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Manuel Valls et les vieilles recettes des années 80. Décryptage

Manuel Valls vient d’annoncer sa candidature à la primaire socialiste. Il a tenu dans son discours à affirmer avant tout son positionnement à l’égard de François Fillon, son potentiel futur adversaire de droite (à condition qu’il gagne la primaire…). Bien sûr, ce discours est essentiellement à usage interne du PS, avec pour objectif de « rassembler » toute la gauche autour de lui, ce qui ne peut se faire qu’au prix de contorsions idéologiques que l’ensemble des commentateurs et ses adversaires à la primaire ne se font pas faute de stigmatiser. Pour autant, ceci ne devrait pas autoriser le candidat à brouiller les cartes au point d’affirmer des contre-vérités, telle celle de se positionner « contre la droite, et ses vieilles recettes des années 80 ». Manuel Valls se livre à un reniement de sa propre tentative politique, qu’il aurait souhaité orienter mais qu’il n’a pas su imposer à son gouvernement dans un contexte où le soutien parlementaire lui a fait grandement défaut. 

Les « vieilles recettes » des années 80 ? Un peu d’histoire

L’ouvrage publié en 2013 par Patrick Artus et Marie-Paule Virard les appréciations sur ce qu’ont pu être les errements de la politique française précisément depuis les années 80 peut servir de guide à ce sujet[1].

Les auteurs expliquent que, gouvernements de gauche et de droite réunis, la politique économique française, à la différence de celle des autres pays en général, a profondément dérivé à partir du premier choc pétrolier en 1973. Le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing n’était pas préparé, ce que ce dernier a reconnu dans ses mémoires de 1991 : « le choix collectif du pays, imposé par la pression sociale et les habitudes antérieures, malgré les mises en garde répétées du gouvernement et de moi-même, a consisté à maintenir la progression, pourtant forte, du pouvoir d’achat des particuliers, et à faire supporter la totalité du prélèvement pétrolier par les entreprises ». Quel aveu ! Même attitude de Jacques Chirac qui tiendra dans ses propres Mémoires le langage des « anesthésistes » en affirmant que « la rigueur » n’est pas une « bonne réponse », qu’il vaut mieux « organiser la relance », et « tout faire pour privilégier l’emploi et le pouvoir d’achat parce qu’il s’agit là du moteur même de l’économie ». « Avec 800 000 chômeurs, nous avons atteint le seuil au-delà duquel le pays saute en l’air », ajoute –t-il encore. Le chômage atteint maintenant 3,5 millions dans la seule catégorie A, et 5,5 millions toutes catégories (chiffrage DARES),…

La suite des événements ne sera jusqu’à maintenant que la continuation des mêmes errements. Arrivé au pouvoir en 1981, François Mitterrand confie « pour le moment je fais de la politique. La rigueur, on verra ça plus tard ». Jacques Delors, ministre des Finances, propose (déjà !) de réduire les dépenses publiques de 10 milliards de francs et d’en geler quinze autres. Il n’est pas suivi, et l’on se souviendra du célèbre refus du ministre de se présenter plus tard aux élections présidentielles en 1995, convaincu de ne pas disposer de la majorité parlementaire nécessaire à la conduite de sa politique.

A partir de la décennie 1992, la France s’engage, comme la plupart des autres pays, dans la réduction du déficit public, mais en préférant la hausse de la pression fiscale à la réduction des dépenses publiques, ce qui fait toute la différence. L’Histoire ne cessera pas de se répéter.

Revenons aux gouvernements de droite. Nous sommes en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin est Premier ministre et Francis Mer ministre des finances. Ce denier est alerté par les chiffres de la dette publique et demande audience au Président. Réponse : « Ecoutez Mer, ça fait 30 ans qu’on se débrouille comme ça. Alors, on peut bien continuer un peu, non ? »

La suite nous est plus familière. La politique de Nicolas Sarkozy sera prise à contre-pied par la crise de 2008, la réaction consistera à augmenter encore une fois fortement la pression fiscale dans un contexte de croissance des dépenses et déficits publics, cependant que l’on n’enregistre pas de modération des salaires mais que le chômage explose.

Quand François Hollande prend le relais, il persiste dans l’erreur consistant à augmenter toujours la pression fiscale à partir d’un niveau déjà très haut mais sans baisser les dépenses publiques qui atteignent 57% du PIB, jusqu’au « ras le bol » fiscal dénoncé par Pierre Moscovici. S’ensuit une politique de « stop and go », de décisions contradictoires et changeantes et d’absence de réformes structurelles qui ne rassure pas les entreprises dont le taux de marge et les investissements restent au plus bas. Le quinquennat va s’achever avec la contestation permanent d’une loi travail pourtant très édulcorée, qui va provoquer l’opposition des frondeurs de gauche, le départ d’Emmanuel Macron, tandis que Manuel Valls reste à son poste.

Alors, lorsque le programme de François Fillon propose une série de réformes consistant à baisser drastiquement dépenses publiques et pression fiscale, sans compter la réforme du droit du travail  et la suppression de l’ISF, peut-on sérieusement soutenir qu’il s’agit d’appliquer de « vieilles recettes datant des années 80 » ? C’est tout le contraire évidemment de la politique suivie continument par les gouvernements de droite aussi bien que de gauche depuis 40 ans, et un motif d’espoir pour sortir enfin des sentiers battus de la lutte inefficace contre le chômage.

Le paradoxe d’un positionnement qui augure mal d’un débat sur les véritables problèmes de la France

Lorsque Manuel Valls accède à son poste de Premier ministre, c’est après avoir ouvertement mis en doute la politique de son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, et surtout pris un positionnement que l’on ne saurait qualifier de gauche lorsqu’il plaide fortement pour la remise à plat des 35 heures, la suppression de l‘ISF, qu’il lance ses déclarations d’amour aux entreprises, sans compter son diagnostic de la gauche divisée en tendances qu’il juge « irréconciliables ».

Que Manuel Valls ne soit pas parvenu à imposer sa ligne politique et ses convictions est un autre problème. Que vraisemblablement il ait dû, pour prix de la tacite bénédiction du Président, faire une volte-face aussi complète que rapide dans son discours d’investiture, est son problème encore et celui du PS.

Mais où va se diriger le débat entre les principales formations politiques ? Le mot de chômage n’est prononcé dans le discours de l’ex-Premier ministre qu’une seule fois à la fin du discours et de façon secondaire, l’accent n’étant mis que sur la seule protection sociale des Français sans aucune des considérations de politique économique pour lesquelles il venait de s’être battu. Pas un mot non plus sur les dépenses et les déficits publics. Faut-il croire que, quel que soit le candidat arrivant en tête des socialistes au premier tour des présidentielles – en attendant de se prononcer sur le positionnement encore inconnu d’Emmanuel Macron - nous n’aurons droit qu’à une guerre stérile de tranchées, les uns tenant pour le maintien à tout prix du modèle social et les autres pour le développement économique, le tout sous l’arbitrage menaçant du populisme ?


[1] « Les apprentis sorciers, quarante ans d’échecs de la politique économique française », Fayard.