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Augmentation des tarifs : EDF face à deux logiques inconciliables

La demande du président Pierre Gadonneix, qui est semble-t-il sur le départ, d'augmenter de 20% sur trois ans les tarifs de l'électricité, suscite des réactions violentes et embarrasse grandement le gouvernement. Cette demande se comprend cependant parfaitement dans une logique d'entreprise. Mais EDF est-elle enfin une entreprise à part entière ?

Les données du problème en résumé

EDF a fait le choix du nucléaire, ce qui lui permet de produire de l'électricité à un coût beaucoup plus bas que la plupart de ses concurrents étrangers, et ce qui explique une différence considérable de tarif autour de 30%. Ces tarifs sont réglementés par l'Etat, qui les a maintenus très bas avec une évolution en dessous de l'inflation. EDF détient un monopole de fait en France, et c'est une filiale de l'Etat à 84%. Dans le cadre d'une politique très ambitieuse, EDF a réalisé des investissements étrangers extrêmement importants, dont certains (sous une présidence antérieure) ont été catastrophiques (en Amérique du Sud), dont d'autres se révèlent porteurs et dont les derniers sont encore des paris risqués (l'EPR, le rachat de British Energy).

Dans le cadre de l'Europe, le marché de l'électricité est ouvert à la concurrence, il est d'ailleurs depuis longtemps international puisque les différents pays de l'Europe de l'Ouest s'achètent mutuellement de l'électricité pour faire face à leurs besoins ponctuels (période de pointe ou panne, ne pas oublier que l'électricité est un produit qui ne se stocke pas). Ceci correspond d'ailleurs à une sage précaution pour assurer la continuité du service public, précaution qui a trouvé à s'appliquer pendant les grèves récentes dites des « arrêts de tranche ».
Bruxelles veut, au nom du principe de libre circulation, imposer la disparition des tarifs réglementés français, et d'ailleurs EDF vend son électricité à des homologues étrangers au prix du marché européen, très supérieur à ces tarifs, comme on l'a vu.

EDF doit faire face à des investissements très importants, qui d'après son président sont nécessités par le renouvellement et la maintenance du parc nucléaire français et non par les développements étrangers qui se financeraient eux-mêmes. Pour couvrir ces investissements, EDF s'endette considérablement à long terme, et vient de recourir à un emprunt national qui a connu un grand succès.

Deux logiques qui s'affrontent

EDF et son président sont dans une logique entrepreneuriale classique. L'emprunt a permis de récolter 3,5 milliards d'euros, mais cette somme est très insuffisante pour couvrir des besoins qui se chiffrent en dizaines de milliards. Il est normal que dans la logique ambitieuse qui est celle d'EDF, l'endettement soit important, et que les tarifs soient fixés à niveau suffisant pour faire face au remboursement du principal et des intérêts de cette dette, ce qui n'est pas le cas.

Les tarifs réglementés sont une anomalie à laquelle l'Europe nous contraindra tôt ou tard à renoncer, et EDF doit vendre son électricité au prix de marché. Pourquoi d'ailleurs une entreprise ne récolterait-elle pas les fruits de son avance technologique, et pourquoi faudrait-il au contraire la pénaliser en l'obligeant à vendre son électricité à son coût de revient, très en dessous du prix de marché, en annulant ainsi l'avantage acquis alors qu'il serait normal que celui-ci soit utilisé pour financer ses nouveaux investissements qui lui permettront de conforter son avance et sa position de champion mondial ?

Toute autre est la logique du consommateur, relayée tant par les associations comme l'UFC Que choisir que par le gouvernement. Il est certain que la démarche du président d'EDF consiste à mettre les pieds dans le plat de façon particulièrement inopportune, ce qui contraint politiquement les autorités à une réaction ferme. Mais le raisonnement va bien au-delà. L'UFC croit devoir stigmatiser l'initiative en reprochant à EDF de vouloir produire au coût du nucléaire et vendre au prix de marché. De son côté, Henri Guaino (qui avait été un candidat non retenu pour la présidence d'EDF…) s'oppose à ce que le consommateur français doive payer pour couvrir les pertes consécutives aux mauvais investissements d'EDF.

Quant à l'emprunt, il avait été décidé de le lancer pour démontrer la popularité de l'entreprise, attirer l'attention sur la nécessité dans laquelle elle se trouvait de financer ses investissements et enfin proposer une utilisation intéressante de l'épargne des Français. L'opération de communication a complètement échoué, les Français réagissant à l'inverse de ce qui était escompté : pour eux, l'emprunt ayant consisté à « donner » de l'argent à EDF, comment se fait-il que l'entreprise les remercie en augmentant ses tarifs ?! Il s'est même trouvé un auditeur d'une chaîne radio pour affirmer qu'il allait se chauffer au bois !

Incompréhension, et communication défaillante

Il est difficile de trouver exemple plus caricatural de l'incompréhension française à l'égard de l'économie et de l'entreprise, et aussi de l'indigence d'une communication qui ne se préoccupe que de compter les points du bras de fer engagé entre l'entreprise et l'Etat sans s'adresser aux Français eux-mêmes.

Car, fondamentalement, les Français ne perçoivent pas EDF comme une entreprise autonome opérant avec sa propre ambition sur un marché mondial, mais comme un service public dont la mission unique est de pourvoir à leurs besoins au moindre coût. De même, la réflexion d'Henri Guaino montre elle aussi, et c'est plutôt surprenant, qu'il ne considère pas EDF comme une entreprise : qu'est-ce à dire en effet sinon qu'EDF n'a rien à faire à prendre des risques sur le marché international, comme le ferait n'importe quelle entreprise qui ne peut éviter de faire des mauvaises comme des bonnes affaires ? Ce qui n'empêche pas les Français à l'inverse de bénéficier des acquis technologiques et des autres investissements d'EDF, tout aussi risqués, lorsqu'ils se révèlent favorables… sans oublier que l'Etat lui-même, en tant qu'actionnaire ultra majoritaire, a forcément donné son aval à ces mauvais investissements. Quant à la critique exprimée par l'UFC, viendrait-il à l'esprit de cette dernière de reprocher à n'importe quelle entreprise ordinaire de profiter de ses brevets ou avances technologiques, et d'exiger qu'elle baisse ses prix en dessous de ceux du marché ? A lire tous ces commentaires, non, définitivement EDF n'est pas une entreprise à part entière !

Force est donc d'admettre que, dans les circonstances actuelles du moins, Pierre Gadonneix est bien seul à défendre sa logique entrepreneuriale. Mais son initiative nous rappelle qu'il faudra bien avoir le courage de choisir. EDF a, comme le gouvernement, freiné des quatre fers pour entrer dans les règles européennes de la concurrence, tout en se lançant de façon extrêmement active, et avec la bénédiction de l'Etat, son actionnaire, dans une politique ambitieuse d'entreprise mondiale et d'innovation technologique. Il va falloir résoudre cette contradiction.