété de celles qui produisent du lait en France, mais sont très bien choisies pour illustrer les grandes catégories actuelles.   

Le créneau porteur 

La plus assurée des cinq semble être celle de ce producteur de lait qui complète son activité en produisant du Comté au sein d’une coopérative. Ses collègues et lui se sont positionnés sur un produit « spécial » où la qualité de leur produit, leurs actions de marketing et de vente, et leur coopération entre producteurs ont permis une montée en gamme reconnue par les consommateurs. Une méthode appliquée par de nombreux viticulteurs qui produisent et commercialisent leur produit final, le vin, eux-mêmes ou à travers une coopérative.

L’entrepreneur mondial

La seconde est très audacieuse. À 50 ans ce couple a constaté qu’ils ne pourraient pas continuer à se lever chaque jour à 3 heures 45 du matin, 365 jours par an,  pour s’occuper de leur troupeau de 220 vaches. Au lieu d’arrêter la production de lait, ils ont décidé d’emprunter et d’investir 1,7 million d’euros dans l’automatisation : nouvelle étable, robot de traite, robot de distribution  de nourriture, robot de nettoyage des sols. Ces agriculteurs semblent confiants d’avoir suivi le modèle des pays du nord de l’Europe. Mieux, ils vont acheter une petite ferme voisine et 30 vaches pour rentabiliser leurs machines[1].

Le retro-moderne

Dans la troisième, très peu automatisée, les 100 vaches sont désormais principalement nourries avec l’herbe des prés de la ferme. Une indépendance vis-à-vis des fournisseurs d'aliments de bétail très appréciée par les trois associés. Mais une charge de travail et une surface agricole utile nécessaire qui semblent importantes pour 1,5 SMIC par actif.  

Le standard

Dans la quatrième, 100 vaches aussi, l’agriculteur nourrit classiquement ses bêtes avec du maïs ensilé et du soja. Sa situation ne semble pas florissante mais tolérable. Le temps  de travail et les capitaux investis sont importants pour un salaire de 1,5 SMIC par actif. Comme pour le retro-moderne, son principal souci porte sur les relations difficiles entre lui, producteur de lait, et l’entreprise ou la coopérative qui le lui achète. Surprenant en ce qui concerne les coopératives, puisque  les agriculteurs en sont, en principe, propriétaires.

La victime

La dernière exploitation est la plus typique des manifestations de 2015/2016, et la plus tragique. Ce jeune agriculteur de 32 ans installé depuis 4 ans avec 35 vaches a emprunté 300.000 euros, se lève à 4 heures 45, travaille 10 à 12 heures par jour. Résultat : il ne peut pas faire face aux échéances de remboursement, vit avec son conjoint dans la misère dans un logement insalubre, et est en permanence dans l’angoisse de faire faillite. Seule l’association « Solidarité paysan » les soutient et les conseille.   

Plusieurs organismes publics et para-publics sont nécessairement intervenus pour favoriser le projet d’installation de ce jeune homme. La fin des quota laitiers et les intentions de montée en production des pays étrangers étaient pourtant annoncées depuis de nombreuses années. Mais pour remplir leur « quota d’installation de jeunes agriculteurs » fixé par le gouvernement, ces services (Préfecture, Chambre d’agriculture, SAFER, Crédit Agricole) ont sans doute encouragé et subventionné cet exploitant qui n’avait pas les moyens de faire face aux aléas inhérents à l’agriculture. Au moment du tournage de ce documentaire, le tribunal lui a accordé un délai de six mois, espérons que cela sera suffisant.

Conclusion

Les quatre premiers cas, pourtant déjà bien établis, ont montré la difficulté du métier d'agriculteur qui ne peut réussir, comme tout entrepreneur, que si tous les atouts sont réunis : compétence, travail, capital, adaptation aux besoins des clients. Le ministère de l’agriculture, de nombreux responsables politiques et de  nombreux syndicalistes agricoles négligent l'importance du capital et des clients, et sont favorables à conserver de nombreuses fermes, même si elles ne sont pas rentables. La branche Jeunes Agriculteurs de la FNSEA propose même de re-découper des exploitations existantes en plusieurs pour installer plus de jeunes. Cette politique affaiblit notre agriculture et donc notre pays, tout en conduisant aux drames sociaux comme celui mis en évidence debut 2016 pendant les manifestations, et dans le document de France 2. Il est urgent de revenir, comme dans les pays voisins, à une gestion rationnelle de ce secteur.    

 

 

[1]Espérons que ni la SAFER ni le contrôle des structures ni l’autorisation d’exploiter n’interdiront la croissance de cet entrepreneur au prétexte qu’il est déjà « trop gros »