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Heures supplémentaires TEPA

Pas plus d'heures effectuées en 2008 qu'en 2007

La publication par les services de Bercy d'un rapport au Parlement relatif aux exonérations de charges sur les heures supplémentaires était attendue par tous. En effet, la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (dite loi TEPA) votée fin 2007 prévoyait la remise d'un rapport d'évaluation du dispositif. 750 millions d'heures supplémentaires sont annoncées pour toute la France en 2008, pour un coût global de 4,4 milliards à l'horizon 2010. La bataille de chiffres s'est engagée, sur l'initiative de Didier Migaud, président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, dénonçant « un coût démesuré au regard des résultats et des effets pervers sur l'emploi ».

L'objectif de la mesure, tel qu'exprimé dans l'exposé des motifs de la loi TEPA, était « L'augmentation de la durée moyenne de travail [comme] une condition essentielle à la baisse durable du chômage et à l'augmentation de notre rythme de croissance. […] Pour parvenir à cet objectif, il faut jouer à la fois sur l'offre et sur la demande. Tel est l'enjeu de l'article 1er, qui vise à diminuer le coût du travail pour les entreprises qui augmentent la durée de travail de leurs salariés, tout en incitant ces derniers à travailler plus par la garantie d'une augmentation substantielle de leurs revenus. ». Afin de comprendre si la mesure est une réussite, il convient donc de regarder si elle a conduit à l'augmentation de la durée de travail, d'une part, et à l'augmentation du revenu des bénéficiaires, d'autre part.

Stabilité du volume d'heures supplémentaires

Les 750 millions d'heures supplémentaires annoncées pour 2008 correspondent à une estimation de l'ensemble des heures supplémentaires déclarées par les entreprises françaises (secteur agricole compris). Elles comprennent donc les heures supplémentaires « classiques », auxquelles les entreprises faisaient appel les années précédentes, corrigées des évolutions du marché du travail, auxquelles il convient d'ajouter les heures supplémentaires « supplémentaires » conséquentes à l'application de la loi TEPA. Afin de mesurer le nombre d'heures supplémentaires TEPA, il faut donc comparer l'évolution du nombre d'heures avant et après l'entrée en application de la mesure.

Or, le rapport de Bercy remis au Parlement reste très vague à ce sujet. Prétextant un changement dans la méthode de comptage, il déclare que les statistiques existantes pour les années précédentes « sont moins fiables que les données ACCOS et ne peuvent pas leur être comparées. » Il est vrai qu'avant la loi TEPA, les heures supplémentaires étaient estimées par enquêtes, et qu'elles sont depuis comptabilisées d'après les bordereaux récapitulatifs des cotisations remis par les entreprises aux Urssaf. En clair, on est passé d'une méthode d'évaluation par enquêtes sur des échantillons à une méthode de comptage par déclaration obligatoire.

Ce changement de méthode de comptage ne doit pourtant pas conduire à refuser toute comparaison, si l'on veut véritablement analyser l'effet de la mesure. Tout d'abord, les services de la Dares appliquent aux estimations des corrections qui leurs permettent d'approcher le volume d'heures supplémentaires effectuées chaque année. Le rapport de Bercy note d'ailleurs que ces méthodes conduisent à une « sous-estimation du volume réel d'heures supplémentaires ». La comparaison joue donc, a priori, en faveur de la mesure TEPA, puisque l'on va comparer un nombre exact d'heures effectuées en 2008 à un nombre sous estimé en 2007.

Coût de la mesure heures supplémentaires TEPA

Le coût net pour le Trésor est estimé à 4,4 milliards d'euros en période de croisière (2010). Si l'on est optimiste, en conservant l'estimation de 20 millions d'heures nouvelles créées, on peut donc estimer à environ 200 euros le coût net de chaque nouvelle heure supplémentaire pour Bercy. Mais ce montant de 4,4 milliards d'euros correspond au coût « budgétaire » de la mesure pour le Trésor [1]. Pour analyser les effets économiques, il convient de s'intéresser au montant annuel des exonérations. Et leur effet à la fois sur les salariés et sur les finances publiques.

Pour se faire une idée du pouvoir d'achat redistribué aux Français et du coût annuel qu'il faudra dorénavant répercuter dans les comptes de la Nation, il convient de considérer la seule année 2008. Selon les services de Bercy, le coût net de la mesure est estimé à 3,5 milliards d'euros [2]. La loi TEPA s'appliquant à l'ensemble des heures supplémentaires (les anciennes et les nouvelles), il convient donc de rapporter ce coût de 3,5 milliards d'euros au volume annuel de 750 millions d'heures déclarées pour 2008. Chaque heure supplémentaire coûte désormais en France 4,6 euros de plus au Trésor qu'avant la mise en place de la réforme.

Ces sommes sont perdues pour l'Etat, mais reviennent aux salariés et aux entreprises. Tout d'abord, le revenu des salariés bénéficiant des heures supplémentaires n'est plus soumis à l'impôt sur le revenu. Selon les estimations du gouvernement, 5.5 millions de personnes (presque autant de ménages) auraient bénéficié d'heures supplémentaires déclarées en 2008. Chaque salarié aurait donc bénéficié d'une réduction de son revenu imposable de l'équivalent de 136 heures supplémentaires (5,5 millions de salariés effectuant chacun 136 heures donnent 750 millions d'heures supplémentaires à l'échelle de la France). Bercy estime la réduction d'IR à 700 millions d'euros pour l'année 2009 (puisque l'impôt sur le revenu est calculé sur les revenus de l'année précédente), soit un peu moins de 130 euros par bénéficiaire en moyenne.

L'effet le plus important pour les salariés est l'exonération des cotisations salariales. Elles sont évaluées à environ 2,1 milliards d'euros en 2008, soit 380 euros en moyenne par bénéficiaire. Les entreprises, elles, bénéficient de l'exonération forfaitaire de cotisation patronale de 1,5 euro par heure supplémentaire pour les entreprises de moins de 20 salariés et de 0,5 euro pour les entreprises de plus de 20 salariés. Ce montant est évalué entre 500 et 700 millions d'euros pour les entreprises. Enfin il convient de prendre en compte l'augmentation de la majoration de la rémunération des heures supplémentaires pour les entreprises de moins de 20 salariés, qui joue à la fois en faveur des salariés, constituant une augmentation du revenu, et en défaveur des entreprises, assez difficilement chiffrable, mais nous le supposerons peu important au niveau macroscopique.

En estimant que le coût de chaque heure supplémentaire reste le même à l'avenir on peut donc estimer que la mesure TEPA est à l'origine d'un manque à gagner pour l'Etat de 4,6 euros par heure supplémentaire effectuée.

Pour élargir au sujet des politiques d'allègement de charges, lire le dossier : Exonération sociales : la bonne à tout faire de la République

Les dernières études de la Dares montrent ainsi que le volume d'heures supplémentaires était ainsi de 630 millions en 2006 et 730 millions en 2007 avant prise en compte de la loi TEPA et hors secteur agricole. Une note méthodologique précise que cette évaluation prend en compte les effets de biais statistiques dus aux changements de réglementation.

Avec 750 millions d'heures supplémentaires comptabilisées en 2008, on peut donc conclure que la loi TEPA a, au mieux, permis la création de 20 millions d'heures supplémentaires, au pire, détruit quelques millions d'heures, si l'on prend en compte le volume d'heures supplémentaires du secteur agricole (30 millions à retrancher). En considérant, par prudence, que la marge d'erreur des estimations est d'environ 10%, on peut donc affirmer que le volume d'heures supplémentaires effectuées en 2008 est approximativement le même qu'en 2007. Même s'il faut prendre en compte une conjoncture économique défavorable à l'inflation d'heures supplémentaires, la mesure n'a donc eu qu'un effet limité sur le volume d'heures supplémentaires. Tout au plus a-t-elle pu contribuer à maintenir le volume d'heures dans un contexte de crise.

Bien que d'un coût élevé, la mesure Tepa a maintenu le volume d'heures supplémentaires à leur niveau 2007, dans un contexte de crise. On ne peut donc légitimement pas accuser cette mesure de la loi TEPA d'avoir accentué le chômage et « pris du travail aux intérimaires » par exemple, comme le disent, ou l'ont dit, hâtivement certains des responsables syndicaux, mais bien d'avoir permis de redistribuer du pouvoir d'achat.

[1] C'est en effet toute la différence qui existe entre comptabilité publique et comptabilité budgétaire. En comptabilité publique, les ressources fiscales seront directement impactées par les exonérations de charges sociales. En comptabilité budgétaire, il suffit que l'affectation du produit d'une taxe soit prévue à due concurrence pour compenser la recette perdue (indépendamment de la productivité réelle de la taxe ainsi affectée) : l'acceptation de ce mécanisme par le gouvernement qui consiste à affecter une recette supplémentaire à une charge nouvelle s'appelle « la levée du gage ». Bercy estime donc de façon budgétaire que le coût sera de 4,4 milliards d'euros « une fois pour toutes », puisque dorénavant les taxes sur les alcools et tabacs viendront compenser le manque à gagner dû aux exonérations de charges salariales et patronales.

En revanche, ce qui est oublié, c'est que chaque heure supplémentaire effectuée désormais rapportera moins que ce qu'elle aurait rapporté avant la réforme. Le coût public de la mesure, correspondant au manque à gagner annuel, est donc supérieur. Sans baisse des dépenses, cette baisse de recette se traduira par un creusement du déficit.

[2] 2,8 milliards de coût net des exonérations en 2008 et 700 millions d'euros de baisse d'Impôt sur le revenu 2008 qui seront perdus en 2009.