Actualité

Programmes des candidats de gauche : mais où est la lutte contre le chômage ?

Les propositions des candidats de gauche commencent à affluer. Bien obligé, les débats de la primaire se rapprochent à grands pas. Nous avons choisi de traiter ici le seul sujet du chômage, qui est censé représenter la priorité des préoccupations des Français et du gouvernement, dans les propositions de quatre des candidats, auxquels nous avons ajouté un candidat hors primaire. Hum… La moisson est bien faible. Présentation des propositions – lorsqu’elles existent - dans un ordre bien entendu arbitraire : le premier candidat ne fait guère qu’« assumer » sa politique passée, le second est sur la même ligne, en jetant un regard extrêmement prudent sur les plates-bandes des concurrents voisins, le troisième a fait montre d’une réelle réflexion sur les véritables sujets mais, au mieux, cache son jeu. Les deux derniers ont quand même des positions offensives, ce qui est très bien… mais dont la  caractéristique première est de pénaliser les employeurs. Curieuse façon de lutter contre le chômage. En réalité, la priorité de tous est l’augmentation du pouvoir d’achat des classes moyennes. Election oblige…

Vous avez déjà identifié les candidats ? Nous vous y aidons.

Celui que « assume » et continue dans la même ligne, Manuel Valls

"La lutte contre le chômage est au cœur de mon projet, a-t-il déclaré. Je ne suis pas un vendeur d’illusions, je dis les choses franchement, je parle vrai, j’aime la vérité. Il faut de la continuité pour lutter contre le chômage : j'assume le pacte de responsabilité, de donner des marges aux entreprises et de restaurer leur compétitivité. Le chômage a explosé depuis plus de 30 ans sauf lorsque Jospin était Premier ministre. Nous ne retrouverons pas nos taux de croissance de 3%. Et il faut instaurer une nécessaire stabilité fiscale des entreprises et ne pas remettre en cause ce qui a été engagé".

Manifestement, il se contente de défendre son bilan, la loi travail et les mesures du pacte de compétitivité qu’il estime suffisantes, porteuses de premiers résultats et devant être stabilisées. Cela peut se comprendre en face de concurrents qui vont chercher à détruire ce bilan avec d’autres propositions non orthodoxes. Tout juste ajoute-t-il des promesses d’accompagnement des entrepreneurs, un accès facilité au crédit, un prêt de l’Etat à taux zéro les premières années, le développement des start-up ou bien encore une part des marchés publics réservée aux PME. Tout cela reste bien vague et peu ambitieux. Bref, on ne bouge pas.

Le prudent, pas vraiment concerné, Vincent Peillon

Solidaire du gouvernement, il doit quand même se démarquer légèrement de Manuel Valls pour exister. Ce qu’il fait en promettant de revenir sur l’inversion de la hiérarchie des normes instituée dans une certaine mesure par la loi El Khomri – mais sans se prononcer sur les autres dispositions de la loi, en renvoyant à des discussions avec les partenaires sociaux. Et aussi en prévoyant que le CICE serait désormais conditionné à la négociation d’accords de branche ou d’entreprise favorisant « la qualité de l’emploi ». Ce qui n’a pas vraiment de rapport avec la lutte contre le chômage et aurait plutôt tendance à compliquer l’emploi.

En réalité, Vincent Peillon est beaucoup plus préoccupé, comme les autres candidats, par redonner du pouvoir d’achat aux classes moyennes. S’il  n’est pas de ceux qui promeuvent le revenu universel, le jugeant irréaliste, il se prononce pour un bouclier fiscal, s’appliquant au plafonnement de la taxe d’habitation en fonction des ressources. Une idée prise chez Thomas Piketty, et aussi préconisée par Arnaud Montebourg. Il prône aussi un rapprochement de la CSG avec l’IR sans en dire plus. Tout ceci paraît bien relever de la précipitation.  Mais en tout état de cause nous sommes bien loin du problème du chômage.

Une réflexion sérieuse, mais il cache encore son jeu, Emmanuel Macron

Il ne fait pas partie de la primaire socialiste. Si nous le citons, c’est pour l’intérêt de la comparaison

Il est le seul à vouloir introduire de la flexibilité dans le travail et à vouloir continuer les avancées des deux lois travail. Il veut aussi pérenniser le CICE et simplifier le code du travail. Il se démarque ici fondamentalement de tous les  candidats à la primaire, par des mesures commençant à s’attaquer aux véritables problèmes. Il prône aussi une réforme structurelle importante mettant fin à l’assurance chômage comme prestation contributive. Comme nous l’avons relevé dans notre analyse, La « révolution » Macron est-elle « en marche » ?,  cependant, la faisabilité des projets laisse à désirer et les résultats à attendre restent étonnamment minces au regard de la lutte contre le chômage, beaucoup de questions n’étant pas traitées. Attendre ?

Le radical, Benoît Hamon

Lui ne fait pas dans le mystère ni dans la dentelle. C’est un déclinologue avéré, persuadé que la croissance ne reviendra pas à un rythme suffisant pour créer des emplois, que rien ne pourra contrecarrer la tendance longue et mondiale à la diminution du temps et du volume de travail, laquelle s’explique par les augmentations considérables de la productivité. La seule solution réside donc dans le partage du travail.

Rejoignant l’économiste Pierre Larrouturou, il ne veut pas imposer une nouvelle réduction du temps du travail comme le fit Martine Aubry à partir de 2000, mais  veut conditionner le versement du CICE à la création d’emplois, en prônant des accords entreprise par entreprise, (par ailleurs non compatibles avec l’intention du candidat d’abroger la loi El Khomri et le principe d’inversion de la hiérarchie des normes). Ce faisant, il s’est  référé trop modestement dans un débat radiophonique récent au dispositif de la loi Robien de 1996 pour le caractère volontaire à l’époque, d’une réduction des cotisations patronales en échange d’une embauche de 10% des effectifs. Mais la question ne se pose pas dans les mêmes termes aujourd’hui, car il s’agirait d’une véritable sanction consistant à retirer le bénéfice du CICE, mesure fiscale existante, aux employeurs n’embauchant pas. Sanction très lourde, dont nous pensons qu’elle poserait des problèmes constitutionnels, et qu’elle serait par ailleurs parfaitement injuste et contre-productive, bénéficiant aux entreprises naturellement en croissance (d’où des effets d’aubaine), et pénalisant inversement les entreprises ayant déjà embauché ou n’ayant pas la possibilité de le faire, voire celles en difficulté. Voir notre note précédence, en cliquant ici.

Bref, la réduction du temps de travail n’est selon nous pas du tout, même sous cette forme censée être plus consensuelle, une solution viable. Nous ajoutons que l’hypothèse de départ de stagnation doit être combattue, comme ne faisant aucunement partie de certitudes économiques. Ainsi, la hausse de productivité du travail relève maintenant du passé dans tous les pays du monde, ce qui change les données du problème. Et aussi la constatation que la reprise indéniable de la création d’emplois à laquelle nous assistons ces derniers temps a lieu dans un contexte de croissance faible, légèrement supérieure à 1% du PIB, alors que selon la pensée économique dominante jusqu’à présent, une croissance minimum de 1,5% était nécessaire pour créer des emplois.

Le créateur de solutions énergiques… mais complètement paralysantes, Arnaud Montebourg

Il vient de publier un long manifeste. Un texte foisonnant, qui se place résolument dans l’objectif d’une « société du travail » autour d’un projet de type ouvertement keynésien, truffé d’investissements publics, de participations de la BPI dans les entreprises, voire de nationalisations, et de développement des PME françaises par l’intermédiaire de réservations à 80% des appels d’offres publics.

Un programme situé très à gauche pour les entreprises, qu’on ne se méprenne pas. Il est d’ailleurs extraordinaire  de voir un  programme anti-chômage déroulé comme si les employeurs n’existaient pas et étaient privés de comportement propre. « Si le gouvernement a fait le choix des entreprises avec le CICE, je ferai celui des classes moyennes et populaires », écrit-il.

En ce qui concerne les entreprises, la loi El Khomri, « abrogée dans ses dispositions régressives, sera remplacée par une Sécurité sociale professionnelle, c’est-à-dire la garantie pour tous d’accéder à un contrat de travail, d’activité, ou de formation. C’est la société des trois contrats destinée à éradiquer le chômage de masse ». Le CDI deviendra une norme quasiment obligatoire, avec une forte pénalisation des CDD, dont le non-renouvellement sera taxé (!), tout comme les licenciements.

Autre mesure phare atteignant directement les entreprises, la moitié du CICE leur est enlevée (10 milliards) pour permettre entre autres à hauteur de 8 milliards par an de baisser la CSG des plus faibles. Nous avons aussi une taxe spéciale sur les banques, et d’autres idées plus ou moins folkloriques comme le développement de la vie à la campagne et le télétravail – comme si on avait attendu Arnaud Montebourg pour commencer et comme si les salariés n’attendaient que cela…

Au total, un programme chiffré conduisant à une impasse budgétaire annuelle de 24,4 milliards… et un chômage s’abaissant à 6,1% en 2022 contre 9,7% actuellement au sens du BIT. Annonce magique, car on n’a pas compris comment avec la négation systématique des réformes qu’on peut mettre au crédit du gouvernement actuel en faveur des entreprises, celles-ci trouveraient l’énergie et les motivations pour diminuer de 3,6 points le chômage, soit une amélioration de plus d’un tiers, d’ailleurs jamais atteinte dans l’histoire récente.

Conclusion

Ce tableau résumé des propositions des candidats sur la question du chômage nous montre que les débats seront en fait dominés par la meilleure façon d’assurer le pouvoir d’achat des Français.

Si l’on réserve le cas d’Emmanuel Macron, réellement à part, et d’ailleurs non présent à la primaire, le camp de ceux que l’on pourrait appeler des chercheurs de nouveautés n’est représenté que par Benoît Hamon et Arnaud Montebourg. Mais le résultat est consternant. Le premier affiche, à partir d’une hypothèse aussi désespérante que discutable, une solution à laquelle personne d’autre ne croit ni ne peut croire. Et le second plonge les entreprises dans une situation de pénalisation pire que celle à laquelle la fin du quinquennat présent a tenté de remédier.