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Chômage des jeunes : une génération sacrifiée ?

Les jeunes sont les premières victimes du chômage, le constat est connu et récurrent. Trente ans de politiques pour l'emploi n'y ont rien fait : le chômage des 18-25 ans se maintient au-dessus de 20 %, ce qui place la France au 23e rang sur 30 au sein des pays de l'OCDE. Quant à leur taux d'emploi, il tourne autour de 30 %, soit autant que celui des personnes handicapées.

Lorsque Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives, parle de « génération sacrifiée », le terme est donc à prendre avec beaucoup de sérieux. Parmi les explications, l'OCDE cite la rigidité du marché du travail, la « névrose typiquement française » du diplôme initial et, surtout, l'instabilité chronique des politiques en faveur des jeunes. De fait, notre enquête montre que de nombreuses mesures sont prises chaque année sans souci d'efficacité ou de cohérence globale.

Un mille-feuille déroutant

Jusqu'au début des années 1980, les jeunes ne faisaient l'objet d'aucune statistique distincte, ni de mesures spécifiques de la politique de l'emploi. Mais depuis trente ans, les dispositifs se multiplient et se superposent à une vitesse vertigineuse. Dans son rapport « Des emplois pour les jeunes », l'OCDE en compte plus de quatre-vingts différents et note qu'ils n'ont produit aucune amélioration de l'emploi. La question de la pertinence et de la cohérence globale des mesures mérite donc d'être posée. TIC, TUC, Trace, Pacte, CUI, Civis… Un dispositif se substitue ou s'ajoute aux autres avant même d'avoir pu être évalué. Et les jeunes les plus défavorisés passent souvent d'un dispositif à un autre, sans jamais parvenir à s'insérer durablement dans le marché de l'emploi.

Les structures d'accueil sont nombreuses : si les missions locales constituent la pierre angulaire de l'aide à l'insertion professionnelle des jeunes, de nombreux organismes publics et parapublics sont également en charge du problème. Les CIDJ, CRIJ, CDIJ, PIJ, PLIE, antennes jeunes, maisons de l'emploi et associations subventionnées s'ajoutent au Pôle Emploi avec lequel ils « co-traitent ». Marie [1], directrice adjointe d'une mission locale parisienne, admet « l'imbroglio » et « l'émiettement » vu de l'extérieur, ce qui explique qu'il soit parfois « difficile de s'y retrouver ». En fait, les structures d'aide à l'insertion professionnelle des jeunes ont suivi depuis trente ans un développement intense mais entièrement bureaucratique. Aujourd'hui, elles « distribuent » des contrats et dispositifs destinés aux jeunes pour un budget total de plus de 6 milliards d'euros.

[(Le Civis, mission et résultats

Créé en 2005, le Civis vise à accompagner vers un emploi durable les jeunes de 16 à 25 ans rencontrant des difficultés particulières d'insertion. Il consiste pour l'essentiel en un suivi personnalisé et une aide financière de 300 € par mois, dans la limite de 900 € par an. Pour un coût estimé à 60 millions d'euros par an en plus des 1 500 embauches dans les missions locales pour le distribuer, le Civis affiche des résultats mitigés. Sur les 484 000 jeunes entrés en Civis entre avril 2005 et décembre 2007, 8 % ont accédé à un CDI, 6 % à un CDD et 5 % à une alternance ou un contrat aidé. Les autres ont été reconduits dans leur contrat ou sont redevenus chômeurs ou inactifs. Des résultats bien minces, surtout au regard du public concerné : 23 % des jeunes entrés en Civis sont bacheliers ou ont atteint la classe de terminale et 20 % sont titulaires d'un CAP ou d'un BEP.)]

L'engrenage débute en 1982, date de création des premières missions locales. Inspirées des conclusions du rapport Schwartz commandé par François Mitterrand, leur objectif est noble : destinées aux jeunes de 16 à 24 ans sans qualification et sortis du système scolaire, elles les accompagnent vers l'emploi en adoptant une « approche globale ». En fait, la nouveauté est d'aider les jeunes les plus défavorisés à résoudre leurs problèmes de la vie quotidienne (logement, santé, etc.) pour leur permettre ensuite d'accéder à l'emploi. Elles prennent le plus souvent la forme d'une association créée par la commune et présidée par un élu. Il existe aujourd'hui 484 missions locales. Elles sont dotées de plus de 10 000 agents pour un budget de fonctionnement de près de 500 millions d'euros par an.

Concrètement, le jeune qui pousse la porte d'une mission locale est accueilli par un « aide informateur documentaliste ». Ce dernier l'oriente vers un conseiller qui deviendra son référent unique. Il participe à des ateliers collectifs de recherche d'emploi, de rédaction de CV et de lettre de motivation. S'il n'est pas apte à travailler en groupe, il peut bénéficier d'une aide individualisée. Des formations rémunérées lui sont proposées dans les domaines qu'il souhaite approfondir. La finalité reste l'insertion professionnelle, mais certains sont en grande difficulté. Ainsi, certaines missions locales ont considérablement étendu leur champ de compétences et proposent des ateliers de « relooking », de « savoir-vivre » ou de « savoir-être » dans le but d'augmenter l'employabilité des jeunes qu'elles suivent.

Ces derniers ont donc, semble-til, toutes les raisons d'être satisfaits. Ils sont pris en charge et aidés dans toutes leurs démarches. Malheureusement, malgré un maillage serré et l'importance des moyens, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Des résultats en trompe-l'oeil

Bien sûr, chaque jeune qui s'en sort est une victoire. Mais le parcours de Khoumba (voir encadré ci-dessous) est loin d'être un cas isolé. Pourtant, le CNML [2] se félicite dans son rapport annuel des résultats obtenus par les missions locales. Sur le million de jeunes reçus en entretien en 2007, 29 % auraient obtenu un emploi « classique » et 19 % une formation. Seulement, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que les emplois sont extrêmement précaires : ils sont le plus souvent à durée déterminée (40 %), en intérim (28 %) ou saisonniers (12 %). Seuls 18 % sont des CDI, le plus souvent en temps partiel subi, comme l'explique Joanna, suivie par la mission locale Belliard [3] depuis près de deux ans : « Après avoir fait des gardes d'enfants, je travaille en cuisine à la caisse des écoles, 20 heures par semaine pour 800 euros par mois. Et je ne suis pas payée pendant les vacances scolaires ! » La plupart des jeunes ne sont en réalité pas suivis régulièrement : un sur deux n'est pas venu plus de deux fois dans l'année. En fait, il s'agit avant tout de « caser » les jeunes par n'importe quel moyen et Marie reconnaît qu'il est « impossible de dire combien de jeunes sont véritablement tirés d'affaire grâce à l'action des missions locales ».

Un système éducatif en panne

Réussir son insertion professionnelle en France dépend dans une large mesure de l'obtention, après une trajectoire scolaire linéaire, d'un diplôme sélectif. Les jeunes qui dévient de ce parcours connaissent souvent de longues périodes de précarité et ont « un risque élevé d'emprunter une trajectoire d'éloignement durable du marché du travail et même de pauvreté », note le rapport de l'OCDE. En 2008, 18 % d'une génération a quitté l'école sans avoir obtenu le baccalauréat et 9 % des jeunes de 17 ans n'étaient plus scolarisés. Lors de la journée d'appel de la préparation à la défense (JAPD), pendant laquelle tous les jeunes de 17 ans passent des tests de détection de l'illettrisme, 12 % sont identifiés comme ayant des difficultés de lecture. Ces jeunes, du fait de leur faible maîtrise des savoirs de base, risquent de s'inscrire durablement dans une trajectoire d'exclusion, d'où la nécessité d'offrir à chacun une seconde chance en matière de qualification. Mais la formation professionnelle continue reproduit et creuse les inégalités initiales. En effet, le rapport de l'OCDE montre que le taux d'accès à ces formations est trois fois plus élevé pour les diplômés de l'enseignement supérieur que pour les non-qualifiés.

Khoumba, 22 ans, a son premier contact avec la mission locale en 2006, après avoir abandonné son BEP carrières sanitaires et sociales. Elle est rapidement orientée vers une formation d'auxiliaire puéricultrice en alternance, car elle souhaite « travailler avec les enfants ». Malheureusement, cette formation ne débouche pas sur un emploi et elle décide donc de terminer son BEP. Elle le complète par un bac pro services, puis retourne à la mission locale, en quête d'un emploi ou d'une formation. Mais on ne lui propose que des cours d'anglais et c'est pourquoi elle décide de s'inscrire en première année d'université. Nous sommes maintenant en juin 2009. Khoumba a abandonné l'université et sort d'un rendez-vous à la mission locale, trois ans après son premier contact. Malheureusement, rien à lui proposer pour le moment. Elle se retrouve à la case départ.

L'échec de la politique de l'emploi des jeunes est avant tout celui de notre système d'éducation, dont l'entreprise est la grande absente. Ce constat est partagé par Marie, qui admet « une méconnaissance généralisée des métiers de l'entreprise ». L'apprentissage est « dévalorisé », les stages et l'alternance « peu développés » au sein de l'Éducation nationale. Le processus d'orientation des élèves est vécu négativement en France car il ne concerne que les élèves les plus faibles et les dirige vers les spécialités les moins demandées, celles qui ont des places disponibles. Cela explique sans doute que la France compte 450 000 apprentis contre 1,6 million en Allemagne.

La rigidité du marché du travail

La rigidité du marché du travail et la forte protection des salariés en France ont pour conséquence d'exclure les jeunes de l'emploi. Les entreprises n'ont pas le droit à l'erreur et ont donc un niveau d'exigence très élevé. Elles ne peuvent se permettre d'embaucher que des salariés qualifiés et expérimentés, et cette situation est extrêmement préjudiciable pour les jeunes puisqu'ils ont peu d'expérience par définition.

Le cumul études-emploi est peu développé, il ne concerne que 10 % des étudiants en France contre 30 % en Allemagne et la quasi-totalité en Norvège. Outre le fait qu'il permette aux étudiants d'être autonomes financièrement, ce contact « précoce » avec l'entreprise est ensuite fortement valorisé par les employeurs. De même, les stages – presque inexistants à l'université – sont essentiels dans la construction d'un parcours professionnel. Ils permettent de gagner en expérience et de rencontrer des employeurs potentiels. Sortir du système scolaire sans avoir eu aucun contact avec l'entreprise est de toute évidence fortement pénalisant.

Le système public d'insertion professionnelle des jeunes est coûteux et inefficace. La plupart des dispositifs imaginés depuis trente ans témoignent d'une réelle bonne volonté. Mais ils sont la preuve que la stratégie du « toujours plus » se solde inéluctablement par un échec car elle ignore la racine des problèmes. Cette stratégie peine à masquer une réalité douloureuse : celle de l'errance des jeunes entre formations et emplois précaires, avec le risque permanent de se retrouver à la case départ. Les véritables solutions ne consistent pas à accorder une place toujours plus grande à l'État. Au contraire, il s'agit de faire entrer l'entreprise dans l'école et l'université par le développement de l'apprentissage, de l'alternance et des stages. Cela permettra de mieux articuler orientation scolaire et orientation professionnelle, tout en sensibilisant les jeunes à la diversité des métiers de l'entreprise. Il s'agit également de concentrer la formation professionnelle continue sur les moins qualifiés, de manière à leur accorder une seconde chance. Enfin, il est urgent de flexibiliser notre marché du travail qui fonctionne à deux, voire trois vitesses et précarise ou exclut les plus fragiles et particulièrement les jeunes.

[1] Le prénom a été changé.

[2] Conseil national des missions locales

[3] Paris XVIIIe.