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Patrimoine mobilier et immobilier de l'Etat

Un filon encore inexploité

Les patrimoines mobilier et immobilier de l'Etat possèdent une valeur considérable. L'immobilier de l'Etat et des opérateurs représente au bas mot près de 80 milliards d'€ (49,3 pour l'immobilier de l'Etat et 30 environ pour ses opérateurs) soit près de 53 000 immeubles, quant au chiffrage de la valeur du patrimoine mobilier de l'Etat, il reste encore à faire. Or cette valorisation peut prendre plusieurs formes : des opérations de vente ou des opérations de location lorsque le patrimoine n'est pas immédiatement cessible :

- du côté des ventes, l'immobilier de l'Etat est pour le moment en retard par rapport aux prévisions de 2008, 395 millions d'€ par rapport à une prévision de 600 millions d'€. Pour 2009, l'objectif affiché de 1,4 milliard d'€ semble donc plus que jamais incertain, d'autant qu'il comprenait la cession de 1 milliard d'€ d'actifs fonciers du ministère de la Défense. Le climat baissier de l'immobilier doit donc conduire l'Etat propriétaire à changer son fusil d'épaule et se lancer dans un actif programme de location en dépit de programmes de cessions symboliques importants : la cession du château de Nainville-les-Roches par le ministère de l'Intérieur, et l'une des cinq résidences du Président de la République, le domaine de Souzy-la-Briche.

- du côté des locations, tout reste à faire. Une telle opération est cependant importante parce qu'elle évite le « gel » de l'immeuble par transfert à une foncière en attente d'être vendue. Une opération qui ne gêne pas la réduction des surfaces occupées par les fonctionnaires et permet une valorisation en continu du foncier cessible. Celle-ci doit se traduire en priorité par une imputation des travaux de rénovation à ces immeubles, ce qui va, à terme, accroître leur valeur marchande donc locative.

Or, sur le volet rénovation pour le moment, l'Etat piétine. L'immobilier de l'Etat a été pendant longtemps confié, pour des raisons budgétaires, aux bons soins des ministères qui se sont accoutumés à se comporter en quasi-propriétaires. Ils se sont ainsi concocté, année après année, de nombreuses directions immobilières spécifiques, pilotant de façon autonome les projets d'aménagement et de rénovation le plus souvent au mépris des bonnes règles d'utilisation de l'argent public. L'Etat français se trouve ainsi à la tête d'un patrimoine immobilier aussi démesuré que sous-entretenu. Pour donner une idée de l'effort annuel qu'il s'agirait de déployer afin de combler le retard accumulé, les chiffres donnent le tournis : il faudrait, au bas mot, consacrer 2,6 milliards d'€ à l'entretien de l'immobilier des ministères dont 1 milliard affecté dans le cadre des prescriptions du Grenelle de l'Environnement rien que pour les remises aux normes HQE. Actuellement, les prévisions budgétaires pour 2009 affectent 77 millions d'€ au service de l'entretien de l'immobilier de l'Etat auxquels s'ajoutent 200 millions issus du plan de relance. Devant une enveloppe aussi contrainte, la volonté politique devra consister à allouer en priorité ces crédits budgétaires aux immeubles destinés à la location afin de ne pas brader les loyers, ce qui risque d'être difficile pour les administrations concernées.

Même petite musique chez les opérateurs de l'Etat (Banque de France, IGN etc… ), ces derniers se sont vu confier un important patrimoine foncier, parfois en pleine propriété, généralement sous la forme d'une simple affectation. Le patrimoine des opérateurs se retrouve ainsi doté de 23 000 immeubles pour une surface de l'ordre des 70 millions de m². Une proportion qui baisse drastiquement lorsqu'on exclut, comme l'a fait le gouvernement récemment, RFF et la SNCF de la liste des opérateurs (cette dernière revendiquant 6 000 ha d'emprises foncières et 11 millions m² de locaux). Le recensement provisoire (73,4% des opérateurs) établit leur patrimoine à 3,7 millions m² de bureaux et 10,3 millions ha de terrains. En attendant, l'audit définitif des dix plus gros opérateurs (VNF, Institut français du Pétrole, CROUS…) en cours actuellement, devrait permettre de mettre en lumière l'importance des marges de manœuvres immobilières des opérateurs.

Affectataires ou propriétaires, les opérateurs de l'Etat, comme l'Etat lui-même, vont devoir mettre les bouchées doubles afin de réduire leur voilure immobilière. Actuellement, l'Etat communique sur un taux d'occupation oscillant entre 15 m² en administration centrale, 18 m² dans les services déconcentrés et 30 m² pour l'immobilier de l'état à l'étranger. Du côté des opérateurs, les chiffres provisoires tombent : 14 m² par agent environ. De quoi se constituer encore un important patrimoine valorisable lorsque l'on sait que la cible officielle pour tout l'immobilier public se situe à 12 m²/agent !

Du côté des questions mobilières, les mêmes causes semblent produire les mêmes effets. Nul ne connaît le nombre total des œuvres d'art du patrimoine mobilier de l'Etat français. Les institutions destinataires d'œuvres d'art issues de fonds du Mobilier National, du fonds national d'art contemporain, du Musée national d'art moderne ou de la manufacture nationale de Sèvres n'ont pas été suffisamment attentives au mobilier qui leur était confié. Les services spéciaux de ces ministères se sont révélés particulièrement négligents. Pour un volume d'œuvres prêtées de 300 000 dont seulement 51% a été récolé, pas moins de 37 000 pièces manquent à l'appel, occasionnant le dépôt de plus de 1000 plaintes (chiffres de la commission de récolement des dépôts d'œuvres d'art (CRDOA)). La mission de récolement ne peut que constater les lacunes d'un système qui a manqué d'un véritable organisme de coordination et de suivi de cette politique de prêts. Comme il n'existe aucune évaluation de l'ensemble du patrimoine mobilier de l'Etat ou de ce qui a été prêté aux ministères, le montant des pertes et vols ne peut même pas être évalué avec précision. En outre, de nombreuses œuvres (notamment à la manufacture de Sèvres) sont des copies. Pourquoi se priver de cessions ciblées sur ce fonds pléthorique ?

Tous ces éléments, dûment relevés par les Parlementaires membres du Conseil immobilier de l'Etat, militent pour une évolution significative du statut de France Domaine et du statut de la commission de récolement des dépôts d'œuvres d'art. Une fusion de ces différentes autorités régulatrices en charge du dossier Patrimoine de l'Etat au sein d'une seule Agence du Patrimoine public s'impose. Rationalisation des structures, baisse des effectifs (notamment à France Domaine), expertise accrue en provenance du privé, synergies (interopérabilité des bases de données, suivi en temps réel, définition de stratégies patrimoniales d'ensemble comprenant les dimensions mobilière et immobilière), devraient permettre à cette nouvelle autorité de prendre à bras le corps les chantiers patrimoniaux mis à jour et de déboucher sur d'importantes économies. Son homologue britannique, l'OGC (Office of Government Commerce), s'impose dès à présent des objectifs très ambitieux avec un budget et des effectifs moitié moindres (34,9 millions £ et 1000 collaborateurs contre 65 millions € et 2000 agents pour France Domaine) et une cible à présent fixée à 11 m²/fonctionnaire.

Cette agence du patrimoine public aurait une première mission toute trouvée : un ambitieux et raisonné programme de cessions ou de locations immobilières suite à la redéfinition des surfaces allouées par fonctionnaire (12m²/agent) dans le cadre de la RGPP. Elle pourrait également se pencher sur une redéfinition du patrimoine mobilier de l'Etat. Prêter 300.000 œuvres à ses ministères, est-ce le signe d'une gestion rationnelle des ressources artistiques ? Là aussi, évaluer le patrimoine pour ne conserver que les pièces les plus rares et céder les autres à des fondations ou à des particuliers s'impose. En ces temps de disette budgétaire, on ne peut que souhaiter une accélération de la valorisation du patrimoine mobilier et immobilier afin de consacrer moins de crédits publics inutiles à l'entretien de locaux vides ou d'œuvres d'art entreposées qui ne voient jamais le jour.