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Cabinets ministériels : Où est passée la "parité public-privé" ?

Ils ne le diront pas officiellement, mais la bataille a été rude pour se faire accepter dans leurs cabinets ministériels. "Ils", les membres des cabinets issus du privé, sont pourtant quelques-uns, disséminés ici ou là, à la "com", aux relations avec le Parlement ou au secrétariat du ministre. État des lieux d'un système à part.

Anciens journalistes ou militants UMP, ce sont des rescapés d'un système implacable qui aurait dû logiquement les éliminer. La raison de cette rareté de personnels issus du privé dans les cabinets de nos ministres est très simple : il est bien plus facile d'embaucher dans la fonction publique. Résultat : près de 70% des conseillers de nos ministres sont issus du secteur public et ce chiffre monte à 87% à l'Élysée, 85% à Matignon et 83% aux Finances (voir tableau).

Quant aux diplômés de l'Ena, ils sont plus de 50% à l'Élysée, plus de 40% à Bercy et 20% en moyenne dans nos ministères. Le débat avait fait rage en juin-juillet 2007 sur le nombre de conseillers dans les cabinets ministériels. Y en avait-il plus ou moins que sous Jospin (500) ? Que sous Raffarin ou Villepin (environ 700) ? Finalement, suite à quelques "couacs" dans certains ministères où de nouvelles recrues embauchées par le ministre se virent "désembauchés" dans les 24 heures qui suivirent - en vertu de la règle édictée par le Premier ministre des vingt collaborateurs maximum par cabinet ministériel - l'effectif total des cabinets est aujourd'hui de 537 membres.

Tout cela relève d'un faux débat car, dans les hautes sphères, tout le monde sait très bien que des membres de cabinets ne figurant pas sur les organigrammes officiels conseillent bien réellement les ministres. Le vrai sujet semble avoir été occulté : pourquoi, alors que le Président en campagne avait annoncé la mixité culturelle dans les cabinets ministériels, avons-nous aujourd'hui une moyenne de 69% des collaborateurs de nos ministres issus de la fonction publique ? Leurs concurrents aux postes de conseillers techniques, directeurs adjoints de cabinet ou autres - sans parler des directeurs de cabinets qui sont, gouvernement après gouvernement, à 90% diplômés de l'Ena - viennent en grande majorité des hautes sphères de l'administration ou des directions des ministères concernés et ne coûtent rien ou presque aux cabinets en question car le cabinet paie seulement leur "prime de cabinet" et non pas leur salaire de la fonction publique qui continue à leur être versé par leur corps d'origine.

Pour les mêmes missions, un collaborateur de ministre peut être payé substantiellement différemment d'un ministère à l'autre.

Ces membres de cabinets ministériels issus de la Fonction publique sont en effet "mis à disposition" des cabinets ministériels par leur administration d'origine, qui continue à leur verser le "traitement de base du corps d'origine sans les primes". Les budgets des ministères, pour payer ministres et collaborateurs, figurent bien maintenant au budget mais sont indissociables du budget global des ministères. Ce système est tout de même plus vertueux, il est vrai, que le système opaque des "fonds secrets" qui existait avant 2001, cette enveloppe d'argent liquide dont disposait le gouvernement pour payer les compléments de rémunération des ministres et de leurs collaborateurs.

Ministères% de collaborateurs issus de la Fonction publique% de collaborateurs diplômés de l'Ena% de femmes
Élysée 87,3 % 55,3 % 10,6 %
Matignon 85,5 % 25,8 % 27,4 %
Écologie, développement durable 78 % 19,5 % 27,7 %
Intérieur 45 % 14,3 % 23,8 %
Affaires étrangères 78,3 % 30,4 % 34,8 %
Finances 83 % 42,8 % 11,4 %
Immigration 53,5 % 20 % 33,3 %
Justice 79 % 20 % 31,6 %
Agriculture 70 % 10 % 30 %
Travail 65 % 25 % 35 %
Éducation 57% 0 % 28,6 %
Recherche 65 % 11,8 % 32,3 %
Défense 72,8 % 13,6 % 22,7 %
Santé 64 % 8 % 28 %
Logement 50 % 15 % 35 %
Culture 59,1 % 22,7 % 31,8 %
Budget 81 % 38,1 % 19 %
Moyenne 70 % 22 % 27 %

Cela dit, le système actuel n'est pas vertueux pour autant. D'abord parce que l'opacité des montants subsiste et reste très variable d'un ministère à l'autre. Ainsi pour les mêmes missions, un collaborateur de ministre peut être payé substantiellement différemment d'un ministère à l'autre. Selon nos informations, malheureusement quasi invérifiables tellement le sujet semble inabordable, chaque ministre dispose d'un certain budget qui serait attribué en fonction de "la richesse du ministère" à répartir entre les membres du cabinet. Si notre hypothèse est juste : plus le nombre de conseillers issus du privé - et donc le nombre de personnels à payer "plein pot" - serait important et moins les primes de cabinets de collaborateurs mis à disposition par la Fonction publique seraient importantes. De combien est le montant du budget dont dispose chaque ministère pour payer les membres de cabinet de son ministre ? Mystère. Même si, à la DGAFP, (Direction générale de l'Administration de la Fonction publique), ces montants doivent être connus, ils sont tus. "Il n'existe pas de statistiques sur ce sujet", nous répond-on à la mission de la communication de la DGAFP.

Pourtant la LOLF devait soi-disant apporter la transparence sur ce sujet dont l'opacité avait déjà été dénoncée par la Cour des comptes en 1998 (voir encadré avec audition du ministre de la Fonction publique par la commission des finances du Sénat en 2001).

Extraits du rapport n° 87 de Philippe Marini,
Rapporteur général du budget au Sénat

Réponses du ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'État aux questions posées par votre rapporteur spécial à partir du référé de la Cour des comptes du 10 février 1998 relatif aux emplois dans les cabinets ministériels.

Question n° 2

Pourquoi les emplois budgétaires supportant la rémunération des personnels employés dans les cabinets ministériels ne sont-ils pas inscrits en loi de finances, cette situation n'ayant aucun fondement juridique ? Indiquer si des mesures ont été ou seront prises afin de permettre de vérifier la stricte application des dispositions du décret du 28 juillet 1948 fixant le nombre et la nature des emplois de cabinets ministériels.

Réponse

Sur un plan strictement budgétaire, le système actuel ne permet pas d'identifier et de contrôler spécifiquement les emplois affectés aux cabinets ministériels. Les nominations dans les cabinets ministériels ne se font cependant pas au-delà des emplois et crédits déjà ouverts par la loi de finances. Les fonctionnaires nommés dans un cabinet ministériel sont par définition déjà détenteurs d'un emploi budgétaire. Le changement de situation statutaire qu'implique cette nomination n'implique nullement un changement de support budgétaire.
Il est clair que la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances bouleversera cette perspective. En particulier, les comptes-endus de gestion rendront compte fidèlement de l'utilisation en emplois de l'autorisation budgétaire délivrée au gouvernement par le Parlement, et les emplois de cabinet seront pleinement identifiés. Le jaune annexé au PLF 2001 présente dans cet esprit, de façon exhaustive, le nombre de collaborateurs des ministres dans chaque cabinet, au 1er juillet 2000.

Question n° 3

La Cour des comptes précisant que la rémunération des membres des cabinets ministériels est en partie financée sur les « fonds spéciaux » inscrits au budget des services généraux du Premier ministre, indique le montant total provenant de cette source de financement, la part des « fonds spéciaux » qu'elle représente et la répartition par ministère pour chaque année depuis 1995.

Réponse

Le ministère de la Fonction publique et de la réforme de l'État ne dispose pas d'éléments retraçant l'utilisation des fonds spéciaux.

Question n° 6

La Cour des comptes souligne les écarts constants, s'agissant du nombre d'emplois de cabinet, entre le droit et la pratique, accentués par le non-respect des lettres-circulaires que le Premier ministre adressait, jusqu'en 1996, aux ministres, fixant pourtant des normes moins strictes que celles prévues par le décret du 28 juillet 1948. Ce non-respect était à l'origine, notamment, de l'apparition de membres « officieux » dans les cabinets ministériels.
Quelle appréciation le gouvernement porte-t-il sur ces observations de la Cour des comptes ? Quelle méthode est utilisée par le Premier ministre, depuis 1996, pour fixer le nombre des membres des cabinets ministériels ? Est-il envisagé d'apporter des modifications à l'annexe « jaune » consacrée aux cabinets ministériels afin de prendre en compte les observations de la Cour des comptes sur ce point ? Indiquer le nombre précis, quel que soit leur statut, des membres du cabinet de chaque ministre du gouvernement actuel, en distinguant les personnels exerçant des tâches administratives d'une part, et les collaborateurs personnels du ministre d'autre part.

Réponse

Comme l'a relevé la Cour des comptes, les dispositions du décret de 1948, qui n'ont pas été actualisées depuis 1954, ne sont plus respectées depuis longtemps. Ce fut par circulaire du Premier ministre, lorsqu'un nouveau gouvernement se constituait, que furent déterminés les plafonds d'effectifs et, parfois, la nature des fonctions correspondantes. Prenant en compte l'expérience du passé, les instructions données par le Premier ministre aux ministres et secrétaires d'État par circulaire du 6 juin 1997 ont eu pour objet de laisser à chacun des membres du Gouvernement la possibilité de définir l'effectif de son cabinet. Cette démarche pragmatique a été préférée à la fixation d'un contingent arbitrairement uniforme, pour éviter l'apparition de collaborateurs officieux. À la suite du référé de la Cour, une circulaire du Premier ministre du 19 avril 1999 a précisé les règles qui gouvernent le recrutement et la situation des membres de cabinets ministériels. Le ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l'État ne tient pas de registre comptabilisant les membres de cabinet.

Question n° 7

Des mesures ont-elles été ou seront-elles prises afin d'améliorer la lisibilité des moyens budgétaires et en personnels alloués aux cabinets ministériels au sein des lois de finances ?

Réponse

Une meilleure lisibilité des moyens budgétaires et en personnels alloués aux cabinets ministériels sera apportée par une présentation budgétaire en programmes, qui permettra de faire apparaître des éléments analytiques permettant de calculer des coûts complets de fonctionnement.

Question n° 9

Des mesures ont-elles été ou seront-elles prises afin de remédier, sur ce point, à la double inégalité relevée par la Cour des comptes, concernant :
- le caractère inéquitable des moyens alloués aux différents ministères ;
- les différences de rémunérations en dépit de fonctions identiques ?

Réponse

La rémunération des membres de cabinets ministériels peut être déterminée de deux façons. La première consiste à fixer une rémunération égale à fonctions identiques. La seconde privilégie le maintien de la rémunération antérieure en laissant le soin aux ministres de l'ajuster par le biais des indemnités de cabinet. Si la Cour des comptes juge cette seconde façon de procéder inéquitable, il faut souligner qu'il existe dans les cabinets une grande diversité, pour une même dénomination de conseiller, de conseiller technique ou de chargé de mission, en termes de charges de travail, de responsabilités et de participation à la préparation des politiques et décisions gouvernementales. La solution actuelle tient compte de cette diversité. Elle permet en particulier de limiter les avantages de carrières dont les fonctionnaires pourraient bénéficier du fait ou à l'issue d'un passage plus ou moins long dans un cabinet et d'éviter, en les maintenant dans leur corps d'origine, les problèmes de gestion de carrière que risquerait de soulever un détachement sur un statut d'emploi spécifique.

Le président voulait "des cabinets de taille réduite composés à parité de personnes du public et du privé" ? Déjà la haute administration a repris ses droits et ce n'est plus 50% mais 30% de la société civile qui se sont glissés entre deux inspecteurs des finances ou conseillers d'État. Et la plupart du temps, ce sont des postes de communication, de relations avec la presse ou de secrétariat qui échoient aux personnels issus du privé.

Résultat : ce sont toujours les mêmes qui conçoivent les réformes, qui dirigent la France par le truchement de leurs ministres. La mixité culturelle tant vantée n'existe pas dans les faits.

Pourtant, une réforme simple pourrait pallier ce manque de mixité qui conforte la France dans son rôle de pays irréformable. Il suffirait que ce soit, non plus les administrations d'origine, mais les ministères eux-mêmes qui rémunèrent les conseillers des ministres pour que beaucoup plus de personnels du privé viennent apporter un peu de souffle dans la culture publique qui règne sous les ors de la République.