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Agences régionales de santé (ARS) : plus de pouvoir pour l'Etat

Vers une étatisation "à l'anglaise" de la santé

En France, le National health service (NHS) anglais fait peur : des malades déclarés trop vieux pour être soignés, des listes d'attente de plusieurs années pour se faire opérer, des patients désemparés qui traversent le Channel pour se faire traiter sur le continent. Avec la création des Agences régionales de santé (ARS), la France va pourtant faire un pas de plus vers l'étatisation à l'anglaise de notre système de santé.

À sa décharge, il faut reconnaître que Roselyne Bachelot-Narquin, la nouvelle ministre de la Santé, a trouvé un système en plein chaos. L'assurance-maladie est en déficit chronique : les Français sont moins bien pris en charge que leurs voisins européens, tout en lui consacrant plus d'argent. Soixante ans de gestion par les syndicats l'ont transformée en une vaste bureaucratie inefficace. La duplication des responsabilités entre l'assurance obligatoire et les complémentaires santé est incohérente et coûteuse, surtout quand 93% des Français ont une complémentaire santé.

La majorité des hôpitaux publics sont en faillite, malgré des prix de 40% supérieurs à ceux des cliniques. Les maires plaident pour que l'hôpital de leur ville embauche et dépense sans compter sachant que c'est l'assurance-maladie qui paie. Certains persistent même à vouloir conserver des hôpitaux structurellement dangereux pour leurs concitoyens. Une pénurie de médecins a été créée alors qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux, et plus nombreux qu'à l'étranger. Les médecins libéraux (notamment du secteur 1) doivent travailler comme des stakhanovistes sans aucune assistance (secrétariat, infirmière) pour s'assurer un revenu correspondant à leur niveau d'études et de responsabilité. La prévention est inexistante. Le dossier médical informatisé, annoncé comme la « clef de voûte de la réforme de 2003 », est au point mort.

La tentation autoritaire

Quand on en est arrivé à cette situation, quand 24 réformes ont échoué et quand on ne sait plus quoi faire, la tentation est grande de confier les clefs et tous les pouvoirs à des proconsuls. À la tête des 22 nouvelles agences régionales de santé, les 22 préfets de Région seront seuls maîtres à bord. Depuis la réforme de 2003, le ministère de la Santé avait déjà retiré tout pouvoir de décision à l'assurance-maladie. C'est l'État qui fixe le nombre de médecins, le prix des soins, les taux de prise en charge des soins par l'assurance-maladie, le niveau des franchises et des forfaits, les autorisations de mise sur le marché des médicaments et leurs prix. Mais dans chaque région et dans chaque département, les Agences régionales de l'hospitalisation (ARH), représentantes du ministère, continuaient à batailler avec les Cram, CPAM, Drass, Ddass [1] et de nombreux autres organismes. Avec les ARS, regroupant des personnels de tous ces services, le préfet de Région supervisera les hôpitaux, les cliniques, la médecine libérale, les organismes de santé publique et l'assurance-maladie. Ce sera plus clair.

- C'est lui qui décidera quel service doit être fermé ou étendu dans les hôpitaux et les cliniques, l'organisation des urgences et les gardes médicales, la répartition des médecins sur le territoire, le prix des soins dans les différents établissements, l'installation des gros équipements (scanner, IRM, etc.).
- Comme fonctionnaire, il pensera à sa carrière et à ses collègues fonctionnaires des hôpitaux.
- Comme préfet, il ménagera les responsables politiques et les syndicats les plus influents de sa région.
- Comme tout être humain, il suivra ses préférences idéologiques.
- Sauf exception, au lieu de répondre aux besoins des clients du système de santé, il cherchera surtout à éviter de faire des vagues.
- On sera tout près du NHS anglais.

Dépenses de santé en pourcentage du PIB, pays de l'OCDE, 1990 à 2005

Les ARS vont-elles réussir ?

Si on se réfère au cas anglais, non. Au cas de l'URSS, non plus. La masse d'argent injecté par Tony Blair a amélioré le système de façon temporaire, mais pas de façon structurelle. Un système de santé est un organisme très complexe. Penser qu'on peut le gérer de façon satisfaisante par un plan régional de santé est illusoire. Pour qu'il évolue de façon dynamique et dans le bon sens, il faut de la flexibilité. Il faut aussi que les acteurs se confrontent, non pas dans des luttes d'influence au sein de comités de concertation, mais à travers leurs résultats en matière de qualité et de prix.

En France, nous avons la chance d'avoir le choix entre une médecine libérale et une médecine salariée, entre des hôpitaux publics, des hôpitaux mutualistes et des cliniques. Il ne nous manque qu'une seule articulation, mais essentielle : un choix d'assureurs acheteurs de soins.

Les assurés rechercheraient les meilleurs assureurs (publics, mutualistes ou privés). Les assureurs orienteraient leurs clients vers les bonnes filières de soins et conduiraient à l'amélioration ou à la fermeture des autres, trop chères ou de mauvaise qualité.

Au lieu de dépendre de l'arbitraire de 22 préfets, c'est au jugement de 63 millions de Français et de multiples assureurs divers, compétents et indépendants qu'il faut se fier. C'est possible, les Allemands et les Hollandais, entre autres, ont mis en place cette liberté, tout en garantissant la solidarité. En France, c'est urgent.

[1] Cram : Caisse régionale d'assurance-maladie ; CPAM : Caisse primaire d'assurance-maladie ; Drass : Direction régionale des Affaires sanitaires et sociales ; Ddass : Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales.