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Syndicats : « Les financements occultes arrivent de partout »

L'argent noir des syndicats

Entretien avec Jean-Luc Touly, cadre administratif pendant trente ans chez Veolia Eau où il était délégué CGT, Jean-Luc Touly est aujourd'hui juge prud'homal à Créteil (94). Coauteur avec R. Lenglet et C. Mongermont de L'Argent noir des syndicats, Fayard mai 2008, Jean-Luc Touly est également maire adjoint Vert à Wissous.

Agnès Verdier-Molinié : Vous avez enquêté durant de longs mois pour votre ouvrage L'Argent noir des syndicats. Pensez-vous que cette opacité est organisée ?

Jean-Luc Touly : Pour moi, cette opacité est tout à fait organisée. En tant qu'ancien trésorier de la CGT, quand j'étais chez Vivendi, je voulais rendre des comptes aux syndiqués eux-mêmes en leur diffusant les éléments de budget et tout était fait pour m'en empêcher. On me faisait comprendre que ce n'était pas une bonne idée, même si ce n'étaient pas des informations destinées à devenir publiques. Il y a un problème de législation au départ : la loi Waldeck-Rousseau n'incite pas à la transparence, mais les syndicats eux-mêmes pourraient faire la transparence sur leurs comptes sans que cela soit obligatoire. Le problème, c'est que c'est tabou ! Les financements occultes arrivent de partout. Nous avons mis en exergue dans le livre, les financements par des pages de publicité dans les revues syndicales de la part d'entreprises notamment, mais les financements les plus truqués et les plus importants viennent de l'État et des organismes paritaires. De la part des municipalités, nous avons pu aussi constater une certaine propension à mettre à disposition des syndicats des locaux appartenant aux communes. Les municipalités paient ainsi l'eau ou encore l'électricité pour les syndicats. C'est tout à fait illégal et certaines municipalités ont déjà été condamnées pour cela. Dieppe par exemple. Ce sont surtout la CFDT et la CGT qui bénéficient de cela dans les villes les plus importantes.

AVM : Vous parlez beaucoup dans votre livre de mises à disposition de locaux. Mais qu'en est-il des mises à disposition de personnels ?

JLT : Pour les mises à disposition de personnels, ce sont surtout les entreprises publiques qui sont très généreuses. Les personnels sont détachés sur plusieurs années, voire des dizaines d'années. Même s'il est important que des permanents syndicaux soient au contact des salariés, cela doit se faire dans la transparence.

AVM : Quel est le problème majeur de nos syndicats selon vous aujourd'hui ?

JLT : Aujourd'hui, le problème majeur de nos syndicats est que lorsque vous êtes délégué du personnel, ou quelle que soit votre responsabilité, vous n'avez plus de compte à rendre à qui que ce soit : vous ne représentez quasiment plus que vous-même. D'autre part, force est de constater que, dans les syndicats, c'est la tête qui pose problème. Les représentants nationaux des syndicats, qui sont pour la plupart issus du secteur public, bénéficient d'avantages qui ne sont pas forcément de gros avantages, mais qui comptent au quotidien. Ces responsables ne mettent plus les pieds dans leurs entreprises publiques ou administrations d'origine depuis parfois plus de 20 ans ! La longévité de ces responsables et le fait qu'ils s'éloignent peu à peu du terrain sont liés en grande partie au statut de la fonction publique.

AVM : Dans votre enquête, avez-vous fait des découvertes particulières concernant l'utilisation des deniers publics ?

JLT : Il nous est apparu avec certitude que l'argent de la formation professionnelle est utilisé en partie à d'autres effets. La Cour des comptes et le rapport Hadas-Lebel l'ont dénoncé à plusieurs reprises, mais rien n'a changé dans ce domaine, tout le monde se tient. Personne au sein des centrales ne veut en parler et cela empire depuis les années 1980. De surcroît, le nombre de personnes déclarées en formation est le plus souvent doublé, voire triplé, dans les déclarations au ministère du Travail pour obtenir une subvention plus importante. Le calcul des subventions accordées aux syndicats pour la formation professionnelle prend en plus en compte les heures des permanents qui donnent les cours. Ces permanents sont en réalité déjà rémunérés par l'État puisque la plupart d'entre eux, pour ne pas dire tous, sont des agents de la fonction publique ! Cela n'empêche pas le ministère du Travail de rembourser les heures de cours. Il nous semble qu'aujourd'hui 50% des demandes de subventions sont erronées. Nous avons eu l'occasion d'interviewer un permanent syndical dont le rôle est d'établir les demandes de subventions. Il nous disait que n'importe quel comptable pourrait constater que les justificatifs ne sont pas dans les normes. Il en avait honte ! Mais cela arrange tout le monde. Plus nous avancions dans notre enquête, plus je me rendais compte que le syndicalisme français va droit dans le mur.

AVM : L'iFRAP avait évalué à environ 900 millions d'euros l'argent des syndicats en France. Cela vous semble-t-il être une bonne fourchette ? Et si oui, quelle part de cet argent vient de subventions publiques ?

JLT : C'est sensiblement ce que nous avons évalué aussi : entre 800 millions et 1,2 milliard. Ce qui correspond au financement des syndicats chez nos voisins européens bien que nos syndicats n'aient pas du tout le même nombre de syndiqués… Nous évaluons la part des cotisations dans le budget de nos syndicats à environ 30 %.

AVM : Vous avez le courage de dénoncer tout cela dans votre livre, cela ne risque-t-il pas de nuire à votre carrière ?

JLT : On m'a fait savoir que ma candidature aux élections prud'homales du 3 décembre prochain ne serait même pas discutée, en contradiction avec les règles de mon organisation syndicale ! Mais je l'avais envisagé et j'assume totalement les conséquences de mes convictions : je nous considère, avec mes deux coauteurs, comme des lanceurs d'alerte.