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Le système social français est-il vraiment un modèle ?

L'annonce d'une croissance inespérée de + 0,1 % au troisième trimestre 2008 avait fait croire que la France était entrée en récession plus tard que les autres pays de l'OCDE. Les données révisées de l'Insee montrent qu'il n'en est rien. Comme ses partenaires, la France est en récession depuis le début 2008. Pendant la crise, la situation de la France ne semble pas si différente de celle des autres pays. Et après la crise ?

Dans cette période critique, la question du modèle économique et social le plus efficace prend de l'ampleur. Le modèle français, décrit il y a encore quelques mois comme sclérosé, inefficace et dirigiste, est aujourd'hui célébré en France et par la presse internationale. Mais au-delà des apparences, qu'attend-on concrètement d'un modèle social ? Avant tout, qu'il génère de la croissance, des emplois et du pouvoir d'achat sur un cycle économique.

L'OFCE juge la France « mieux armée » que ses principaux partenaires, son économie étant « moins ouverte » et donc « moins exposée » à la chute du commerce mondial. En somme, une balance commerciale régulièrement déficitaire de 20 milliards de dollars serait un atout alors que l'Allemagne serait pénalisée par son excédent de « seulement » 150 milliards (250 milliards avant la crise).

À l'inverse du modèle anglo-saxon, le modèle français – et plus largement le modèle continental européen – se caractérise par un État interventionniste, des impôts élevés et une régulation plus forte des marchés du travail et des biens et services. À en croire l'hebdomadaire britannique The Economist et les magazines américains Times et Newsweek, cela présenterait de nombreux avantages en temps de crise. Le droit du travail favorable aux salariés permettrait de ralentir la progression du chômage et l'État Providence protégerait les plus faibles en cas de chute brutale de l'activité. Ces « forces » du modèle français expliqueraient que notre économie résiste mieux que les autres pendant la crise.

Mais, il serait hâtif de conclure à la supériorité d'un contrat social sur un autre en s'appuyant sur des données macroéconomiques qui portent sur une période aussi courte qu'un trimestre. C'est pourquoi nous préférons ici nous pencher sur une période plus longue, de 1990 à 2008. Et le constat est sévère :

Indicateurs de performance économique en Europe et aux Etats-Unis
Taux de chômage moyen depuis 1990Chômage des jeunes (15-24 ans) en 2007 Croissance moyenne du PIB depuis 1990Indice d'évolution du pouvoir d'achat depuis 1990Évolution de la dette publique (en points de PIB) depuis 1990
France 9,8% 21,2% 1,95% +84,4 +28,7
Allemagne 8,3% 11,7% 1,92% +87,9 +21,3
Espagne 13,3% 18,2% 3,11% +112,3 -18,3
Italie 9,3% 20,3% 1,42% +77,9 +8,8
Royaume-Uni 6,7% 14,4% 2,42% +112,2 +11,5
États-Unis 5,4% 10,5% 2,86% +97,3 -0,7
Sources : Eurostat, OCDE, FMI.

La performance macroéconomique de l'Europe continentale est décevante depuis 20 ans

Le chômage en Europe continentale a été près du double de celui observé aux États-Unis et au Royaume-Uni ces vingt dernières années et le chômage des jeunes 70 % plus élevé. L'augmentation du pouvoir d'achat a été inférieure en France à celle observée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En outre, la dette publique a explosé en Europe et notamment en France : 30 points de PIB de plus qu'aux États-Unis et près de 20 points de plus qu'au Royaume-Uni. Enfin, si on exclut l'Espagne qui a connu une situation exceptionnelle de rattrapage, la croissance en Europe continentale a été inférieure de 40 % en moyenne.

Les statistiques officielles montrent donc que sur les critères essentiels de création de richesse et de taux de chômage, le modèle social européen est moins efficace que le modèle anglo-saxon et que le modèle français est moins efficace que le modèle européen sur un cycle économique.

Le poids du secteur public

La dernière prévision de récession du FMI – de l'ordre de 3 % pour la France en 2009 – semble indiquer que nous faisons mieux que nos voisins. Mais en apparence seulement, le poids du secteur public ayant pour effet de masquer la faiblesse de l'économie marchande dans les statistiques de PIB. Or, les dépenses publiques ne baissent pas et ont même été augmentées par le plan de relance du gouvernement. Une récession de 3 % de l'ensemble de l'économie française correspond en réalité à une contraction double (6 %) de l'activité des entreprises, puisque le secteur public représente plus de la moitié du PIB. Une mesure plus juste de la santé de l'économie est donc fournie par le chiffre de croissance du PIB ajusté des dépenses du secteur public. Et les résultats montrent que la France et l'Europe, en dépit de leur modèle social, sont loin d'être épargnées par la crise économique mondiale.

Croissance du PIB ajustée du poids du secteur public
Poids du secteur public
(en % du PIB)
Prévision de croissanceCroissance ajustée
2009201020092010
France 52,4% -3,0% -0,2% -6,3% -0,4%
Allemagne 44,2% -5,4% +0,3% -9,7% +0,5%
Espagne 38,8% -3,2% -1,0% -5,2% -1,6%
Italie 47,9% -4,4% +0,1% -8,4% +0,2%
Royaume-Uni 44,0% -3,8% +0,1% -6,8% +0,2%
États-Unis 37,0% -2,9% +0,9% -4,6% +1,4%
Source : FMI, calculs iFRAP.

La récession sera aussi sévère en Europe qu'aux États-Unis et au Royaume-Uni, et la reprise plus molle et plus tardive. L'origine de la crise ne se trouve pas en Europe, et les ménages français sont moitié moins endettés que les ménages américains et anglais. Cela aurait dû leur permettre de traverser la crise avec plus de sérénité. Pourtant, il se produit exactement l'inverse.

Un modèle prompt à distribuer, lent à créer

Les critiques formulées ces dernières années à l'égard du modèle français étaient fondées. En période d'expansion économique, il freine la croissance et l'emploi, et absorbe les augmentations de pouvoir d'achat par des prélèvements fiscaux et sociaux croissants comme le souligne le rapport Cotis : « Les hausses de cotisations ont conduit à une quasi-stagnation du salaire net entre 1981 et la fin des années 1990.(…) La relative stabilisation des cotisations a ensuite permis aux salaires nets de redevenir légèrement croissants. » En période de récession, il n'amoindrit pas le choc et freine la reprise : le poids du secteur public ne fait que masquer les difficultés de l'économie réelle.

Des décennies de politiques économiques mal ajustées nous ont menés à la situation actuelle : chômage en route pour 10 %, dette publique dépassant bientôt 80 %, déficit du commerce extérieur, déficit des comptes de la nation à 7,5 % et croissance encore négative en 2010. Ce constat d'échec, doublé d'une nécessité de changement, est appuyé depuis plusieurs années par de nombreux experts et rapports, à l'instar de ceux rédigés par MM. Pébereau [1] et Camdessus [2].

Le consensus commençait tout juste à se dessiner avant la crise et les réformes à être mises en place. Ne les balayons pas d'un revers de la main, qui plus est en nous appuyant sur des statistiques biaisées, incomplètes et portant sur une période trop courte pour être significative.

Pour complèter cet article, nous vous proposons cette interview :
La France et l'Angleterre face à la Crise

[1] Rompre avec la facilité de la dette publique, 2005. Michel Pébereau est président du conseil d'administration de BNP Paribas et membre de l'Institut de France.

[2] La France décroche, il nous faut un sursaut, 2004. Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, a été président du Fonds monétaire international (FMI) de 1987 à 2000.