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Revalorisation des enseignants, oui, mais quelles contreparties ?

La longue série des « mesures catégorielles » au bénéfice des enseignants qui a débuté dès les premiers temps du quinquennat vient de connaître une sorte de point d’orgue : l'évolution sur la grille indiciaire et le rythme du déroulement de carrière du corps enseignant sont réformés en suivant le principe de l'égalité de traitement la plus totale et accompagné d'un plan de revalorisation de 1 milliard d’euros en année pleine, portant sur la période 2017-2020. 

Jusqu'à présent, il semblait bien inconcevable budgétairement parlant que le gouvernement puisse à la fois augmenter le plafond d’emplois de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur de 60.000 postes et qu'il puisse revaloriser significativement les traitements des enseignants. Il en a pourtant été décidé autrement, sans considération pour l’accroissement de la dette publique et bien entendu sans aucune contrepartie en matière d’amélioration du service public de l'enseignement.

Si on peut se féliciter de voir la fonction enseignante valorisée et apprécier ce « rattrapage » qui place les rémunérations de nos professeurs au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE, on peut aussi, en y regardant de plus près, décrypter cette opération et constater que loin de contribuer à améliorer l’efficacité du système éducatif de notre pays, elle répond surtout à des préoccupations très éloignées de la « priorité à la jeunesse » que le gouvernement évoque comme une sorte de mantra depuis 2012.

La « jeunesse » est évidemment absente de ce train de mesures, car il ne s’agit ici que des enseignants et non de l’enseignement. Cette nuance amène à se pencher sur les textes publiés par le ministère. Qu’y voyons-nous et que n’y voyons-nous pas ?

Constatons que désormais, tous les professeurs, quelle que soit leur manière de servir, avanceront au même rythme. L’avancement « à l’ancienneté, au choix, au grand choix » est supprimé. Ce « rythme unique d’avancement » est présenté comme « plus transparent » sur le site du ministère de l'Education nationale. C’est dire la confiance qui règne rue de Grenelle vis-à-vis les appréciations que portaient les cadres du système, chefs d’établissements, inspecteurs et recteurs, sur les personnels enseignants… Il en va de même pour la promotion à la hors classe, dont il est indiqué sur le document ministériel : « les personnels enseignants doivent pouvoir dérouler une carrière complète jusqu’au sommet de la hors classe ». Au rythme annuel de 7% et sur une carrière d’environ 38 ans, tous les professeurs devraient, en effet, pouvoir mécaniquement accéder à la hors classe. Le maître mot de cette réforme est donc : égalité de traitement... ce qui correspond exactement aux mandats des principaux syndicats enseignants. Quant à la nouvelle classe exceptionnelle qui doit à terme concerner 10% de chaque corps, elle est quasi réservée aux personnels ayant exercé plus de 8 ans en éducation prioritaire, ce qui ne représente en soi aucun mérite particulier, mais permet d’éviter de poser la délicate question de l’affectation systématique des débutants dans les établissements les plus difficiles, sujet tabou pour les syndicats.

Enfin, quels sont les grands absents de cette réforme ? Le premier, de taille, est la réforme des obligations de service des enseignants qui aurait logiquement dû représenter la contrepartie « amélioration du service public » de la revalorisation. Déjà, en 1989, lors de la création du corps de professeurs des écoles, Lionel Jopsin, avait été incapable de modifier le service dû par les enseignants du primaire dans le sens d’une plus grande efficience et d’une plus grande efficacité de l’école. De ce manque de courage, et de cette absence de réforme profonde de l'organisation du travail des enseignants, résultent nécessairement les résultats à la baisse du système éducatif français. Aujourd’hui, une revalorisation de cette ampleur aurait pu, aurait dû s’accompagner d’une négociation sur le service des enseignants, sur la valorisation du mérite et de l’engagement professionnel, sur l’individualisation des parcours professionnels.

L’autre grand absent est précisément l’évaluation des professeurs. Pas de refus catégorique non plus puisque le ministère a annoncé le recul de la négociation sur le sujet... à 2017 ! De quoi calmer les syndicats qui ont en horreur toutes formes d'évaluation, tout comme ils professent une méfiance à toute épreuve vis-à-vis de l’encadrement nécessairement perçu comme un lien de subordination insupportable (contre les chefs d’établissements, les inspecteurs, les cadres administratifs des rectorats, etc).

Une marque de fabrique : la démagogie

Cet ultime plan de revalorisation est bien estampillé de la « marque de fabrique » du gouvernement en matière de réforme du système éducatif : l’objet principal des mesures prises « en faveur de la jeunesse et de l’école de la République » concerne en réalité l’amélioration de la condition enseignante sans contrepartie, et non pas l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Affirmer que l’un et l’autre sont liés est à la fois démagogique et inexact, mais chacun voit bien la subtilité de la manœuvre.

Le problème est qu’aucune de ces mesures ne porte sur le cœur de la question éducative : comment remédier au fait que 20% des élèves de CM2 ne maîtrisent pas les fondamentaux de la langue française et que 30% d’entre eux ne maîtrisent pas les fondamentaux des mathématiques ? Croit-on vraiment que la suppression de l’avancement au « grand choix » et la création d’une « clase exceptionnelle » va améliorer l’enseignement ? 

Les propositions de la Fondation iFRAP pour refonder la gestion du corps enseignant :

  • Augmenter le temps de présence des enseignants dans les établissements, au service de l’individualisation des apprentissages et du contact avec les parents d’élèves. Par exemple, si tous les professeurs des collèges et lycées avaient une obligation de cours de 20 heures par semaine, cela permettait d'économiser l'équivalent de 47 000 postes de professeurs.
  • Réformer le statut des enseignants de 1950 en augmentant le nombre d’heures de cours par semaine donné par les enseignants du second degré, en annualisant le temps de travail de tous les professeurs (y compris les agrégés) et en instaurant la bivalence.
  • Introduire la notion de performance dans le calcul de la rémunération des enseignants, diversifier leurs statuts et types de contrats devraient permettre de dynamiser les carrières. En plus d’une notion de performance, l’ancienneté des enseignants qui justifie aujourd’hui de la quasi-totalité de la progression salariale, doit être calculée en fonction du nombre d’heures réelles d’enseignement (et donc d’heures passées devant les élèves) et non plus en fonction du temps passé après l’obtention du concours.
  • Donner plus d’autonomie aux établissements dans la gestion financière et dans les évaluations des enseignants : faire des chefs d’établissement de véritables managers des équipes.
  • Evaluer régulièrement et systématiquement les établissements et rendre publics leurs résultats et notamment la prise en compte des résultats sur les primes des personnels.
  • Abroger le ratio privé/public qui bride les établissements privés.