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Réforme des trésoriers-payeurs généraux : Vers la suppression des TPG pour 2012

Devant les pressions de l'Élysée, les grands patrons du secteur bancaire ont été sommés de renoncer à leurs « bonus », ces parts variables de leurs rémunérations qui s'ajoutent à leur salaire. Si l'on demande la pleine lumière sur les salaires des managers du privé, il devrait en être autant pour ceux du secteur public qui se doivent d'être exemplaires.
Le cas des trésoriers-payeurs généraux (TPG) nous démontre malheureusement le contraire. La disparition de leur corps, programmée pour 2012, va-t-elle conduire à plus de transparence ?

Le corps des trésoriers-payeurs généraux est une institution centrale dans l'organisation des finances publiques en France. Ce statut a souvent défrayé la chronique parce qu'il s'agit du corps qui, sans conteste, est le plus rémunérateur de toute la fonction publique, devant celui déjà très lucratif des conservateurs des hypothèques. C'est aussi le plus opaque sur ses règles de fonctionnement et sur ses rémunérations, la plupart des règlements chargés d'en définir l'exercice n'ayant pour la plupart pas été rendus publics.

Ainsi, contrairement à la grille de rémunération des conservateurs qui, pour être factice et constamment violée n'en est pas moins inscrite dans le Code général des impôts, l'arrêté [1] chargé de définir les barèmes de calcul des rémunérations des TPG n'a pas été publié au JO, ni même au bulletin officiel de la comptabilité publique… Tout au plus peut-on lire l'information laconique suivante sur le site de la fonction publique : « Les rémunérations des TPG, comme celles des autres cadres de la fonction publique, ne sont pas communiquées. » Or, avec la fusion DGCP-DGI devenue la DGFIP (direction générale des Finances publiques), Bercy veut à compter de 2012, dans le cadre de la rationalisation des structures administratives du ministère des Finances, remplacer le TPG et le directeur départemental des Impôts [2] par un administrateur général des Finances publiques.

Dans cette affaire, c'est la DGI qui l'emporte, puisque le directeur départemental des Impôts absorbera son homologue de la comptabilité publique, le TPG. Cette fusion devrait permettre d'y voir plus clair.

Le statut de trésorier-payeur général : une curiosité historique !

Le corps des TPG a été créé par le décret du 21 novembre 1865, mais les fonctions qu'ils occupent se trouvaient déjà chez leurs prédécesseurs de l'Ancien Régime. L'entrée au sein du corps des TPG est exclusivement réservée à la haute fonction publique.

Le statut précise que les vacances des dix postes libérés par an, sont distribuées :

- pour huit postes, en exclusivité à la direction générale de la Comptabilité publique, permettant de promouvoir des receveurs particuliers des finances, des directeurs adjoints des services extérieurs du Trésor, des trésoriers principaux en poste à Paris, ainsi que des administrateurs civils de l'Administration centrale des finances et de la Caisse des dépôts ;

- pour deux postes, aux nominations politiques, avec pour seules conditions, celles d'appartenir à la fourchette des 40-57 ans et de pouvoir revendiquer quinze années de service en tant que fonctionnaire de catégorie A.
En réalité, l'accès est encore plus subtil puisque, par un compromis administratif, c'est cinq postes qui sont laissés à la discrétion de la DGCP, trois étant réservés au ministre des Finances pour promouvoir des sous-directeurs fidèles et deux, utilisés afin de remercier des préfets en fin de carrière que l'on désire écarter.

Quelle est l'utilité des TPG ?

Le corps des TPG représente 127 membres, répartis entre 110 trésoreries générales ou spécialisées et 17 autres détachés auprès d'administrations ou d'établissements publics où ils exercent les fonctions de comptables publics. Globalement, on peut dire que les Trésoreries générales territoriales recoupent le maillage des préfectures et comme elles, disposent d'un TPG de région dans la trésorerie située au chef-lieu de Région (préfecture de Région).

Sur place, le TPG est théoriquement subordonné en partie au préfet. Dans la réalité, son pouvoir financier en fait un fonctionnaire largement indépendant qui entretient des relations d'égal à égal avec l'autorité préfectorale.

Les TPG remplissent une quadruple mission :

- le TPG est le comptable principal de l'État dans le département : en cette qualité, il se charge du volet recouvrement des impôts directs qui sont sous sa responsabilité, mais aussi de la centralisation des produits des taxes et contributions indirectes recouvrés par le directeur départemental des impôts (DDI), ainsi que des amendes et de certaines allocations sociales (trop perçu de RMI par exemple). Il vérifie et contrôle le paiement des dépenses de l'État, mais aussi les services financiers du département, dont les organismes de Sécurité sociale et d'allocations familiales ;

- en sa qualité de correspondant du Trésor il réalise, pour le compte de l'État, des opérations de banque, en assurant la tenue des comptes courants du Trésor mais aussi, en maniant les fonds des organismes du secteur public, en assurant le placement de certains emprunts publics (compétence désormais résiduelle depuis la création de France-Trésor) et intervenant en tant que préposé de la Caisse des dépôts et consignations ;

- il réalisait, jusqu'à fin 2003, des opérations de banques pour le compte de particuliers et de courtiers en assurance ;

- enfin, il assure une action d'information et de conseil économique auprès des collectivités locales, mais aussi des entreprises et des particuliers (aides publiques) ; il coordonne les services de l'État relatifs aux entreprises en difficulté, l'administration des organismes de Sécurité sociale, les procédures de surendettement des particuliers.

L'opacité de la rémunération des TPG

Face à une telle avalanche de fonctions diverses, il serait tentant de dire que la rémunération des TPG est bien méritée…
Ainsi, les TPG peuvent avancer un traitement net annuel hors primes de 43 000 € en moyenne qui, lorsqu'on y ajoute les primes, flirte à près de 160 000 €.

Le premier TPG, le receveur général des finances de Paris, quant à lui, émarge avec un revenu brut s'élevant à près de 250 000 € annuels ! Une très forte différence si l'on compare aux 125 préfets qui perçoivent une rémunération brute moyenne de 62 000 € par an et pour le plus confortable, celui de Paris, 90 000 €/an. Justes émoluments pour une fonction très lourde. Pour des hauts fonctionnaires dont la valeur, l'énergie et l'engagement sont comparables, comment expliquer de telles disparités ? Il faut revenir à la structure des rémunérations des TPG.

Le niveau atteint s'explique en partie par la superposition des primes au-delà du traitement versé et ce, sans respecter les plafonnements théoriques de rémunération, qu'il s'agisse d'ailleurs des rémunérations d'activité ou de retraite. Une méthode qui repose d'abord sur la multiplication des notes de service, des circulaires et des décisions ministérielles non publiées, qui ont entraîné une augmentation anarchique des salaires [3]. Officiellement, les barèmes obéissent à des taux et des écrêtements particulièrement complexes.

En réalité, il est possible de schématiser des émoluments réformés récemment dans la plus grande discrétion et sans aucune transparence. Comme on le voit dans ce tableau, il faut distinguer l'état antérieur à 2004 et celui postérieur à la réforme entreprise par le ministre délégué au Budget Alain Lambert, dans l'opacité la plus totale, introduisant une pratique jamais vue auparavant au sein du corps : la soumission de la part variable de leur rémunération à des indicateurs de performances.

Petite visite guidée des principales rémunérations des TPG
Structure de la rémunération des TPGStructure des rémunérations avant 2004Structure des rémunérations depuis 2004
Part fixe de la rémunération Traitement de base en fonction de la catégorie de la trésorerie et de l'échelon du TPG, allant des indices d'activité 1015 brut à hors échelle. Indices d'activités allant de 1 015 brut à hors échelle G (HEG) (échelon exceptionnel). Projet de décret 2009 fixant l'échelonnement indiciaire du corps.
Indemnités soumises à des barèmes automatiques communiqués avant 2004. Indemnités soumises depuis 2004 à des indicateurs de performances.
Indemnité pour risques corporels. Indemnité équivalente* à l'allocation complémentaire de fonction ACF (décret n° 2002-710 du 2 mai 2002).
Indemnité pour frais réels. Indemnité équivalente* à l'indemnité différentielle afin de maintenir le volume de la rémunération globale (décret n° 2002-711 du 2 mai 2002).
Indemnité mensuelle de technicité (IMT). Idem.
Part variable de la rémunération Indemnités accessoires provenant de la collecte de l'épargne : produits attribués aux TPG au titre de la responsabilité (70 à 75 % de la rémunération et non fiscalisés à hauteur de 23 à 27 %). Indemnités accessoires provenant de la collecte de l'épargne désormais uniquement publique (en qualité de préposés de la Caisse des dépôts et consignations).
1/3 des remises attribuables au titre des fonds particuliers (totalement exonérés jusqu'à la circulaire du 1er octobre 1999). Rémunération supprimée depuis le 1er janvier 2003.
1/3 des remises au titre des dépôts des fonds réglementés (dont ceux des notaires) totalement exonérés jusqu'à la circulaire du 1er octobre 1999. Les indemnités pour produits assis sur fonds réglementés perdurent sans exonération.
Produits de placement dits « avec part de frais » exonérés à 50 % dans la limite d'une franchise de 55 556 frs. Rémunération supprimée depuis le 1er janvier 2003.
* L'architecture de ces primes est la même que celle des receveurs des finances mais, pour les TPG, ces indemnités ont été négociées à part avec des barèmes spécifiques et confidentiels.

L'impact de la réforme de 2004 sur le statut des TPG

Avant la réforme

La majorité des rémunérations dites « accessoires » étaient financées par des remises et commissions prélevées sur les activités bancaires des TPG. Ceux-ci, en effet, avaient la possibilité de gérer des comptes de particuliers jusqu'à ce que cette concurrence déloyale avec le secteur privé pousse le Gouvernement à supprimer cette activité [4].

Les TPG disposaient également des activités d'épargne dites d'intérêt général, en leur double qualité de correspondants du Trésor et de préposés de la Caisse des dépôts et consignations (fonds réglementés, dont dépôts des notaires, etc.). Ces rémunérations étaient largement défiscalisées, tout en représentant près de 70 % des rémunérations. À cela s'ajoutait une myriade de primes aux barèmes jamais divulgués dont les plus importantes étaient les indemnités pour risque corporel, et représentatives de frais réels qui permettaient encore de gonfler les émoluments.

De plus, ces rémunérations se doublaient d'une pratique de surindiciation [5] qui consistait à augmenter artificiellement les retenues sur traitement afin d'ouvrir droit à des retraites majorées, entraînant mécaniquement une hausse des traitements et primes devant servir de base à ces retenues pour pension (pratique qui perdure). Et cela en violation flagrante de la limite fixée par le décret d'application générale dans la fonction publique de 1936, qui prévoit que les rémunérations complémentaires ne peuvent excéder 100 % du traitement soumis à retenue pour pension.

Tout cela a contribué à une gestion extraordinaire de l'avancement afin d'empêcher les « embouteillages » : lors des processus d'avancement en direction de trésoreries de catégorie supérieure, des TPG ont été nommés en « services détachés » (17 d'entre eux), ou ont bénéficié d'avancements territoriaux fictifs, ou se retrouvaient prorogés dans leur fonction en dépit du dépassement de limites d'âge voire faisaient l'objet de nominations rétroactives afin de bénéficier des bonifications indiciaires de retraite !

Après la réforme

Le système a été « théoriquement » réformé, mais pas rendu plus transparent. Dès 1999, la défiscalisation partielle de certaines rémunérations avait cessé. Les différentes indemnités ont été « régularisées » par deux décrets [6]. S'ensuivit la suppression des revenus sur produits de placements avec la clôture des 480 000 comptes de particuliers au 1er janvier 2003 ! Cette réforme indemnitaire a permis l'application de l'indemnité complémentaire de fonction aux TPG en lieu et place des empilements précédents et d'une indemnité différentielle transitoire chargée de conserver le volume des rémunérations.
Un gonflement des primes pour compenser la perte de revenus et la fiscalisation intégrale des indemnités !

Cette réforme a débouché sur une rémunération au mérite à partir de 2004, fixée sur la base d'indicateurs de performance (taux de recouvrement des recettes, taux de mensualisation des contribuables, délais de remise des comptes, délais de paiement de la dépense, etc.). On pourrait saluer cette réforme qui va dans le sens de l'efficience si, d'une part, les rémunérations au mérite étaient véritablement appliquées et d'autre part, si on assistait à une baisse significative des rémunérations. Or, tout cela s'est effectué à volume de rémunération quasi constant. En l'absence de données actualisées précises, la rémunération des TPG peut être évaluée comme suit en volume (voir tableau en page suivante).

À la vue de l'importance des rémunérations pratiquées, il est permis de s'interroger.
Si au XIXe siècle, les TPG devaient déposer une caution importante, représentant 6 fois le montant de leur rémunération annuelle [7], celle-ci relève du mythe aujourd'hui, depuis qu'à partir de 1919 il est possible à tout TPG de s'assurer auprès d'une société de cautionnement mutuel, ce qui rend caduque l'explication du montant des rémunérations par la couverture des risques attachés à la fonction.
Dans sa forme actuelle, tout TPG se libère de son obligation de cautionnement par l'intermédiaire d'une association agréée par le ministre des Finances, en l'espèce, l'Association de garantie des comptables supérieurs du Trésor, qui assure une couverture complémentaire de risques.
Les TPG se couvrent également contre les risques liés à leurs anciennes activités de banquiers privés en souscrivant une assurance complémentaire spécifique.

Tout ceci mis bout à bout plaide en réalité pour une refonte totale du système de rémunération et un alignement de celles-ci sur celles des préfets !

Des TPG aux administrateurs généraux des finances publiques

L'architecture abracadabrante de ces émoluments pose la question des raisons d'une telle opacité. Plusieurs explications :

- d'abord, les TPG forment un corps fortement syndiqué. Sur les 127 membres du corps, seuls 4 n'appartenaient pas au syndicat FO du corps en 2001. Ils paralysent ainsi les volontés des autres syndicats demandant la communication de leurs barèmes de rémunération. Par exemple, la CFDT finances, dans une communication de 2007, relevait : « À notre demande d'information sur les critères et les poids respectifs de ceux-ci dans la détermination de la part modulable des rémunérations des TPG, le chef de service des ressources humaines a opposé une fin de non recevoir.[…]
Tout ce qui touche aux rémunérations des TPG est encore et toujours frappé du « sceau » du secret défense ! » [8] ;

- ensuite, les TPG forment un organe d'influence puissant au travers de l'Association des trésoriers payeurs généraux et des receveurs des finances (ATPGRF). Une association qui est un acteur obligé du dialogue au sein du ministère des Finances sur toute réforme d'importance au niveau des services déconcentrés ;

- la défense de communiquer sur les rémunérations des fonctionnaires supérieurs de l'État cache mal des difficultés d'audits : dès 1983, une mission sur la question des rémunérations des TPG et des conservateurs des hypothèques avait été diligentée par Pierre Mauroy auprès d'Alain Blanchard, conseiller-maître à la Cour des comptes. Ce rapport a été remis en juillet 1984 et immédiatement enterré. Le Conseil d'État ayant même statué sur l'impossible communication de son contenu ! [9] Quinze ans plus tard, la Cour des comptes, dans un rapport de 1999, n'a pu obtenir que les rémunérations moyennes des conservateurs pour l'année 1996 et aucun détail précis sur les barèmes.

L'entrée en fonction pour 2012 des futurs administrateurs généraux des finances publiques (AGFP) entraînera- t-elle des traitements devenus transparents et en rapport avec leurs vraies responsabilités ? Rien n'est moins sûr : si la fusion DDI/TPG se fait normalement à partir des DDI (directeurs départementaux des impôts appelés "Directeurs des services fiscaux"), du côté des rémunérations c'est l'inverse ! Le volume retenu sera celui des rémunérations des TPG. Dans l'attente de cette réforme majeure des finances publiques déconcentrées, la plus grande prudence s'impose. Il reste à souhaiter que la transparence voulue des rémunérations des managers du privé s'étende véritablement enfin à l'ensemble des rémunérations des managers du public. Il en va de la justice et de l'égalité entre les secteurs privé et public.

Catégorie des trésoriers payeurs générauxNombre de TPG/catégorieCorrespondances entre rémunérations et catégoriesNombre de TPG concernésSalaire brut (total primes et intéressements compris) en euros
1 15 3 de cat. 1 3 225 000 - 250 000
12 de cat.1 27 200 000 - 225 000
2 29 15 de cat.2
14 de cat.2 30 175 000 - 200 000
3 27 16 de cat.3
11 de cat.3 27 150 000 - 175 000
4 27 16 de cat.4
11 de cat.4 40 125 000 - 150 000
5 27 + 2 sans cat 27 de cat.5 + 2 sans cat
Total 127 127 127

[1] Du 10 novembre 1960.

[2] Devenu entre-temps directeur départemental des services fiscaux.

[3] Fixés principalement par des arrêtés ministériels de 1953 et de 1958.

[4] Les effets par l'arrêté du 2 février 2001 clôturant une pratique qui avait cours depuis l'arrêté du 7 novembre 1814.

[5] Décret du 1er septembre 1950

[6] En date du 4 mai 2002 et prenant effet au 1er janvier 2003 et 13 arrêtés indemnitaires valables pour l'ensemble des fonctionnaires des finances. Les TPG ayant bénéficié de mesures comparables mais confidentielles et distinctes durant la même période.

[7] Loi du 31 juillet 1876.

[8] L'information délivrée par les TPG eux-mêmes n'en dit pas plus ! La courte thèse d'André Neurisse, en 1988, TPG de son état, fait l'impasse quasi totale sur le chapitre des rémunérations. Même discrétion pour l'ouvrage cosigné par André Girault TPG intitulé « Les Trésoriers-payeurs généraux » paru en 1996 aux éditions du Trésor. Là encore, aucune indication sur les montants et les barèmes de rémunération.

[9] CE, 2 décembre 1987, Mlle Pokorny, rec, p. 392.