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Contrôleurs aériens de la DGAC, le débat rebondit à l'Assemblée nationale

Le scandale entourant les conditions de travail des contrôleurs aériens, depuis longtemps dénoncé par l'iFRAP et récemment remis en lumière à la suite d'une enquête du Figaro, continue à défrayer la chronique. Après la commande sous 24 heures le 23 septembre dernier par Dominique Bussereau secrétaire d'Etat aux transports, d'un rapport permettant de faire le point sur la situation des contrôleurs, c'est au tour du directeur général de l'Aviation Civile, Patrick Gandil de se retrouver sur la sellette en étant auditionné par la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire à l'Assemblée nationale, le 13 octobre dernier. Or ce qui est frappant lorsqu'on regarde de plus près le compte rendu de l'audition, c'est la confirmation de l'opacité de la gestion des personnels du contrôle aérien en France qui repose avant tout sur un terreau social particulièrement aride… explications…

Le directeur général de l'Aviation civile commence comme il est d'usage par contester « des réalités qui ont été considérablement déformées par certains journaux ». Le véritable temps de travail des contrôleurs aériens serait officiellement de 1 420 heures par an, soit 32 heures par semaine en moyenne avec 56 jours de congés payés par an alors que nous avions mis en évidence un volume réel plus proche, au mieux, des 24 heures par semaine. Mais comme ces personnels suivent également des formations et participent à d'autres programmes, le temps maximal dévolu au contrôle aérien est inférieur à ces données théoriques, ce qui aboutit à définir un « potentiel disponible du contrôle aérien », nécessairement inférieur.

Mais, même ce temps de travail, de l'avis du directeur général, n'est pas totalement utilisé car pas totalement utile : « On n'a pas forcément besoin de tout ce temps de travail », car précisément la programmation du trafic aérien dans les grands aéroports permet de planifier les vacations des personnels de contrôle, de sorte qu'il ne faut que quelques personnels supplémentaires aux heures de pointe afin de palier toute éventualité et d'anticiper une hausse ponctuelle et imprévue du trafic… de la sorte, certains personnels sont placés « en pose supplémentaire en salle de contrôle ou de repos ». Le phénomène de « clairance [1] » résulte donc de l'écart persistant entre l'effectif théoriquement disponible et les besoins maximaux estimés après inclusion des marges de sécurité et de la programmation retenue. En clair, ainsi que l'évoque le directeur lui-même : « un chef d'équipe peut être amené à laisser partir un agent ou même à lui accorder un jour de liberté ». L'autogestion est donc manifeste et aboutit à ce que les contrôleurs puissent être amenés à ne pas travailler jusqu'à 3 jours par mois supplémentaires (soit 36 jours par an de récupération au maximum) à cause des « clairances » qui révèlent un état de « surcapacité » opérationnelle.

En réalité, comme le relève plus loin le directeur, le phénomène est sensiblement plus dégradé. Derrière la présence effective réglementaire de 32 heures en moyenne, il faut au sein des tours de contrôle et sous la responsabilité du chef d'équipe [2] , regarder le temps d'ouverture des positions, en clair le temps de présence effective d'un contrôleur à son poste. Si le taux théorique est de 70% du temps réglementaire, celui réellement pratiqué n'est que de 50%. Il s'en suit que le temps effectif passé au contrôle tournerait plutôt autour des 16 heures par semaine.

Quant aux raisons qui président à une telle gestion opaque du personnel, Patrick Gandil l'expose ouvertement : « C'est le résultat d'un certain équilibre social qui a ses avantages et ses inconvénients. » Côté inconvénients, l'impossibilité pratique de revenir rapidement sur la pratique des clairances : « un chef d'équipe […] dispose d'un potentiel forcément un peu surdimensionné […] mais si l'on avait, à la place, des règles strictes, cela conduirait à un jeu du chat et de la souris auquel on serait, je pense, perdant in fine. » Bref, la gestion du personnel est si difficile et la culture de la profession si exorbitante du droit commun de la fonction publique, que les contrôleurs assis sur leurs privilèges et volontiers frondeurs, auraient bien du mal à rentrer dans le rang ! Ultime aveux d'impuissance, le directeur, réaliste, constate : « Je ne suis pas très fier de ce que je vous dis. Mais c'est la réalité. Je dois composer avec un certain climat social qui rend la situation assez désagréable mais les contrôleurs rendent un service assez performant quand on le considère dans sa globalité. »

« Assez performant » ? Il suffit de jeter un œil sur les études européennes disponibles sur le sujet pour se convaincre du contraire. Une tendance qui va de pair avec le surdimensionnement des effectifs de contrôle (qui aboutit rappelons-le à la relative « modération » des rémunérations par rapport à leurs homologues européens beaucoup moins nombreux). Il peut être intéressant à cette fin de mesurer leur productivité. C'est ce à quoi se sont attachés les services d'Eurocontrol, l'organisme de gestion du trafic aérien en Europe en comparant la productivité de 36 pays partenaires.

PaysEffectifsmontant moyen des rémunérations (€)organismejours travaillés théoriques par agentProductivité des contrôleurs
(indice Eurocontrol)
classement (productivité)
Maastricht Benelux nord de l'Allemagne 258 184 000 MUAC 160 1,86 1
Suisse 450 140 000 Skyguide 200 1,16 3
Angleterre 2 079 136 000 NATS 218 0,94 7
Italie 2 223 143 000 ENAV nc 0,83 14
France
4 345
105 000
DGAC-DSNA155
0,79
16
Espagne 2 318 330 000 AENA nc 0,55 26
Europe
(36 pays)
18 660
0,74
Sources : iFRAP, Eurocontrol (ATM Cost Effectivness (ACE) 2007 Benchmarking report, mai 2009), rapports annuels des ANSP (Air National Service Providers)

Nous relevons que la France est 16ème en termes de productivité, loin derrière le Royaume-Uni qui est 7ème et justifie pleinement un salaire par contrôleur 30% plus important, avec des effectifs près de deux fois moindres. Les plus productifs sont les personnels de l'opérateur MUAC chargé de gérer de façon mutualisée le contrôle aérien au sein du Bénélux et du Nord de l'Allemagne. Au sein des pays occidentaux européens, seule l'Espagne fait moins bien en se classant 26ème. Rappelons pour mémoire [3] que le classement des dix organismes de contrôle les plus productifs associés à Eurocontrol, sont : l'Estonie (2), la Suisse (3), la Hollande (4), l'Autriche (5), le Portugal (6), le Royaume Uni (7), l'Irlande (8), la République Tchèque (9) et l'Allemagne (10).

Les résultats sont toutefois encore plus significatifs si l'on compare la croissance du trafic voyageur entre 2002 (date de notre dernière étude) et 2007 (dernières données eurostat disponibles) avec l'effectif des contrôleurs aériens par pays à ces deux dates. On constate alors aisément, puisque le volume de passagers permet de suivre assez bien l'augmentation du trafic aérien, la vraie performance des contrôleurs nationaux.

Pays (effectifs en milliers)trafic passager (2002)trafic passager (2007)nombre de contrôleurs (2002)nombre de contrôleurs (2007)Rapport passagers/ contrôleurs (2002)Rapport passagers/ contrôleurs (2007)
France 96 526 120 034 4 113 4 498 23,4 27,62
Etats-Unis 591 558 773 774 18 000 11 000 32,8 70,3
Allemagne 114 383 163 844 1 700 1 800 67,5 91,4
Royaume-Uni 168 742 217 288 1600 1 990 105,4 109,18

Il apparaît en effet que le rapport passagers/contrôleur entre 2002 et 2007 n'augmente en France que de 4,2% quand en Allemagne il s'apprécie de 35,5%. L'accroissement de la performance anglaise est assez proche de la France avec 3,78 passagers/contrôleur, mais comment en serait-il autrement vu que le nombre de passagers par contrôleur est le plus élevé des pays développés ce qui représente un différentiel avec la France de 82 passagers par contrôleur en 2002 et de 81,56 passagers par contrôleur en 2007.
Enfin, l'écart est sans comparaison avec les Etats-Unis, qui augmentent leur rapport passagers/contrôleur de 114% ! Il faut dire que depuis Reagan, il existe une politique très ferme d'encadrement des contrôleurs aériens. Devant une conjoncture économique assez difficile sur ce segment, des gains de productivité ont été recherchés, aboutissant à faire baisser le nombre des contrôleurs aériens de 7000 en cinq ans tandis que le transport passager se développait de 30,8%.

Le chemin semble donc particulièrement long pour que la France parvienne à rejoindre les meilleures nations en la matière. Une piste pourrait être de progressivement appliquer le non renouvellement systématique des contrôleurs partant à la retraite afin d'augmenter (par un système de primes) le temps de travail des personnels de contrôles. L'objectif étant de relever de 30% leur temps de travail au cours de l'année ce qui ferait alors passer la durée moyenne de travail des personnels de 155 jours par an à 221 jours…un objectif qui rapprocherait les contrôleurs français de leurs homologues suisses (200 jours) et anglais (218 jours), les plus assidus en Europe.

[1] La « clairance » étant une autorisation d'absence délivrée souverainement par le chef d'une équipe de contrôleurs à ses subordonnés, suivant son appréciation discrétionnaire des besoins réels et anticipés du trafic.

[2] Celui-ci ayant de l'avis même du directeur « des marges de manœuvre reconnues par ses pairs pour arriver à gérer et à équilibrer l'ensemble [des effectifs] ».

[3] MUAC, Annual Report 2008.