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Directive sur les services publics : le faux enjeu des élections européennes

La directive sur les services publics est un véritable serpent de mer que l'on croyait maintenant condamné et disparu. Le 19 novembre 2007, soit voici déjà 18 mois, la Commission de Bruxelles, sous la présidence de José Manuel Barroso, écartait sèchement la demande française d'une directive-cadre sur les services publics : « il n'est pas utile d'avoir une directive horizontale… une idée qui serait unanimement considérée comme erronée » par les pays membres de l'UE. « Nous n'aurons jamais de consensus sur la question, il est inutile de perdre du temps », ajoutait José Manuel Barroso. Ce qui avait provoqué l'ire des socialistes français ainsi d'ailleurs que du Parti Socialiste Européen (PSE), et la détestation dans laquelle ils tiennent José Manuel Barroso.

Les récentes déclarations de Martine Aubry montrent que le PS continue de considérer la question comme essentielle, la directive souhaitée ayant pour objet de « protéger et développer » les services publics. La dissension porte sur le fait que les socialistes veulent d'une façon générale affranchir les services publics des règles de concurrence, alors que la commission de Bruxelles favorise une approche sectorielle du problème, ce que traduisent les diverses directives existantes sur la poste et télécommunications, l'énergie, les transports etc…Pour la Commission, les règles de concurrence s'appliquent sauf dans la mesure où elles viendraient empêcher l'accomplissement des missions de service public, et chacune des directives sectorielles adapte en conséquence les règles de concurrence en fonction du contenu des missions de service public du secteur : la concurrence demeure la règle sous réserve des exceptions strictement nécessaires.

Le MODEM a aussi pris position, sans toutefois s'en expliquer, en faveur d'une directive-cadre sur les services publics. Il n'est pas jusqu'à l'UMP qui ne réclame de « clarifier rapidement et de manière exhaustive pour la France le champ des services publics, notamment les services sociaux, afin d'éviter que des règles de concurrence aveugles viennent sanctionner les intervenants de notre système social ». Il est certain que les prises de position des divers partis français demeurent vagues et qu'elles ne recoupent pas les mêmes demandes. Elles traduisent néanmoins une préoccupation spécifiquement française.

Une autre revendication du PS paraît irréaliste et bien décalée par rapport au problème : il s'agirait de voir fixer un smic européen égal dans chaque pays à 60% du revenu médian constaté dans ce pays (ce qui correspond au seuil de pauvreté selon l'INSEE). On note déjà que parmi les sept pays de l'Europe à 25 ne connaissant pas de smic figurent l'Allemagne, le Danemark et la Suède, autant de pays qui ne sont pas réputés pour leur déficit de protection sociale ni pour leurs bas salaires. Plus fondamentalement, les disparités de revenus et de salaires dans les 27 pays de l'UE sont telles qu'une telle mesure n'aurait aucun effet d'unification : ainsi les revenus médians de deux pays comme la Roumanie et la France sont dans un rapport de 1 à 8,7 [1]. Loin de permettre d'éviter les délocalisations, ce qui serait son objet, la mesure reviendrait en fait à pérenniser des disparités de salaire considérables.

On se souviendra d'ailleurs du tollé qu'ont soulevé les propositions de reclassement en Roumanie émanant de sociétés françaises dans le cadre de procédures de licenciement : et pourtant ces propositions, jugées indécentes, se situaient dans la même fourchette de rémunération des salariés dans chaque pays.

Le combat pour une directive-cadre d'application générale paraît en tout cas bien dépassé. D'ores et déjà les directives sectorielles ont été prises et appliquées, la concurrence existe dans les secteurs en question et la libéralisation totale est en vue (sauf pour la poste et les transports ferroviaires, mais ce sera chose faite en 2011 pour le courrier de moins de 50 grammes et à une date restant à définir pour le transport ferroviaire intérieur). En ce qui concerne le marché de l'électricité, le gouvernement français a confié à une commission présidée par M.Champsaur une étude nécessitée par la difficulté de concilier ouverture du marché à la concurrence et tarifs réglementés. Le rapport récemment remis se prononce en faveur de la fourniture d'électricité par EDF à ses concurrents à un tarif régulé permettant d'instaurer une véritable concurrence, et de rendre inutile de ce fait le tarif réglementé dont bénéficie le consommateur final.

Le programme du PSE (Parti Socialiste Européen) lui-même, au sein duquel siègeront les élus socialistes français, ne parle pas de directive et se borne à demander que soient garanties l'exécution des missions de service public et le maintien de l'intégrité de ces services « telle qu'elle est définie nationalement ». Rien de nouveau par rapport à ce qui existe déjà dans les textes communautaires. Il semble donc que par cette déclaration compatible avec les décisions antérieures de la Commission, le PSE, à la différence du PS, revienne sur la position intransigeante qu'elle avait adoptée en novembre 2007 et que la référence à la définition nationale des services publics consacre implicitement l'abandon de la revendication d'une directive-cadre.
Quant à José Manuel Barroso enfin, sa réélection semble assurée, sa candidature étant même appuyée par les trois socialistes à la tête de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et du Portugal.

A la demande de la France le Traité de Lisbonne a inclus une disposition protégeant les entreprises chargées d'une mission de service public. L'équilibre institué est selon nous satisfaisant. Il est bien dommage que les partis politiques français s'enferment par idéologie intransigeante dans des combats perdus d'avance et en fassent un enjeu électoral. A plus forte raison si le combat n'est pas justifié. De toute façon l'Europe doit pour avancer concilier les vues de vingt-sept pays d'histoire et de culture différentes. Cette conciliation nécessite beaucoup d'esprit de compromis. Nous sommes très loin d'aboutir, mais il ne faudrait pas que les intransigeances de la France la conduisent à en porter largement la responsabilité.

[1] Revenu médian par unité de consommation (la première personne du foyer) et en parité de pouvoir d'achat pour 2005. Source : Observatoire des inégalités.