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Margaret Thatcher face aux mineurs

"Le radicalisme d'Arthur Scargill a finalement conduit les mineurs à leur perte"

Au moment de la réforme des régimes spéciaux, alors que les syndicats français tentaient de bloquer la France pour défendre des privilèges dénoncés par une majorité des français, sortait une analyse éclairante des années Thatcher ayant conduit à la fin du pouvoir des syndicats des mineurs tel que le Royaume-Uni l'avait connu depuis la fin de la première guerre mondiale [1]. Entretien avec Pierre-François Gouiffès, auteur de cette étude éclairante sur la façon de mener des réformes d'ampleur, ancien membre du cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l'emploi pendant la crise du CPE, en 2006.

Quelle est la genèse de votre livre ?

J'ai décidé d'écrire ce livre à la fin de la crise du contrat de première embauche. Tout au long de cette crise, l'action du gouvernement était dans l'improvisation permanente. En comparant la façon dont Margaret Thatcher s'était confrontée aux syndicats des mineurs et le gouvernement français tentait de gérer la crise du CPE j'ai eu l'impression qu'il y avait autant de différence entre les deux conduites politiques qu'il y a pu avoir entre un match de premier tour de Coupe de France et la finale de la Coupe du monde, France-Brésil de 1998 par exemple ! La crise du CPE était un échec de plus de la droite modérée française. L'objectif initial était ainsi de parler de la fameuse grève de 1984 mais il fallait la comprendre dans un contexte historique plus large. Ce livre est un regard de la révolution thatchérienne britannique au travers de l'évènement politique et social majeur que fut la grève des mineurs. Je l'ai donc abordé sous l'angle de l'évolution du pouvoir des mineurs.

Comment Thatcher avait-elle élaboré sa stratégie politique pour anticiper un conflit majeur ?

Les grandes lignes de la stratégie adoptée par Margaret Thatcher étaient tirées dans une annexe devant rester confidentielle intitulé « Countering the political threat », rédigé par le parlementaire Nicolas Ridley en 1977. En trois pages de synthèse, l'ancien junior minister du ministère de l'Industrie propose une synthèse des choix stratégiques à faire en vue de se préparer à un conflit dur avec les syndicats de mineurs. Le contenu du rapport ne reste pas secret bien longtemps puisqu'il sera divulgué par la revue « The Economist » le 27 mai 1978. Le plan repose sur trois piliers fondamentaux que sont la politique énergétique, l'ordre public et le droit syndical. En matière de politique énergétique, le gouvernement va chercher à sécuriser la capacité de production des centrales électriques. En parallèle, Margaret Thatcher va renforcer les forces de police en améliorant leur paie, leur équipement, leur formation et en augmentant les effectifs très sensiblement. En parallèle, les services de renseignement vont développer considérablement leur réseau d'informateurs dans les syndicats. Enfin le droit de grève et le droit syndical vont être réformés, étape par étape, par l'adoption des « Employment Act ».

Justement, quel a été le rôle des trois grandes lois limitant le pouvoir des syndicats ?

Le principal problème auquel avaient affaire les dirigeants britanniques étaient les grèves non officielles, ou Wildcat strikes. Depuis le Trade Dispute Act de 1906, les délégués syndicaux bénéficiaient d'une immunité juridictionnelle civile et pénale totale concernant les éventuels dommages dus aux grèves. La situation d'impunité était presque totale pour les syndicats. Le gouvernement de Margaret Thatcher va donc adopter une approche incrémentale afin de limiter cette impunité. L'Employment Act de 1980 va tout d'abord encadrer la pratique des piquets de grève. Il devient illégal de bloquer les usines, les ports et bâtiments publics pendant les grèves par la pratique des piquets volants. En 1982, une seconde loi encadre les motifs de légalité d'une grève et met fin à l'immunité juridictionnelle des syndicats en tant que personne morale si la grève est considérée comme illégale. Il devient possible de s'attaquer aux finances des syndicats. Les pouvoirs publics vont d'ailleurs encourager les dépôts de plaintes contre les syndicats pendant la grève de 1984 afin de saisir plusieurs fois les comptes du NUM [2]. Enfin, le Trade Union Act de 1984, qui ne sera pas utilisée pendant la grève des mineurs, impose un vote majoritaire à bulletins secrets des salariés avant tout lancement d'une grève. Ces trois lois seront d'ailleurs bien accueillies par l'opinion publique.

Comment, justement a réagi l'opinion publique tout au long du conflit ?

Je tiens à souligner la réussite de l'action de Margaret Thatcher en termes d'opinion publique. Tout d'abord, elle a laissé les discussions se mener entre la NCB [3] et le NUM. Le conflit prenait ainsi l'allure d'une affaire catégorielle. Elle a de plus, dès le début, laissé une porte de sortie aux syndicats, qu'ils ont refusé de prendre. Rien n'était gagné d'avance pour Margaret Thatcher ; elle ne pouvait en effet qu'avancer, mais rien ne la prédisposait à remporter une telle victoire. Lors des conflits précédents, les mineurs bénéficiaient d'une image positive auprès de la population. Cette image va s'inverser sous la politique d'Arthur Scargill, violente et non démocratique. Le radicalisme d'Arthur Scargill a finalement conduit les mineurs à leur perte. D'une part par l'absence de scrutin pour décider la grève, point que ne cessera de rappeler le gouvernement, d'autre part en usant d'une violence insensée, alors que les forces de police, sur le fil du rasoir en permanence, n'ont fait aucune bavure tout au long du confit. Finalement, on peut conclure que la bataille a plus été perdue par le NUM d'Arthur Scargill que gagnée par le gouvernement Margaret Thatcher.

Quelle leçon politique retirez-vous de cette étude historique ?

Je retire trois grandes leçons de cette crise politique. La première concerne la gestion de la popularité. En effet, sur des réformes structurelles, il ne faut pas espérer des gains de popularité, du moins à court terme. Deuxièmement, quand un conflit social occasionne des gênes pour le public, l'opinion tend progressivement à se retourner contre le gouvernement, ce qui me conduit à formuler ma troisième leçon. Quand un désordre social devient durable, le gouvernement ne peut être exonéré de sa responsabilité. Ceci a donc des conséquences sur l'aspect de l'urgence de la gestion de crises. Je tiens néanmoins à préciser que lors d'un conflit entre les syndicats et le gouvernement, la qualité des adversaires joue beaucoup. Les organisations syndicales ne sont pas obligées d'adopter un comportement aussi suicidaire que le NUM sous la direction d'Arthur Scargill.

[1] Margaret Thatcher face aux mineurs, aux éditions Privat, par Pierre-François Gouiffès

[2] National Union of Mineworkers, syndicat des mineurs en Grande-Bretagne depuis 1944

[3] National Coal Board, entreprise publique des charbonnages britanniques de 1947 à 1986