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Nicolas Sarkozy face à la dette publique

Philippe Séguin mérite-t-il le titre de « meilleur opposant » ?

Choc d'interventions en 48 heures : la déclaration du chef de l'Etat lundi, suivie mercredi par les 133 pages du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.

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Rapport de la Cour des Comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques

Le chef de l'Etat ne s'est guère appesanti sur la situation des finances publiques, assurant qu'il ne fuirait pas ses responsabilités, mais qu'il ne ferait pas la politique de la rigueur, qui a toujours échoué dans le passé, et qu'il ne sacrifierait pas l'investissement. Et de se lancer dans la distinction entre le mauvais déficit, d'ordre structurel (causé par le mauvais fonctionnement de l'Etat), celui qui est d'origine conjoncturelle (la crise), et le bon déficit enfin, celui qui finance les dépenses d'avenir (les investissements). Le premier doit être ramené à zéro, le second devra être résorbé « après la crise », et il ne faut pas renoncer au dernier.

Mais avons-nous les moyens d'une politique dynamique qui s'appuie sur de tels distinguos ? Le rapport de la Cour des comptes paraît bien remettre en question cette ambition, en brossant un tableau particulièrement noir de la situation. Du déluge de chiffres fournis par la Cour, on peut retenir que les comparaisons internationales ne sont pas en faveur de la France, même si l'on tient compte des effets de la crise, que les déficits français sont de nature essentiellement structurels, et que, pour seulement faire revenir en huit années la dette publique de 80% à 60% du PIB (engagement international de la France), il faudrait faire un effort égal à 3,5% de ce PIB en réduisant à zéro ce déficit structurel.

Pour la Cour des comptes, l'ampleur de la tâche nécessite de faire feu de tout bois. Tout d'abord il est un domaine dans lequel la hausse des prélèvements ne pourra pas de toutes façons être évitée, c'est celui des comptes sociaux. Ceci conduit au minimum à une révision des niches sociales, mais aussi à l'ouverture de négociations sur les retraites, y compris les avantages familiaux. Pour ce qui concerne l'Etat, les limitations de dépenses annoncées par le gouvernement, ainsi que les économies censées être engendrées par la RGPP, sont très insuffisantes et des « réformes beaucoup plus ambitieuses » sont nécessaires.

La Cour des comptes relève particulièrement qu'en raison de leur poids considérable (450 milliards d'euros soit un quart du PIB), le plus fort gisement d'économies concerne, sous leurs diverses formes, les interventions de l'Etat et des collectivités locales [1]. La Cour affirme que « les pays qui ont assaini leurs finances publiques l'ont fait en remettant en question non seulement les dépenses de fonctionnement mais aussi l'ensemble de leurs interventions et en renforçant leur efficacité ». Autrement dit, au-delà des « mauvais déficits » il faut aussi savoir remettre en question les « bons déficits », qui peuvent correspondre aux investissements voulus par le chef de l'Etat. En effet, ce dernier a ciblé dans son discours des « mesures massives en faveur de l'activité partielle », l'extension des contrats de transition professionnelle, la formation des jeunes, la revalorisation des filières professionnelles etc…

On comprend certes ce que veut dire le Président lorsqu'il qualifie ces dépenses d'intervention d'investissements, dans la mesure où il s'agit de préparer l'avenir. Il n'en reste pas moins que cette qualification est un abus de langage du point de vue de la comptabilité publique, qui est celui de la Cour des comptes. Le message est donc clair, et lorsque la Cour évoque la nécessité de remettre en question, ce qui signifie diminuer, les interventions de l'Etat, le discours présidentiel amène au contraire à les augmenter. L'opposition entre les deux discours conduit à se poser deux questions fondamentales sur la politique économique.

Tout d'abord, avons-nous les moyens de cette politique ? La réponse est négative pour la Cour des comptes. Selon la jolie formule de Philippe Séguin, « A répéter que les caisses sont vides il ne faudrait pas accréditer l'idée paradoxale qu'elles sont du coup inépuisables »…Or l'opposition est nette entre le gouvernement et la Cour : alors que cette dernière préconise de repasser en huit ans le montant de la dette publique de 80% à 60% du PIB, les hypothèses gouvernementales conduisent à prévoir une augmentation de cette dette à 88% du PIB à l'horizon 2012.

Pourquoi une révision aussi déchirante s'imposerait-elle d'après la Cour ? Non seulement en raison des engagements internationaux de la France, mais aussi parce que « l'endettement pourrait augmenter de manière exponentielle. Les charges d'intérêt mobiliseraient alors une part excessive des ressources publiques et un risque pèserait sur la signature de l'Etat » [2].

D'autre part, « il serait peu prudent d'attendre que des remèdes hypothétiques, comme la hausse de la croissance potentielle ou la reprise de l'inflation [3] exonèrent la France des efforts de redressement nécessaires de ses comptes publics ». La France est donc sur le fil du rasoir, engagée dans une course de vitesse consistant à battre la crise, et rétablir la croissance, avant que la montée de l'endettement public vienne ruiner les efforts de rétablissement. Manifestement cette stratégie rencontre le scepticisme de la Cour des comptes.

Ceci conduit à poser une seconde question, d'ordre plus général, et qui porte sur l'efficacité de la dépense publique. A supposer en effet que l'on puisse se permettre d'augmenter les déficits, quels résultats faut-il en attendre ? La Cour des comptes rappelle à ce sujet ses nombreuses critiques, et parmi elles :

- la politique de réduction des dépenses publiques n'atteint pas les 655 « opérateurs de l'Etat » (organimes juridiquement indépendants de l'Etat et poursuivant une mission de service public, par exemple Météo-France ou le CNES) qui, trop nombreux, reçoivent plus de 20 milliards d'euros de subventions, et emploient des effectifs en forte croissance (292.000 agents).

- l'inefficacité des interventions de l'Etat dans des domaines tels que les aides personnelles au logement, les contrats aidés, la politique de la ville, les aides aux collectivités territoriales, la politique de l'emploi (30 milliards d'exonérations sociales, 4 milliards pour la prime pour l'emploi, un chiffre encore indéterminé pour le récent RSA). S'y ajoute un chiffrage incertain des dépenses fiscales (provisoirement estimées à 69 milliards), où interviennent trop de services de l'Etat dont le pilotage n'est pas assuré.

- la forte croissance des effectifs de la fonction publique territoriale.

Au total, le pouvoir n'a ouvert qu'une petite partie des chantiers qui s'imposent, et dans le même temps multiplie des interventions qui ne peuvent que générer davantage de déficit public, le tout sans évaluer l'efficacité de la dépense. La critique est rude.

Il y a peut-être plusieurs sortes de déficit, mais il n'y a qu'une dette publique, et qu'un montant global de frais financiers. Le message de la Cour des comptes est clair : il faut cesser de multiplier les nouvelles interventions de l'Etat, même si cela est difficile compte tenu de leur finalité sociale, et se poser la question de l'efficacité des interventions existantes. Et en tout état de cause, la France n'évitera pas une certaine politique de rigueur, que notamment la constante dégradation des comptes des organismes sociaux rend inévitable. Cela rogne sérieusement les ailes du volontarisme affiché par le chef de l'Etat. A quand l'ouverture de ces chantiers ?

[1] Dans ce total, les dépenses budgétaires d'intervention, qui se montent à 93 milliards, comprennent l'exécution des missions à caractère social et sensibles. On y trouve les minima sociaux et les aides au logement. Ces dépenses ont augmenté de 40% en valeur sur les dix dernières années.

[2] Le rapport note que l'écart de taux d'intérêt entre les obligations d'Etat à dix ans de la France et de l'Allemagne est passé de décembre 2007 à décembre 2008 de 0,14% à 0,49% au détriment de la France. Autrement dit la France doit rémunérer davantage ses prêteurs.

[3] On a l'habitude de penser que l'inflation représente la meilleure façon de se sortir d'un endettement excessif, ce qui s'est révélé historiquement exact. Toutefois, de nombreux économistes, tels Christian de Boissieu, doutent fortement, à partir de la constatation que le Japon a été récemment incapable de sortir de la déflation, que le remède puisse cette fois être administré.