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Le film de l'affaire Mediator : « La fille de Brest »

Exploiter les données de santé ou compter sur des miracles ?

On connaît pourtant la fin de l’histoire, on sait que le Mediator destiné au traitement du diabète peut être très nocif, on sait qu’Irène Frachon, médecin à l'hôpital public de Brest finira par gagner, mais ce film est beaucoup plus qu’un documentaire. Les rebondissements vous prennent aux tripes pendant 2 heures. Sidse Babett Knudsen et Benoît Magimel dans les rôles principaux sont formidables. Les autres acteurs, les malades, les comités scientifiques et la journaliste du Figaro sont réalistes sans être caricaturaux. La mise en scène est dynamique. Les images sont fortes. 

Bien sûr, on en veut aux « méchants » tout en se demandant ce qu’on aurait fait à leur place, et les « bons » ne sont pas parfaits non plus. Le chercheur qui accompagne la démarche scientifique d’Irène Frachon finit par retourner à ses études. Et pour mener ce combat à son terme, Irène Frachon se devait d’être parfois excessive, d’exiger le même engagement des autres et d’être près de "disjoncter".

Les accusés

Le laboratoire Servier est naturellement l’accusé principal pour ne pas avoir, en 30 ans, conduit d’études plus approfondies, et pas suffisamment averti les médecins et les malades. Accusées aussi les commissions du ministère de la Santé chargées d’évaluer et d’autoriser les traitements, pour ne pas avoir fait réaliser plus d’études et de suivi : la HAS (Haute autorité de santé) et l'AFSSAPS (Agence française de de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé), devenue l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) après le scandale du Mediator. Et la CNAM pour avoir remboursé pendant 30 ans ce médicament sans avoir détecté les trois niveaux de problèmes qu’il posait. Le rôle des médecins qui prescrivaient ce médicament, non seulement pour traiter le diabète, ce pour quoi il avait été conçu, mais aussi comme coupe-faim, n’est pas abordé par le film. Pourquoi le problème n’a-t-il pas été détecté par d’autres hôpitaux publics beaucoup plus puissants que celui de Brest : pas abordé non plus.

Miracle vs. Données de santé (big data)

Le film montre que l’interdiction du Mediator en 2010 a tenu du miracle. Il a fallu toute la clairvoyance d’Irène Frachon alarmée par seulement une dizaine de cas douteux, puis son incroyable ténacité face aux industriels, aux scientifiques et aux services du ministère de la santé. Et rien ne serait arrivé sans le support de chercheurs de l’hôpital de Brest. A chaque étape, il s’en est fallu d’un rien pour que tout s’arrête : une mauvaise présentation, une commission peu intéressée, la lassitude d'Hélène et de sa famille, son découragement ou sa santé.

En France, on a connu les drames du distilbène, du sang contaminé, de l’hormone de croissance, de l’isoméride, de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). En 2017, il n’est plus acceptable de devoir se reposer sur un concours de circonstances aussi extraordinaire pour détecter des problèmes critiques (probablement des centaines de décès). Les risques d’effets nocifs de médicaments ou de traitements sont inévitables, et ne peuvent pas tous être mis en évidence par les essais cliniques initiaux. Il faut un suivi, et pendant longtemps. 

Dans le film, un lanceur d’alerte, dit  « le père Noël », exploite en secret les fichiers de la CNAM pour conforter les  découvertes de la Fille de Brest. Les trois niveaux d'anomalie sommeillaient effectivement tous et depuis longtemps sans ses fichiers :

  1. Le niveau anormalement élevé de consommation du Mediator ;
  2. La consommation du Mediator par de nombreuses personnes (notamment des jeunes femmes) qui ne souffraient pas du tout de diabète ;
  3. Le lien entre la prise de Mediator et la destruction des valves cardiaques.

Mettre en lumière les deux premiers problèmes était extrêmement simple, il suffisait de consulter les fichiers de la CNAM. Le troisième était plus complexe en 1990, mais pas en 2010 où faire ces recoupements est classique. Les sites de vente par correspondance font des recoupements similaires pour nous proposer des produits liés aux consultations que nous réalisons sur Internet. Encore faut-il avoir accès à ces fichiers où la CNAM et les hôpitaux stockent nos données médicales, ce qui, de rapports en commissions, est  pratiquement toujours impossible en 2017. Pour découvrir de tels problèmes, il est pourtant inutile d’avoir accès au nom des personnes, des fichiers anonymisés sont très suffisants pour faire ces analyses statistiques. 

Sur ce sujet aussi, La fille de Brest souligne l’archaïsme des techniques utilisées. Quand les chercheurs de l'hôpial de Brest ont voulu enquêter sur des cas anciens pour conforter leur étude, ils ont dû plonger dans des charriots de fichiers papiers[1], puis appeler les personnes au téléphone pour connaître la suite de leur histoire : traitements suivis depuis leur hospitalisation ? résultats ? On imagine le nombre de personnes ayant déménagé, étant décédées ou n’ayant qu’une idée imprécise des traitements suivis et des résultats.  Toutes ces informations qui existent dans des fichiers informatiques auraient dû pouvoir être consultées facilement, à moindre coût et sans perturber le fonctionnement de l’hôpital ni déranger (alarmer ?) les patients.   

Conclusion       

Les laboratoires pharmaceutiques et les professionnels de santé sont logiquement enclins à défendre leurs  produits ou leurs soins. Les commissions scientifiques et administratives sont naturellement dubitatives face aux remontées de terrain provenant de services dont ce n’est pas la responsabilité. Il est possible que certains de leurs membres soient en situation de conflit d’intérêts, ou incompétents, ou biaisés par leur formation ou leur expérience. Les nouvelles règles décidées à la suite du Mediator changent peu ces faits. Dans chaque domaine le nombre d'experts compétents est limité : des experts indépendants mais incompétents ne sont pas une solution. C’est maintenant la Dépakine, traitement efficace contre l'épilepsie, qui peut avoir des effets catastrophiques sur les fœtus, dont on s’aperçoit qu’il n’a pas été administré correctement.  

Compter sur des Irène Frachon pour découvrir ces effets nocifs est trop risqué. D’autant plus que s’il est déjà difficile pour un être humain  de découvrir le lien entre un médicament (ou un traitement) et une conséquence nocive, c'est impossible si plusieurs facteurs sont en cause, simultanément ou décalés dans le temps. Des pays (Royaume-Uni, Danemark) ou des assureurs (Veteran aux Etats-Unis) ont ouvert leurs bases de données médicales portant sur des dizaines de millions de personnes. Il est urgent d’ouvrir les bases de données anonymisées françaises aux chercheurs, aux laboratoires pharmaceutiques, aux assureurs, aux associations de malades  et à des start-up capables d’appliquer des algorithmes très sophistiqués sur ces masses de données. Evidemment, cela promet des découvertes embarrassantes pour les gouvernements, l’Assurance-maladie obligatoire et les professions médicales. Mais attendre que Google mette au point ces algorithmes pour pleurer est vraiment irresponsable.   

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Missions centrales de l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé)

Offrir un accès équitable à l’innovation pour tous les patients ; garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie, depuis les essais initiaux jusqu’à la surveillance après autorisation de mise sur le marché.

Missions centrales de la HAS (Haute autorité de santé)

La HAS est une autorité publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé par la qualité. Elle exerce ses missions dans les champs de l'évaluation des produits de santé, des pratiques professionnelles, de l’organisation des soins et de la santé publique.

Missions centrales du CEPS (Comité économique des produits de santé) 

Le CEPS, organisme interministériel placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie, est principalement chargé par la loi de fixer les prix des médicaments et les tarifs des dispositifs médicaux à usage individuel pris en charge par l’assurance maladie obligatoire.
 

 


[1] Remarquablement rangés apparemment