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Réformer l'ENA passe par la suppression de l'accès direct aux Grands Corps

La machine à détruire nos élites

Mercredi 25 mars doit être soumis au Conseil des Ministres, le projet de loi destiné à changer l'ENA et supprimer notamment le classement du concours de sortie.
Mais la suppression du classement seule sera totalement insuffisante à stopper la machine à détruire nos élites qu'est la possibilité d'accès direct aux Grands Corps au sortir de l'ENA.

Les Grands Corps, ce sont l'Inspection des Finances, le Conseil d'Etat et la Cour des comptes.

Même si le classement de sortie est supprimé, il restera forcément un système de notation et rien n'empêchera les Grands Corps de venir pêcher les personnalités les plus brillantes ce qui leur permet de se perpétuer avec les conséquences que nous voulons maintenant décrire …

Les Grands Corps fonctionnent un peu comme la lampe qui attire les phalènes pour les détruire.

Ce sont eux et une carrière brillante, où tout est permis, des postes administratifs les plus hauts aux directions d'entreprises les plus prestigieuses et les plus rémunératrices. Si on l'oubliait, Daniel Bouton et Frédéric Oudéa, que l'affaire des stock-options vient de ramener sur le devant de la scène ou de Bruno Deletré de la saga Dexia sortent de l'Inspection des finances. Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, sort du Conseil d'Etat, etc. Mais très peu vont parvenir à ces postes.

Le concours d'entrée à l'ENA qui jusqu'à peu attirait plus de 1.000 candidats en comble une centaine mais laisse sur le côté du chemin quelque 800 candidats (une autre centaine réussira en répétant le concours) qui toute leur vie porteront leur échec comme des stigmates. Beaucoup en parleront encore à 60 ans.

Sur la centaine d'élus, une quinzaine seulement va réussir à accéder aux Grands Corps et les 85 autres vont devoir se contenter d'un poste d'administrateur civil, parfois à la Dette ou aux Anciens Combattants, eux que l'on avait entraînés à écrire des discours pour Premier ministre.

Et les 15 que le sort a comblés (car c'est le hasard qui dans beaucoup de cas fait les quelques dixièmes de points d'écart entre la gloire et l'anonymat), vont, pour justifier d'avoir tant travaillé et tant sacrifié, mener la carrière qui sied à leurs intérêts et non pas celle dont a besoin la fonction publique : très rapidement, la moitié des énarques rentrés à la Cour seront ailleurs, dont 15% dans des activités très privées – mais en gardant le parachute du retour à la Cour – et, pour l'Inspection, ce sera 80% au point que ce corps a dû créer, il y a quelques années une entrée auxiliaire pour remplir les missions de contrôle qui lui sont confiées.

Tant que durera l'attraction des Grands Corps et la falaise qui sépare ceux qui sont au faîte, de la communauté des administrateurs civils, ce mécanisme destructeur de nos élites va continuer. Et avec lui une scolarité dont le seul résultat est le classement des élèves et non leur formation comme l'a publiquement exprimé une promotion de l'ENA récente, la promotion Léopold Senghor.

Polytechnique a un classement de sortie mais il n'existe pas cette falaise qui sépare les réussites suivant les corps de sortie.

Pour casser cette machine à détruire nos élites qu'est l'entrée dans les Grands Corps à la sortie de l'ENA, il faudrait que leur accès soit réservé, comme c'est le cas par exemple pour la Cour de Cassation, à des fonctionnaires ayant déjà derrière eux au moins une dizaine d'années de pratiques dans des corps qui préparent naturellement à ces hautes fonctions : les tribunaux administratifs, pour le Conseil d'Etat, les Chambres régionales des comptes pour la Cour. Et cette réforme renforcerait les perspectives d'avenir et donc l'intérêt pour leur carrière des administrateurs civils, actuellement bouchées par leurs camarades de l'ENA issus des Grands Corps.