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Chômage partiel, la drogue douce des licenciements économiques ?

Les partenaires sociaux, qui viennent de s'engager dans un nouveau round de négociations, sont tombés d'accord pour discuter du chômage partiel, mais surtout pas de l'assouplissement de la procédure de licenciement économique comme le demandait le Medef.
Ce dernier, sous la pression des syndicats mais aussi du gouvernement, qui jugeait le sujet peu opportun ( !), a finalement accepté de renoncer à sa demande.
En revanche, tous les partenaires sociaux ont estimé nécessaire et urgent d'améliorer encore le dispositif du chômage partiel.

Cela peut se comprendre, dans la mesure où le chômage partiel, qui généralise le temps partiel dans une entreprise, est présenté comme une mesure évitant les licenciements, du moins de façon temporaire. Politiquement, il améliore les statistiques du chômage, n'étant pas comptabilisé comme tel. Socialement et économiquement, il sécurise les salariés qui ne perdent pas leur emploi et permet aux entreprises de conserver les compétences dans la perspective de jours meilleurs, ce qui est loin d'être négligeable. Bref, tout le monde est gagnant, ce qui explique que l'Allemagne ou encore les Pays-Bas y recourent beaucoup depuis 2008, et que la France fasse pareil, comme elle l'avait déjà fait en 1995.

De nombreux assouplissements ont été récemment apportés à la législation française sur le chômage partiel, et les organisations syndicales et patronales gérant l'Unedic ont adopté en avril dernier une convention avec l'Etat permettant de porter l'indemnisation du chômage à 75% du salaire pour une période comprise entre 3 et 12 mois, à condition que l'entreprise soit couverte par une convention individuelle ou collective et qu'elle s'engage à ne pas procéder à des licenciements pendant une période double de celle concernée par l'accord. L'entreprise reçoit différentes allocations pouvant se monter au total à presque 8 euros par heure.
Résultat, selon l'INSEE le nombre des personnes en chômage technique ou partiel a bondi de 34.000 à 183.000 du premier trimestre 2008 au même trimestre de 2009, et ce chiffre devrait encore s'accroître, les partenaires sociaux travaillant notamment pour étendre le dispositif du chômage partiel au secteur des services, jusqu'à présent exclu.

Le chômage partiel n'est cependant pas la panacée

Dans une récente étude (Connaissance de l'emploi, mars 2009, No 63), le Centre d'Etudes de l'Emploi souligne que le dispositif du chômage partiel, prévu à l'origine pour faire face à des difficultés d'ordre conjoncturel, donc temporaires, répond actuellement à des besoins de flexibilité structurelle. Il apparaît dès lors « comme un amortisseur social dont la portée est à visée principalement politique ». La question se pose donc de savoir si dans ce rôle il permet de protéger l'emploi. Mais à ce titre, et en se fondant sur une étude (Calavrezo et al., 2009) conduite sur la période 1996-2004, le CEE indique que le chômage partiel ne remplit pas ce rôle de protection de l'emploi, et qu'au contraire de les réduire, il est annonciateur des licenciements économiques.

On pourrait aussi insister sur le coût pour l'Etat de la prise en charge de l'indemnisation du chômage partiel, d'autant que les indemnités de chômage partiel sont imposables à la CSG mais non assujetties aux cotisations sociales, ce qui constitue une nouvelle niche si l'on considère que les indemnités remplacent un salaire qui, lui, aurait été assujetti. A vrai dire, la France a depuis longtemps inauguré les aides aux entreprises (cf. la RTT et les exonérations sur les bas salaires) et les distributions de pouvoir d'achat (le RSA), et nous continuons dans la même lignée. Si d'ailleurs les salariés au chômage partiel étaient licenciés, donc au chômage total, ils coûteraient encore plus cher à la collectivité. Le véritable problème est que le dispositif ne semble justement pas protéger du licenciement.

Il y a en outre deux considérations qui font douter de l'intérêt économique du recours de plus en plus large au chômage partiel, par rapport à l'objectif de flexibilité structurelle qui paraît maintenant être le sien. C'est tout d'abord le fait que la mesure doit obligatoirement concerner également tous les salariés d'une entreprise. Or pour faire face à la crise, une entreprise peut légitimement désirer se réorganiser en abandonnant certaines activités sans toucher aux autres, donc en traitant l'emploi de façon différenciée. Cela lui est impossible.
Par ailleurs, en raisonnant d'un point de vue macroéconomique, le chômage partiel, en tant que mesure anti-licenciement, tend à favoriser la situation des personnes en place, et risque d'accroître les disparités entre ceux qui ont un emploi et ceux qui peinent à en trouver un, comme les jeunes, catégorie où l'on sait que le chômage augmente le plus vite.

Finalement, le chômage partiel, outre sa relative inefficacité pour protéger l'emploi, n'est pas non plus un bon instrument de flexibilité. Drogue douce pour faire patienter en attendant une issue la plupart du temps malheureuse, il s'oppose par certains traits à l'objectif de flexibilité en figeant les situations existantes au lieu de permettre de réaliser les adaptations qui seraient nécessaires. Comme pour beaucoup de mesures ou de comportements actuels, il s'agit d'éviter les licenciements économiques que la législation française rend souvent impossibles, et que la morale sociale dominante tranforme en tabou. Malheureusement, rien ne remplace la liberté de licencier pour assurer la flexibilité souhaitable