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Immobilier de l'Etat : des résultats en demi-teinte !

Le Conseil de l'immobilier de l'Etat ne désarme pas !

La semaine dernière se tenait à l'Assemblée nationale un colloque [1] destiné à fournir un premier rapport d'étape sur les réformes concernant l'immobilier de l'Etat, engagées à partir de 2008 dans le cadre de l'Etat propriétaire. Pour l'iFRAP, si les économies dégagées sont réelles et significatives, beaucoup reste à faire afin de s'inscrire dans la perspective d'une véritable gestion patrimoniale de l'immobilier public. Nous avons pu néanmoins constater la détermination réelle des parlementaires et de l'exécutif pour faire aboutir ce point essentiel de la Révision générale des politiques publiques [2] . Malgré cela, certains points n'ont pu être qu'effleurés ou laissés en suspens, et sont pourtant cruciaux : quid de l'approche globale des coûts que devrait permettre rapidement le nouveau système informatique Chorus-Real-Estate (qui devrait à terme remplacer l'actuel Tableau général des propriétés de l'Etat (TGPE)) ? Quid de l'adoption d'une réforme immobilière analogue par les collectivités locales ?

Quelle performance pour l'immobilier public en 2008 ?

Le premier volet de la réforme de l'immobilier de l'Etat consiste depuis 2007, ainsi que l'a évoqué Eric Woerth, ministre du Budget, à l'occasion du colloque du 11 juin, à réduire les surfaces occupées par les administrations, d'abord au niveau central, puis sur le plan déconcentré. Ceci dans la perspective d'un objectif clair : la réduction de la surface occupée à 12m²/agent. Pour y inciter les ministères concernés, nous avons montré dans notre récent dossier sur l'immobilier de l'Etat que le Conseil de l'immobilier de l'Etat (organe de contrôle de la politique immobilière) avait poussé à la création de loyers budgétaires, afin de contraindre les ministères à prendre conscience des coûts de leur occupation foncière. Le bilan sur deux ans se décline comme suit, sachant que la valeur du patrimoine immobilier de l'Etat est actuellement de 49 milliards d'€.

Ministèreaccroissement des surfaces en m²diminution des surfaces en m²différence en m²classement
Budget et économie 40 785 99 434 -58 649 1
Education nationale, Enseignement supérieur, Recherche 12 927 28 754 -15 827 2
Culture et communication 3 412 9 909 -6 497 3
Santé, jeunesse et sports 8 924 11 346 -2 422 4
Agriculture et pêche 1 156 2 721 -1 565 5
Services du Premier ministre 169 731 -562 6
Intérieur, outre-mer et collectivités 17 138 17 415 -277 7
Travail, relations sociales et solidarité 2 292 2 390 -98 8
MEEDAT (écologie, équipement, etc.) 34 904 34 283 621 9
Défense 19 251 17 704 1 547 10
Organismes administratifs indépendants 1 799 110 1 689 11
Justice 14 848 10 338 4 510 12
Total 2008 157 605 235 135 -77 530
Total 2007 -59 880
Total des réductions surfaciques, puis total rapporté à l'ensemble de l'immobilier de l'Etat (12 millions m²) -137 410 rapporté à l'immobilier de l'Etat : -1,14%, si on y inclut le périmètre foncier des opérateurs : -0,86%
sources : Ministère du budget et des comptes publics, 12/06/2009

Comme nous le constatons sur ce tableau, la réduction des surfaces de bureaux a été de 137 410 m² sur deux ans, l'Etat accélérant ses réductions de surfaces de 30% entre 2007 et 2008 (respectivement 59 880 m² et 77 530 m²) [3]. L'effort est cependant une vraie goutte d'eau rapporté au parc immobilier de l'Etat : -1,14% de la surface immobilière de bureaux de l'Etat (12 millions m² de bureau sur 60 millions de m² recensés). Un taux de réduction qui se dégrade encore si on y inclut la surface de bureaux des opérateurs de l'Etat, qui est provisoirement évaluée [4] à 4 millions de m² supplémentaires. Ces chiffres fournis ne sont cependant que partiels puisqu'ils n'intègrent pas les mouvements patrimoniaux du ministère des Affaires Etrangères. La surface actuelle immobilière du MAE n'est pas précisée, non plus que ses possessions à l'étranger dont on relèvera l'importance du parc : elles représentent 1805 biens pour une superficie de 1 869 110 m² et un montant avoisinant les 4 milliards d'€. De quoi sensiblement modifier les statistiques livrées par Bercy le 12 juin 2009. En outre, trois ministères ont été particulièrement laxistes en matière de politique immobilière : le ministère de l'Ecologie, le ministère de la Défense et le ministère de la Justice, qui chacun accroissent encore leurs surfaces de bureaux.

Il n'en reste pas moins vrai que la réforme monte en puissance et si, près de 46 000 m² ont été cédés par l'Etat en 2008 dans la capitale, c'est-à-dire avant tout en administration centrale, la réforme semble se déployer progressivement dans de bonnes conditions en province, dans les services déconcentrés de l'Etat. A terme, elle devrait permettre la fusion des différentes directions déconcentrées des ministères au niveau départemental et régional, occasionnant là encore des économies substantielles.

Ces avancées laissent en suspens cependant trois points particulièrement importants à terme pour une implémentation réelle de la réforme :

- Qu'en est-il véritablement de l'incitation procurée par les loyers budgétaires aux différents ministères ? Ceux-ci ayant été octroyés en dehors des budgets préexistants (par une dotation spécifique très importante qui représentera près de 1,5 milliard d'€ dans le budget 2010), leurs réductions en cas de mauvais résultats sont sans doute moins efficaces que des loyers réels payés par les entreprises, ce que relevait avec justesse Jean-Pierre Taravella, directeur immobilier de France Télécom qui ne mâchait pas ses mots : « Les loyers internes sont intéressants lorsqu'ils pèsent véritablement sur les comptes sociaux. Est-ce que le fait que les loyers budgétaires ne pèsent pas directement sur la rémunération des occupants n'est pas un frein à cette politique a priori vertueuse ? ». Il faut dire que si en France les loyers sont calculés pour 2009 au prix du marché (à l'instar des loyers privés indexés sur le coût de la construction), les sanctions pour les ministères négligents ne prévoient que la réduction des dotations budgétaires. En Allemagne par exemple, les sanctions peuvent aller jusqu'à 1,5 fois le montant de la dotation budgétaire initialement accordée, ce qui revient à réduire les budgets de 50% de la dotation pour loyers budgétaires initialement accordés… de quoi faire réfléchir les administrations concernées.

- Cela amène à l'effort à pratiquer pour atteindre un ratio d'occupation efficient de 12 m²/agent. Pour le moment, le ratio d'occupation reste de 15 m²/agent au niveau central et de 18 à 20 m² en province. La Grande-Bretagne elle, via l'OGC (Office of Government and Commerce), a réajusté ses propres objectifs à 10 m²/agent, pour un patrimoine dont la valorisation est proche de la nôtre (45 milliards d'€) et une emprise de 11,4 millions de m², sur un nombre d'immeubles plus restreint de 11 000 immeubles. Il devrait s'en suivre logiquement pour la Grande-Bretagne, l'identification et la vente d'actifs excédentaires pour une valeur comprise entre 7 et 10 milliards d'€ et se traduire par une rationalisation qui devrait permettre d'économiser entre 1 et 1,5 milliard sur une dépense totale actuelle de 3,5 milliards d'€.

- Enfin faut-il malgré la conjoncture baissière en matière d'immobilier réduire ou poursuivre le programme de cessions ? Ainsi par rapport au PLF 2009 qui devait ouvrir pour 1,4 milliard d'€ de cessions, celles-ci seront plus vraisemblablement de l'ordre de 400 à 450 millions, elles n'avaient d'ailleurs été en 2008 que de 395 millions alors qu'elles culminaient à 820 millions d'€ en 2007. Une baisse drastique des ventes de l'Etat pour éviter de « brader le patrimoine national » que ne partagent pas d'autres pays : l'Allemagne par exemple, qui poursuit ses cessions immobilières à hauteur de 500 à 600 millions d'€/an, la Grande-Bretagne également qui envisage pour 2009 un volume de cessions d'ampleur comparable. Ces politiques de cessions massives sont soutenues par les acteurs du privé qui s'interrogent, en sens inverse, sur les opérations récentes d'acquisition de l'Etat, alors que l'alternative de la location existe : Olivier Piani, Président d'AGF Immobilier Illianz Dresner résume ainsi leur position : « Pourquoi acheter (…) ce n'est pas forcément le plus important d'être propriétaire. Il ne faut pas brader l'argent des contribuables ».

++DECOUPE++

Vers la conception d'une stratégie globale pour l'immobilier de l'Etat

La répartition des attributions de plus en plus claire entre l'Etat propriétaire et les ministères occupants du parc immobilier public ne doit cependant pas se faire au détriment d'une vision globale de la stratégie immobilière qui ne doit pas être seulement budgétaire mais avant tout patrimoniale afin de dégager de la valeur. Concrètement, ainsi que l'évoque le Directeur de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) Philippe Parini, il ne faudrait pas que la réforme fasse perdre le bénéfice d'une approche de l'immobilier en termes de coût global. C'est en effet elle qui devrait permettre de considérer non seulement la valorisation des actifs immobiliers disponibles, mais également de la mettre en balance avec les charges subies en y intégrant non seulement les loyers budgétaires, mais encore les coûts d'entretien des bâtiments et le gros œuvre. Il s'agirait alors de distinguer clairement et immeuble par immeuble les rôles d'occupant et de propriétaire et l'impact de la réduction des effectifs de la fonction publique sur l'occupation des bâtiments, permettant de dégager en conséquence un arbitrage entre acquisition/vente et mise en location/prise à bail.

Actuellement le ministre du Budget a annoncé une « sanctuarisation » des moyens consacrés à l'entretien de l'immobilier de l'Etat. En 2010, l'enveloppe consacrée à l'entretien sera comprise entre 200 et 250 millions d'€. Mais ceci est vraiment en dessous des fonds qui devraient être consacrés à l'immobilier public. Nous avions expliqué en outre dans notre dossier consacré à l'immobilier de l'Etat, qu'en raison des mises aux normes incluses dans le Grenelle de l'environnement (notamment avec l'utilisation des normes HQE (Haute Qualité environnementale)) l'addition devrait être beaucoup plus salée… sans doute de l'ordre de 2 milliards d'€ annuels. Ce qui veut dire qu'actuellement le budget consacré à cette question représente environ 10% des besoins retenus par les hypothèses les plus réalistes.

« Je vois quatre mauvais points » a explicité Georges Tron, Président de la MEC, Président du Conseil de l'immobilier de l'Etat, à l'initiative du colloque du 11 juin :

- Culturellement depuis l'Edit de Moulins de 1566, l'administration « mesure sa puissance de feu et son assise au nombre de ses effectifs et de ses mètres carrés. C'est très basic ! ». En conséquence, le patrimoine de l'Etat même valorisé à 49 milliards reste particulièrement mal connu. Selon lui, le chiffre définitif du patrimoine de l'Etat intégrant celui des opérateurs devrait se situer autour de 80 à 90 milliards €.

- Si l'on veut une vraie logique d'identification du propriétaire, l'Etat, il faut mettre fin aux règles dérogatoires de retour des produits de cession aux ministères. Le retour intégral doit être versé dans la « caisse commune », le compte d'affectation spécial « immobilier de l'Etat », afin de pouvoir être mis au service d'une stratégie immobilière globale et cohérente de l'Etat propriétaire.

- Cela suppose que France Domaine puisse jouir d'un statut d'autonomie particulière limitant les jeux des directions de Bercy. « Il n'a pas les moyens de la politique qu'il doit assurer ». En conséquence, une évolution vers un statut de SCN (service à compétence nationale) reste toujours d'actualité. D'ailleurs, les parlementaires avaient souhaité l'embauche de 30 personnes issues du privé, afin de modifier en profondeur la gestion immobilière de l'Etat et apporter en interne l'expertise nécessaire. Actuellement seulement 4 contrats ont été signés.

- Enfin il faut passer d'une logique budgétaire à une logique immobilière. Une vision partagée par Philippe Parini, même si elle n'est pas encore d'actualité « C'est à cela qu'il faudra préparer France Domaine, mais nous n'en sommes pas encore là ! ».

Or la logique immobilière risque néanmoins de s'imposer une fois que l'ensemble du patrimoine superflu aura été vendu ou mis en location. Il s'agira alors de s'interroger sur la valorisation de l'existant, des opérations d'achat-vente et de mise ou prise à bail afin de préparer l'avenir. Une logique qui ne semble pas encore à la portée de l'immobilier public :

- D'une part, l'application Chorus Real Estate qui devait prendre le relai du TGPE (tableau général des propriétés de l'Etat) n'apportera pas dans un avenir proche de fonctionnalités supplémentaires. Il en résultera donc un risque d'incertitudes toujours aussi important concernant la valorisation des édifices, et une difficulté sans doute aussi grande à tenter d'en extraire un chiffrage du coût complet immeuble par immeuble.

- En second lieu, la logique de réduction de l'immobilier de l'Etat devra logiquement s'étendre aux collectivités locales. Avec les transferts de compétences nées de la décentralisation, on risque aussi de devoir transférer les surfaces habitables. Dans le cadre d'un audit de la croissance des dépenses des collectivités locales, une évaluation financière des stratégies immobilières locales devra être faite, au risque sinon de voir se développer au niveau local ce que l'on a essayé de réduire au niveau central. Une logique de responsabilité que Georges Tron semble voir se développer de façon inévitable au sein de la fonction publique locale, sous peine d'explosion des impôts locaux.

Autant d'éléments qui plaident pour une gestion immobilière optimisée et responsable de l'Etat propriétaire. Une perspective qui semble atteignable au regard de l'expérience de Poste Immo. Cette filiale de la Poste a aujourd'hui un bilan relativement flatteur comme le rappelle son Directeur général, Christian Cleret : « Nous avons 17 000 immeubles et 8 millions de m² répartis en 3 millions de m² locatifs et 5 millions de m² de patrimoine. Nous avons obtenu en 3 ans, un recensement complet du parc, une augmentation de la valeur des cessions et des réductions de surface de l'ordre de 100 000 m²/an. » Il faut dire que cette filiale de droit privé voit ses dirigeants payés au résultat, un élément de variabilité des rémunérations qu'a su employer Bercy pour contraindre ses opérateurs à répondre de leur situation immobilière, une part variable dont bénéficie également le directeur de France Domaine, ce que le directeur général des finances publiques a rappelé. Un bon levier pour poursuivre les réformes.

[1] Organisé par la revue Business Immo et la Fondation Concorde, avec le concours du cabinet Jeantet et Associés AARPI. Les interviews des principaux protagonistes sont disponibles à l'adresse suivante : http://link.brightcove.com/services…. Intervenaient à ce colloque, MM Georges Tron, Eric Woerth, Jean-Pierre Lourdin, Yves Deniaud, Philippe Parini, Daniel Dubost, Olivier Debains, Christian de Kerangal, Benoît du Passage, Pierre Vaquier, Lahlou Khelfi, Olivier Piani, Christian Cléret, Valérie Tandeau de Marsac.

[2] Rappelons qu'actuellement entre 35 et 40% des mesures prises dans le cadre de la RGPP sont consacrées à l'immobilier.

[3] Une politique qui devrait se renforcer comme en témoignent les deux circulaires du Premier ministre en matière immobilière en date du 16 janvier 2009 (NOR : PRMX0901397C et PRMX0901404C), J.O du 21 janvier 2009.

[4] 625 opérateurs sur les 655 opérateurs recensés ayant fourni à présent une première évaluation de leur patrimoine foncier, soit 4 millions de m² de bureaux et 11 millions d'ha de terrains.