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Entretien avec un responsable syndical : quelle réforme pour la fonction publique ?

Ancien responsable syndical à la mairie de Paris, et élu local en Corse, Paul-Matthieu Legal-Ottaviani porte un regard expert sur les questions relatives au droit de la Fonction publique avec une attention particulière pour le statut des contractuels dans la fonction publique territoriale. Il nous livre son témoignage sur la réforme en cours de discussion au Parlement.

Fondation iFRAP : M. Legal-Ottaviani, quel regard portez-vous sur la réforme de la fonction publique pendante devant le Parlement ?

Je constate que l’actuel gouvernement a lancé une réforme particulièrement ambitieuse de la fonction publique, qui pourrait déboucher à terme sur une fonction publique résolument duale, c’est-à-dire beaucoup plus équilibrée car faisant la part belle aux contractuels.

Aujourd’hui en effet, et les chiffres le prouvent, les contractuels ne représentent qu’entre 17% et 18% des effectifs. C’est encore beaucoup trop faible surtout lorsqu’on a certains de nos voisins européens comme l’Allemagne (57,8%), ou même nos voisins belges où les contractuels représentent 24% de l’emploi public au niveau fédéral, mais 64% au niveau local.

En réalité, si l’on suit les dernières études disponibles de la Commission européenne sur le sujet (2017/2018), il apparaît que les fonctions considérées comme « centrales » (qui permettent de les rapprocher des missions « de souveraineté » au sens du rapport Silicani de 2008 sans y parvenir complètement (par exemple pour la France, l’Education nationale est intégrée)) représentent près de  51,1% de l’emploi public pour notre pays, contre 49,4% pour l’Allemagne ou 60% pour la Belgique par exemple. Cela vous permet de mesurer l’ampleur du champ qui pourrait être ouvert théoriquement aux contractuels (théoriquement 50,9% de l’emploi public !), c’est considérable.

Fondation iFRAP : Mais justement la réforme va-t-elle assez loin dans la valorisation des contractuels ?

A voir la « petite loi » transmise au Sénat et les premières modifications qui remontent de la Chambre Haute, je serais pourtant assez circonspect. En effet, on a bien une avancée dans les petites communes (<1.000 habitants ndlr), où l’ensemble des emplois publics seront ouverts aux contractuels. Mais c’est encore trop peu. Je connais bien le problème que rencontrent des maires des petites communes de montagne corse par exemple... Le Sénat semble pencher pour 2.000. Pourquoi pas ? Mais il faudra alors nous expliquer comment éviter toute titularisation rampante lorsque ces communes vont fusionner ? Les communes nouvelles présentent en effet une belle dynamique aujourd’hui (quelque 200 projets seraient sur le point d’aboutir en 2019). Il faudrait limiter au maximum ces effets de bords qui pourraient inhiber toute velléité de « faire le grand saut ».

Ensuite, nous n’avons pas beaucoup d’information sur la « contractualisation par le haut », il faudra attendre les conclusions du rapport de la mission Thiriez pour savoir si la rénovation de la Haute fonction publique passera par une ouverture plus large aux contractuels. J’ai des doutes lorsque je vois les réécritures de la lettre de mission intervenues entre le 8 et le 14 mai dernier. Par ailleurs on exclut systématiquement les catégories C pour des raisons de « déprécarisation » des emplois « ouvrables » aux contractuels. C’est une fausse raison car en attendant, la puissance publique multiplie souvent les vacations, ce qui est un effet indésirable mais récurrent sur ces types de postes.

Fondation iFRAP : Comment voyez-vous les choses en matière de dialogue social ?

Il est clair que la simplification des instances paritaires et de dialogue social constitue une mesure volontariste : désengorgement des CAP se focalisant sur les questions avant tout individuelles et disciplinaires (mais avec un droit de regard sur les lignes directrices de gestion RH), fusion des instances représentatives que sont les CHSCT et des comités techniques dans des comités sociaux d’administration tout en préservant l’existence de formations plus spécialisées (FSSCT). Mais là encore le gouvernement reste au milieu du gué. Il n’y a pas de rapprochement perceptible entre les CCP et les CAP (commissions consultatives paritaires des contractuels et administratives paritaires des titulaires). Il n’y a pas non plus de sièges réservés aux contractuels dans les conseils supérieurs ou communs de la fonction publique.

De plus, les pouvoirs publics ne « coupent pas le cordon ombilical » entre ses différents versants afin d’avoir une gestion « différentiée » plus adaptée. Je remarque par ailleurs que l’on fait miroiter aux fonctionnaires titulaires la mise en place d’une « négociation collective » dont le périmètre reste pour le moment flou (précisé par décret), alors même que l’on ne réforme pas en profondeur le statut. Cette proposition est incompréhensible et renforce la rigidité que l’on cherche par ailleurs à combattre. La bonne politique aurait sans doute été de dissocier les relations collectives : les fonctionnaires conservent le statut mais restent dans une logique de « concertation » frappée du sceau de l’unilatéralisme de l’Etat. Au contraire les contractuels bénéficient d’une négociation collective de plein exercice.

Cette question essentielle n’est d’ailleurs pas sans lien avec la question du droit applicable au contrat. Les contractuels dans le cadre de la réforme restent des contractuels relevant du droit administratif. C’est compréhensible à raison des obligations particulières de service public (dont le principe de mutabilité) auxquelles ils sont assujettis. Mais il aurait été sans doute beaucoup plus favorable pour eux de relever du droit privé (bien qu’amodié à la marge pour tenir compte de la spécificité de leur poste), avec la garantie supplémentaire de la justice prud’hommale et de la protection de l’inspection du travail. Le gouvernement n’a pas voulu s’engager dans cette voie, c’est dommage.

Fondation iFRAP : Il n’y a pas d’incitation particulière pour les titulaires à basculer sur le contrat. Pourquoi ?

Vous mettez le doigt sur un point sensible de la réforme en cours. Effectivement, on parle beaucoup de dispositifs indemnitaires expérimentaux et transitoires : prime de restructuration et de service (pour les fonctionnaires titulaires dont l’emploi est supprimé), accompagnement dans le cadre d’une reconversion professionnelle, prime de précarité pour certains contractuels, prime de départ, etc. C’est naturel afin d’ajuster les effectifs. Mais on cherche effectivement les dispositifs permettant de faire basculer les titulaires dans des emplois contractuels (sans les détacher, je précise). En effet à l’heure actuelle les titulaires bénéficient en cas d’externalisation ou de filialisation, du meilleur des deux mondes : la sécurité du statut et les avantages indemnitaires qui relèvent du contrat dans lequel ils sont détachés (avantages qui ne peuvent être d’ailleurs inférieurs à ceux dont ils jouissaient dans leur ancien poste, et au cas où ces derniers auraient été inférieurs aux nouveaux, à égalité avec leurs collègues contractuels).

Lorsqu’ils sont mandataires sociaux, cela peut aller jusqu’à une prime de départ à raison de la précarité de leur emploi. Des émoluments qui d’ailleurs ne sont pas plafonnés dans la fonction publique territoriale contrairement à celle de l’Etat. Une réforme qui « irait jusqu’au bout », permettrait de rompre avec ce principe de faveur. La garantie de l’emploi des fonctionnaires titulaires pour des postes « non régaliens » devrait être contrebalancée par une progression de carrière plus rapide pour les contractuels, un dispositif de retraite plus intéressant (intégration des primes dans la retraite via cotisations), des opportunités de mobilité plus fortes (entre les différents versants de la fonction publique), et jouir du bénéfice de conventions collectives régulièrement négociées. Nous n’en prenons pas vraiment le chemin, mais la loi de transformation de la fonction publique va toutefois dans la bonne direction. C’est un premier pas décisif.