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La certification des comptes des collectivités locales est-elle possible ?

Dans la foulée de la certification des comptes de l'État, une procédure analogue devrait être mise sur pied concernant les collectivités locales et l'on disposera désormais d'un véritable audit général du secteur public. Une nouvelle tâche à laquelle devraient s'atteler les chambres régionales des comptes. Mais le pourront-elles tant les difficultés techniques et politiques sont nombreuses ? Cette réforme devrait permettre de réconcilier les électeurs avec les enjeux budgétaires locaux.

Portée et limite de l'audit local

La certification des comptes publics locaux va engendrer un certain nombre d'obligations pour les gestionnaires locaux. Il y a fort à parier que la transition sera longue. Les comptes devront être sincères, ce qui veut dire que la situation patrimoniale de la collectivité devra être exhaustive, fiable et convenablement valorisée. Une distinction forte existe entre les communes de plus et celles de moins de 10 000 habitants. Pour les secondes, il existe de très nombreuses dérogations comptables telles que dispense de rattachement des produits et des charges à l'exercice, dispense d'amortissement des immobilisations : autant d'exceptions qui devront disparaître.

Cette hétérogénéité se retrouve d'ailleurs actuellement au sein du patrimoine immobilier des communes : un inventaire complet, valorisé et à jour du patrimoine public (accessible au public) et privé (non affecté à l'usage du public) est d'autant moins avancé que les communes sont petites, ce qui se traduit par une sous-valorisation de l'actif. De plus, à de rares exceptions près, une comptabilité des stocks n'est pas tenue, notamment s'agissant de fournitures courantes. Enfin, il convient d'être attentif aux créances des collectivités sur les tiers et éventuellement provisionner les risques encourus [1].

Au passif, il faudra surveiller la sincérité et la fiabilité des fonds propres de la commune en effectuant le suivi des subventions, des dotations et des réserves, contrôler la nature des emprunts et dettes et évaluer les risques. Actuellement, 22% de l'encours global des dettes locales sont constitués de produits « structurés » adossant emprunts et options, dont les conséquences ont récemment été funestes pour une cinquantaine de collectivités. D'ailleurs, les pertes latentes liées à la détention de ces produits ne sont pas retracées en comptabilité. Un suivi devra également être apporté pour les plus grandes collectivités aux options de tirage sur lignes de trésorerie [2] qui ont tendance à rendre le passif à court terme fluctuant. Enfin, le certificateur devra s'attacher à regarder le volume des dettes (factures impayées) auprès des fournisseurs.

Dernière difficulté, la programmation des audits eux-mêmes. Les collectivités locales ont bien souvent des délais de grâce leur permettant d'excéder la date théorique de vote de leur budget et de production de leurs comptes. Ainsi, les budgets primitifs peuvent-ils être votés jusqu'au 31 mars (ou au 15 avril en cas de renouvellement des élus locaux) de l'année « n » [3] Pour les documents retraçant l'exécution budgétaire, la loi fixe au 30 juin n+1 la date limite d'adoption du compte administratif et au 1er juin la date limite de reddition des comptes de gestion. Autant d'incertitudes qui vont conduire à un « décalage » mécanique du processus d'audit par rapport à la réalité politique locale, et un moindre effet disciplinaire.

Le rapport d'audit permettra une véritable « pédagogie » budgétaire

Même si cette réforme n'est vraisemblablement pas la panacée, elle est essentielle pour éclairer les électeurs locaux sur les dérives budgétaires ou le sens gestionnaire de leurs élus, sur l'efficacité du réseau des comptables publics du Trésor [4] censés vérifier la régularité des comptes, mais aussi la performance des autorités de tutelles, préfet ou TPG qui détiennent une part importante du contrôle financier local.

La hausse des impôts locaux, les transferts de compétences et de fiscalité, les concours de l'État mis désormais sous enveloppe, le recours massif à l'emprunt et l'empilement des strates sont autant d'éléments de complexité qui brouillent la compréhension des comptes. Rien n'a été fait pour rendre la tâche facile, comme en témoigne Alain Colson [5] en matière d'emprunts locaux : « Il s'agit de problèmes trop complexes pour être débattus. » Très complexes certes, mais n'est-ce pas précisément le rôle de l'audit et des procédures de certification que de livrer un jugement synthétique sur la qualité de l'information comptable ? Sur cette base, les électeurs peuvent reprendre la main, la sanction politique risque de ne pas tarder et les explications des responsables locaux peineront certainement à convaincre.

[1] c'est d'ailleurs toute la question posée par l'appréciation du hors bilan dans le cadre de l'utilisation par certaines collectivités locales de produits hybrides ou structurés, voir l'article séminal de Michel Klopfer sur cette question, "l'endettement des collectivités locales", La revue du Trésor, novembre 2009 http://www.cabinetmichelklopfer.fr/...

[2] Technique permettant aux collectivités locales de disposer d'une sorte de « facilité de caisse » postérieurement consolidée en emprunt à fin d'exercice, afin de faire face aux difficultés de trésorerie générées par le décalage temporel entre les paiements des dépenses communales (et en priorité celles des personnels le 21 de chaque mois) et les 12e des impôts locaux et les remboursements du FCTVA (fonds de compensation pour la TVA) versés par le Trésor à partir du 25 de chaque mois

[3] Parce que le montant des dotations et les bases d'impositions ne sont disponibles qu'à compter de la publication de la LFI de l'année « n » (le 31 décembre n-1), la loi faisant obligation aux services fiscaux la communication au plus tard le 15 mars de l'année n des « informations indispensables à l'établissement du budget ».

[4] Au sein du contrat pluriannuel de performance de la DGCP pour la période 2006-2008, parmi les 14 engagements pris par les services des comptables du Trésor, figurait « l'amélioration de la qualité des comptes locaux ». Un objectif qui était suivi par un indice agrégé fixé à 105 en 2006 et à 115 en 2008. Pour 2009, et dans le cadre de la DGFiP, un nouveau document est en préparation. Lorsque la certification des comptes des collectivités territoriales sera lancée, il sera possible d'effectuer d'utiles recoupements et d'évaluer la performance réelle des comptables locaux du Trésor.

[5] Spécialiste des finances locales, professeur à l'Université de Savoie.