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Réforme des universités françaises

La réforme n'est-elle qu'un prétexte ?

Bien qu'elles soient imparfaites aux yeux de certains, les cinq réformes des universités, en cours ou annoncées par Valérie Pécresse, vont dans la bonne direction. Surtout, elles répondent aux défis que l'Université française doit relever pour se maintenir dans la compétition mondiale et nourrir notre économie de ses recherches et de personnels qualifiés.

LMD, Licence-Master-Doctorat

La décision des ministres européens, dont Claude Allègre, d'uniformiser en Europe les cycles d'études universitaires sur un modèle 3-2-3 (années) vise à faciliter les échanges d'étudiants et de professeurs. L'objectif semble louable et a été appliqué plus ou moins fidèlement sans trop de problèmes, excepté en France où le changement est mal accepté par les étudiants et les enseignants pour des raisons "cocardières" obscures.

LRU, Loi autonomie des universités

Pour sortir de l'uniformité et de l'irresponsabilité, rendre les universités plus autonomes donc plus diverses et plus responsables était évident. La loi prévoit en effet de resserrer le conseil d'administration à une trentaine de membres au lieu de soixante, de renforcer les pouvoirs du président, de modifier le mode de recrutement des enseignants-chercheurs ou encore de doter les universités de davantage de compétences en matière de budget et de gestion. Peu de personnes s'y opposent ouvertement et la Conférence des présidents d'université s'est même déclarée favorable à la loi.

Mais les syndicats universitaires (SNESUP [1], SUD Éducation, SUD Recherche, etc.) et certains enseignants-chercheurs sont en réalité totalement contre. Ils jugent la loi "dangereuse", estiment que l'Université "a avant tout besoin de moyens supplémentaires" et demandent donc son "abandon". Au fond, parce qu'ils préfèrent un patron lointain et aveugle à un patron proche.
Ensuite, par crainte du développement de la concurrence entre universités. Car l'autonomie permet bien aux universités dynamiques de progresser rapidement, tandis que celles qui préfèrent le confort du statu quo se retrouvent de plus en plus à la traîne.

Statut des enseignants-chercheurs

Aussi incroyable que cela paraisse, le partage du temps de travail des enseignants-chercheurs entre l'enseignement et la recherche est codifié au niveau national, au lieu d'être laissé à l'appréciation du professeur responsable d'un laboratoire ou d'une discipline. Il semble évident que ce partage doit pouvoir être adapté suivant les besoins du service, les compétences et les aspirations de chaque chercheur sur une période donnée. C'est le décret apportant une certaine souplesse dans ce partage qui a mis le feu aux poudres. La possibilité de se voir attribuer davantage d'heures d'enseignement a été interprétée comme une punition par les syndicats ("Les mauvais chercheurs vont devoir enseigner" [2], estiment l'UNEF [3] et le SNESUP).

Évaluation des personnels

Un autre décret concerne l'évaluation des enseignants-chercheurs. Le sujet est très sensible. Mais c'est un fait que sans "encadrement", les enseignants-chercheurs sont soit tous évalués excellents par leur supérieur, soit évalués en fonction de leur ancienneté, comme c'est le cas dans toute la fonction publique et notamment dans l'enseignement primaire ou secondaire.

Les raisons du supérieur hiérarchique sont variées : ne pas avoir de problème relationnel avec son collaborateur, éviter sa démotivation, conserver une chance de le muter ; mais le résultat est le même : des évaluations sans signification. Le décret avait donc prévu de soumettre les promotions à l'approbation de niveaux hiérarchiques supérieurs et même étrangers au secteur de l'intéressé.

Le directeur d'une entreprise garde bien un droit de regard sur les promotions de ses vendeurs, de ses comptables et de ses chercheurs, même si sa formation est juridique, sans que cela crée de problème. Il est vrai qu'il utilise cette possibilité de façon exceptionnelle, mais ce filtre reste essentiel. De leur côté, les étudiants sont assez critiques sur les cours qui leur sont dispensés.

Mais comme l'exprime Claire Guichet, présidente de la FAGE [4], "Les enseignants n'accepteraient jamais de se faire évaluer par leurs étudiants." C'est pourtant possible, puisqu'à Sciences-Po Paris, les diplômes des étudiants ne sont validés en fin d'année que s'ils ont rempli les grilles d'évaluation de leurs professeurs. Edgar Faure suggérait déjà en 1969 que l'évaluation des professeurs par leurs étudiants leur permettrait "de recueillir l'écho de leurs exposés" et les prémunirait "contre les risques de routine". Alors qu'attendons-nous ?

Réforme du CNRS

Les relations entre le CNRS, organisme de recherche, et les universités, organismes d'enseignement et recherche, sont complexes. De nombreux laboratoires de recherche du CNRS sont étroitement imbriqués dans des laboratoires universitaires. Des fonctionnaires sous deux statuts différents cohabitent dans les mêmes services. Cette situation est louée et enviée par certains enseignants-chercheurs ("Les chercheurs du CNRS peuvent faire de la recherche à plein-temps") et critiquée par d'autres ("Recherche et enseignement sont indissociables").

Le passage d'un corps à l'autre est très difficile, un chercheur recruté au CNRS y reste à vie. Mais cette règle n'est pas idéale pour avoir une recherche performante. La réforme tend à regrouper la quasi-totalité de la recherche dans les universités et à transformer le CNRS en une agence de moyens qui sélectionnerait les projets, les financerait et les évaluerait. Le CNRS ne conserverait en propre que quelques laboratoires particulièrement autonomes, et de façon éventuellement temporaire.

Lire aussi : Universités : Lettre ouverte d'un chercheur

L'intervention de Nicolas Sarkozy

La situation semblait assez calme, jusqu'à ce que le discours du 22 janvier 2009 de Nicolas Sarkozy serve de prétexte au déclenchement des émeutes.
- "Nous ne sommes pas dans le peloton de tête des pays industrialisés pour la recherche et l'innovation."
- "Franchement, la recherche sans évaluation, cela pose problème."
- "Je ne vois nulle part qu'un système d'universités faibles, pilotées par une administration centrale tatillonne soit une arme efficace dans la bataille de l'intelligence." Outre la promesse de crédits substantiels, le discours contenait une multitude de phrases positives réaffirmant l'importance de l'Université ainsi que la valeur et le dévouement des universitaires. Les opposants en parlent encore comme d'une bordée d'injures : "On nous a traités de paresseux", confie le professeur d'histoire Pierre Karila à Libération en février 2009.

Pour expliquer la situation d'échec dans laquelle se trouve l'Université, la tentation des universitaires est classique : rejeter la faute sur les autres. Sur les grandes écoles et leurs luxueuses classes préparatoires, sur les embauches « carnet d'adresses » ou « reproduction », sur les coûts élevés par étudiant, sur le peu de considération (typiquement français) des entreprises pour les titulaires d'un Doctorat, le faible niveau des titulaires du Bac, sur la faible qualité de l'enseignement dans les petites, moyennes ou grandes écoles…
Ces faits sont réels, mais qu'ont fait les universitaires pour les corriger ?

Cet article a été publié dans la revue Société civile n°95 : Université - Osons la réforme

[1] Syndicat national de l'enseignement supérieur

[2] Les syndicats ne proposent pourtant pas de les licencier.

[3] Syndicat étudiant.

[4] Fédération des associations générales étudiantes.