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Remettre à l'équilibre notre régime de retraite : une priorité

Il y a un an, un commentateur britannique prédisait que, faute d'avoir eu une Mrs Thatcher avant lui, Nicolas Sarkozy ne pourrait réussir ce que Tony Blair avait fait. À lire les réactions syndicales au projet de réforme des retraites, l'avertissement semble justifié. Si les propositions de nouvelles dépenses foisonnent, le premier objet de la réforme, rééquilibrer les régimes de retraite, semble oublié.

S'agissant des causes du déséquilibre, deux évènements démographiques très différents se conjuguent pour mettre en péril nos systèmes de retraite. Leur symptôme le plus évident est l'évolution du « rapport démographique » (effectif des cotisants/effectif des pensionnés de droit direct), à partir de 2006.

Rapport démographique 2006 2050
Régime de base 1,6 0,9
Régimes complémentaires 2,1 1,1
Source : 5e rapport du COR.

Cette chute rapide du rapport démographique, qui se traduit par le déficit croissant des régimes de base et la baisse régulière des rendements des régimes complémentaires, résulte pour l'essentiel de deux facteurs : le « papy-boom » et l'allongement de la durée de vie, face à une très faible augmentation de la population active en France. Les solutions sont d'abord à rechercher dans la mobilisation de nouvelles ressources propres aux régimes ou extérieures, y compris en redéployant la solidarité nationale dans le sens d'une plus grande équité. Ensuite, dans l'aménagement des paramètres : durée d'assurance requise pour le taux plein, recul de l'âge légal de la retraite, taux des décotes… Enfin, dans l'acceptation de la poursuite de la chute des taux de remplacement dans le secteur privé. Les efforts nécessaires sont d'autant plus importants que rien n'a été fait lorsque le rapport démographique était favorable (2,5 en 1970 et 2,17 en 2000) et que l'on a préféré reporter les charges sur les générations futures (au nom de ce que l'on appelle sans sourire la solidarité). L'impact des deux facteurs de dégradation sur les systèmes de retraite se fait sentir de façon différente, et ce de trois points de vue : vitesse, durée, ampleur du phénomène.

Les deux évènements responsables

- Le premier évènement, de très loin le plus important et dont on ne parle guère, est l'effet « papy-boom », le nombre de personnes à la retraite passant de 600 000 à 800 000 par an entre 2005 et 2010 (source 1999, Sénat). Il s'agit là d'un choc démographique brutal, d'apparence temporaire mais aux effets prolongés et de grande ampleur, contre lequel les régimes par répartition, à la différence des régimes par capitalisation, ne sont pas immunisés. Bien que parfaitement prévisible, il n'a pas été traité lorsque l'on pouvait encore le faire avec une relative douceur. Au contraire, le pourcentage d'appel des cotisations a été baissé à 78% par les administrateurs de l'Agirc [1] dès sa création. Ce n'est que vingt années plus tard qu'il a fini par atteindre 100% : belle occasion manquée de constituer des réserves, mais il a été préféré de complaire aux actifs du moment. À l'Agirc, l'effectif des nouveaux retraités a été estimé devoir croître de 73% entre 2002 et 2010, selon le modèle « OPERA ». Ce taux représente à lui seul une croissance annuelle de la population des pensionnés de droit direct d'environ 0,5% par an pendant quelques années ; il faiblit après 2010 et les effectifs de pensionnés se stabilisent sur un plateau jusqu'en 2035/2040 mais à un niveau élevé, tandis que ceux des actifs ne croissent que très légèrement et dans le cadre d'hypothèses de plus en plus volontaristes.

- Le deuxième évènement, celui dont on parle le plus, est l'augmentation de l'espérance de vie à 60 ans. Ses effets s'accumulent d'année en année, mais son intensité n'est pas d'un niveau comparable à celui de l'incidence du « papy-boom ». Et l'augmentation de l'espérance de vie diminue d'intensité de génération en génération (1,32 mois par an à partir de la génération de 1952). Prise isolément, cette évolution engendre une augmentation annuelle de l'effectif de pensionnés d'environ 0,04% en moyenne.

Les chocs d'iniquité

Taux de remplacement fourni par chacun des régimes
RégimesSecteur privéSecteur public
Liquidation en 1996 Liquidation en 2040 Indépendante de la date
Général 22,90 % 20,60 %
Arrco 11,75 % 5,45 %
Agirc 24,40 % 11,90 %
Total 59,05 % 37,95 % 75 à 80 %
Illustration, sur un cas-type, de l'évolution entre générations de pensionnés : carrière évoluant linéairement de 1 plafond à 2 plafonds de Sécurité sociale liquidation à taux plein Taux de remplacement calculé sur le dernier salaire annuel total
Source : rapport du commissariat au Plan

La recherche de solutions à apporter au déséquilibre des régimes a remis en lumière les iniquités existantes entre le statut du secteur public en matière de retraite et le droit commun, qu'il s'agisse des âges de départ à la retraite, des taux de cotisation des assurés et des employeurs ou des prestations versées. On considère souvent que la principale injustice provient du fait que la pension des régimes spéciaux est calculée sur le dernier traitement indiciaire alors que, dans le régime de base du secteur privé, le salaire de référence est la moyenne des 25 meilleurs salaires plafonnés revalorisés. C'est là une différence importante car la pension du régime de base s'en trouve réduite d'environ 15%. Mais la principale différence, celle qui permet en outre de rendre inapparents les multiples avantages dont bénéficient les salariés du secteur public, est structurelle : les Français ne sont nullement égaux face à deux catégories très différentes de systèmes, les régimes qui garantissent un taux de remplacement et les régimes qui ne garantissent rien du tout et se dégradent régulièrement.

Taux de remplacement dans le secteur privé
Profils d'évolution de carrièreTaux de remplacement selon le taux de cotisation
À cotisation minimum À cotisation maximum
Non-cadre de 0,5 P à 1 P 54 % 58 %
Non-cadre de 1 P à 1 P 59 % 65 %
Cadre de 1 P à 1 P 62 % 68 %
Cadre de 1 P à 1,5 P 49 % 55 %
Cadre de 1 P à 2 P 43 % 50 %
Cadre de 1 P à 2,5 P 39 % 47 %
Lecture : un cadre ayant commencé sa carrière à un salaire égal au plafond de la Sécurité sociale (2 773 €/mois en 2008) et la terminant au niveau de 2 fois ce plafond, bénéficiera d'un taux de remplacement de 43 % ou 50 % de son ancien salaire net en fonction de son régime de cotisation (minimum ou maximum).
Liquidation le 1er janvier 2007, à taux plein, à 62 ans. Évolution linéaire des carrières, P = plafond de Sécurité sociale en € constant

- Les régimes spéciaux (fonctionnaires, SNCF, RATP, EDF, GDF…) sont des systèmes à prestations définies, c'est-à-dire garantissant un taux de remplacement du dernier traitement indiciaire. Quelle que soit l'évolution du nombre de salariés et de retraités de ces organisations, quelle que soit l'évolution de l'économie française, chaque génération de ces retraités percevra une proportion fixe du dernier traitement indiciaire ou salaire (75% à 80% lorsque les conditions du taux plein sont réunies). Comme ce sont les subventions publiques et/ou les cotisations des employeurs publics qui complètent systématiquement les cotisations des agents, les déséquilibres se trouvent discrètement compensés par les contribuables et les clients de ces entreprises.

- Le régime de base du privé (retraite Sécurité sociale) fonctionne sur le même principe, mais pour des niveaux de retraite très inférieurs : le taux de remplacement que ce régime engendre actuellement est de 43% et s'applique au maximum à un salaire plafonné égal à la valeur du plafond de la Sécurité sociale et non pas à la totalité du dernier salaire. Bien qu'il n'existe pas d'engagement formel de l'État ou des partenaires sociaux, la retraite Cnav [2] est en pratique garantie, mais à un niveau faible. Et même si le régime de base connaît un déficit de 5 milliards cette année, il y a un consensus pour trouver un moyen de le combler.

- À ce régime de base s'ajoutent, dans le secteur privé, deux régimes complémentaires de droit privé tout aussi obligatoires que le régime de base, importants, voire majoritaires pour des millions d'assurés. Ces retraites-là sont du type « sans garantie » : les retraités se partagent chaque année l'argent disponible dans les caisses des Arrco [3], Agirc ou Ircantec [4] sans aucune garantie de niveau de taux de remplacement. Les régimes complémentaires s'ajustent à la réalité des déséquilibres… À leur manière, c'est-à-dire en accélérant la chute des taux de remplacement (divisés par 2 en 40 ans). Il en résulte (cf. tableau page précédente), un écart considérable et croissant entre la pension des régimes spéciaux et le total des pensions du secteur privé, ceci malgré le fait que le taux global de cotisation des salariés du privé (entre 8,62% et 10,68%) est supérieur à celui des agents publics (7,85%).

Taux de cotisation sur le salaire brut
Privé État employeur
Salarié 8,62 à 10,68 % 7,85 %
Employeur 15,5 à 15,6 % 55 %
Part des cotisations du salarié dans les retraites servies 36 à 40 % 12,5 %

Le coût de ces privilèges

On désigne par « avantages spécifiques » la différence entre les pensions servies par les régimes spéciaux et celles qui seraient servies selon les règles du « droit commun ». Pour le seul régime des pensions civiles de l'État, ces avantages spécifiques peuvent s'estimer à 15 milliards d'euros, en appliquant le rapport des taux de cotisations (62,85% contre 25,20%) à la masse des pensions civiles servies, soit le tiers du déficit annuel du budget de l'État (ce serait 22 milliards si l'on incluait les pensions militaires). Est-ce équitable, sachant que c'est à titre provisoire qu'en 1945 ce système à deux vitesses a été maintenu… Et qu'il est depuis lors défendu bec et ongles au nom précisément de l'équité. Dresse-t-on les Français les uns contre les autres quand on critique des organisations syndicales clientélistes si peu représentatives de la collectivité nationale ? Quand creuse-t-on le fossé : lorsqu'on dénonce des iniquités, ou lorsqu'on en assure la promotion ?

Rétablir l'équilibre et l'équité

Face à ces trois défis, papy-boom, allongement de la durée de vie et iniquités, les solutions consistent à combiner la réduction des charges et l'accroissement des ressources. Tout le monde sent bien que des sacrifices seront inévitables mais, pour qu'ils soient consentis, il faut que chaque assuré ait le sentiment que les efforts seront équitablement répartis entre tous. Voici les principales solutions, parfois compatibles, parfois réciproquement exclusives (hausse des cotisations, augmentation du pouvoir d'achat…), mais certaines ne sont pas à la portée des régimes complémentaires :
- allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite au taux plein (durée d'assurance proprement dite, recul de l'âge requis et/ou de l'âge légal) ;
- augmentation ponctuelle mais forte du prix d'achat des points (comme les partenaires sociaux l'ont fait en 1996 en programmant une perte de 15 à 21% des points acquis à partir de 2000… sans susciter cette fois de réactions de la part des syndicats) ;
- augmentation des cotisations (taux et assiettes) ;
- subventions publiques nouvelles ;
- redéploiement de cotisations sociales et/ou de subventions. Il ne faut pas oublier que l'augmentation des cotisations engendre, à terme, sauf s'il ne s'agit que du pourcentage d'appel, une augmentation des charges et du déséquilibre et que l'augmentation des prélèvements ne favorise ni l'amélioration du pouvoir d'achat ni la prospérité des entreprises.

Des solutions à chacun des trois problèmes

- Pour financer les conséquences de l'allongement de la durée de vie à la retraite, c'est une réponse de même nature, de caractère continu, qu'il faut apporter, à savoir l'augmentation de la durée d'assurance de tous, compensant une autre durée, celle de la jouissance. Un traitement financier ne serait que symptomatique, tout comme le recours à l'immigration.

- Pour financer les conséquences du « papy-boom » et stopper ou ralentir la dégradation des taux de remplacement dans le secteur privé (cf. encadré), le transfert d'une partie des cotisations sociales chômage vers les cotisations retraite, toutes deux à la charge du secteur privé, est bien adapté. Cela contribuera à combler le déficit de l'Assurance vieillesse de base mais pas celui des régimes complémentaires, dont on parle si peu. Comme il est un peu tard pour greffer progressivement un régime par capitalisation, ce qui a été fait en 2003 pour les fonctionnaires, avec la création du régime additionnel de la fonction publique fonctionnant par capitalisation. Il faudra trouver des ressources nouvelles mais sans doute aussi, comme dans les autres pays, reculer l'âge pour le taux plein (65 ans) et/ou l'âge légal de la retraite.

- Pour faire accepter les efforts nécessités par la mobilisation de ces ressources nouvelles, il faudra que ces efforts soient répartis de façon équitable sur toute la collectivité, et que les iniquités se trouvent réduites. En dehors des militants et de leurs élus, la plupart des agents publics ont bien conscience que les inégalités entre le public et le privé sont injustifiables. Il ne s'agit évidemment pas d'envisager la remise en cause des pensions du secteur public en cours de service,

ni même des droits acquis, mais d'étudier les possibilités de tendre à la transformation des droits à acquérir, à l'instar de ce que la profession bancaire a su faire en 1993. Les effets concrets ne seraient que très lentement et progressivement constatés mais les sacrifices qui, sous une forme ou sous une autre, vont devoir être consentis par l'ensemble des acteurs du secteur privé le seront moins malaisément si la solidarité nationale se manifeste sans équivoque… et dans les faits.

[1] Agirc : Association générale des institutions de retraite des cadres.

[2] Cnav : Caisse nationale d'assurance vieillesse.

[3] Arrco : Association des régimes de retraite complémentaire.

[4] Ircantec : Institution de retraite complémentaire des agents non-titulaires de l'État et des collectivités publiques.