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Le problème de la gouvernance des universités

De l'autonomie à l'autogestion : un système qui ne fonctionne pas

Les universitaires sont à juste titre très sourcilleux sur leur indépendance, condition de l'ouverture de leurs enseignements et de leurs recherches. On a vu les dégâts produits par la mainmise de l'État ou de religions sur la création scientifique ou culturelle. Cependant, aujourd'hui, l'autogestion universitaire qui règne en France ne fonctionne pas. Quelle gouvernance donner à nos universités pour qu'elles retrouvent une place de choix dans les palmarès mondiaux ?

L'Université idéale vue par les enseignants-chercheurs français

Pour les professeurs français, l'Université devrait être organisée en deux pôles. D'un côté, les facultés [1] indépendantes, autogérées par l'ensemble du personnel et les étudiants. De l'autre l'administration aux pouvoirs très limités, gérée par des représentants élus des facultés mais n'intervenant ni sur le plan scientifique, ni sur le plan des recrutements et des carrières, ni sur le plan pédagogique dans la vie des facultés. Cette vue est résumée par la citation d'un universitaire anglais répétée à l'envi : "Nous ne sommes pas employés par l'Université. L'Université, c'est nous ! [2]"

Cette conception de la gouvernance néglige un aspect important : qui décide des ressources consacrées à chacun des domaines et qui juge si les résultats obtenus sont conformes aux attentes ou aux besoins ? Les besoins sont infinis, décider de consacrer 10, 100 ou 1 000 euros à une discipline universitaire est une décision forcément arbitraire, notamment quand il s'agit de répartir les ressources entre domaines très hétérogènes : électronique et fouilles assyriennes, par exemple. Quand les universités sont financées par l'argent public, ce sont inévitablement les Français qui doivent décider à travers le Gouvernement, le Parlement et le pilier administration des universités.

Les dysfonctionnements actuels : autogestion = démagogie

Chargé de résoudre la crise de 1968, Edgar Faure avait déclaré : "La conception napoléonienne de l'Université centralisée et autoritaire a vécu." Et depuis 1969, les universités françaises fonctionnent suivant un schéma bâtard mélangeant un contrôle centralisé tatillon sur la forme et un grand laisser-aller sur le fond. Aucune embauche ne peut se faire sans l'aval du ministère. Mais qui se soucie ensuite de l'utilisation qui est faite de cette personne pendant quarante ans ? Les universitaires eux-mêmes dénoncent de sérieux dysfonctionnements :
- explosion du nombre de secteurs d'activité, pour trouver des postes de responsables au plus grand nombre d'enseignants possible ;
- localisme du recrutement : les personnes en place ont tendance à recruter des amis, des obligés qui les aideront dans leur recherche et des candidats qui ne risquent pas de leur faire concurrence ;
- faiblesse du niveau des étudiants ;
- faiblesse du support administratif et technique aux enseignants chercheurs ;
- faiblesse du sentiment d'appartenance des enseignants et étudiants français à leur université.

En 1969, Edgar Faure avait voulu introduire de la "participation" typiquement gaullienne à l'Université. En 2009, c'est l'"autonomie" qui est promise par la loi Pécresse. En réalité, c'est l' "autogestion" qui règne dans nos universités, un système où, contrairement à l'autonomie, les mêmes personnes se fixent des objectifs et sont responsables de les atteindre. Cela ne peut fonctionner que dans des entités de faibles tailles et tout à fait particulières.

Le conseil d'administration

Avec l'autonomie, les pouvoirs du conseil d'administration et du président de chacune des 85 universités sont renforcés. La loi Pécresse a ramené la taille du conseil d'administration de soixante à une trentaine de membres représentant les différentes « composantes » de l'université. Et sa composition est très originale.

Contrairement au Governing Body de Yale ou au Council de UCL Londres, les représentants internes de Paris IV disposent d'une majorité massive au conseil d'administration, d'autant plus que les personnalités extérieures sont exclues du vote pour l'élection du président. Le "Principe de gouvernance et de management" de l'université d'Oxford commence pourtant par l'affirmation solennelle : "Il y a une claire distinction entre la gouvernance et le management."

Composition du conseil d'administration
YaleUCLParis IV
Président 1 1 1
Directeur finance et enseignement 2
Professeurs 3 6
Maîtres de conférence 7
Étudiants 3 3
Techniciens et administratifs 3
Élus locaux 2 2
Successeurs des fondateurs (Trustees) 10
Anciens élèves 6
Personnalités extérieures 11 5
Total 19 20 27

Le conseil d'administration doit être un organisme "indépendant" qui fixe les grands objectifs à atteindre et contrôle les résultats tout en laissant aux salariés une large liberté pour s'organiser comme ils le souhaitent. La confusion entre les rôles du conseil d'administration et du comité exécutif est typique de l'autogestion. Et comme dans la quasi-totalité des organisations autogérées, les intérêts catégoriels à court terme l'emportent sur l'intérêt général à long terme. Mise à part la réduction de la taille des conseils d'administration, la loi Pécresse n'a pas sensiblement amélioré leur composition. Ils restent des vases clos, lieux de déroulement des combats idéologiques et catégoriels.

Pour des universités de haute qualité

Malgré leurs nombreux désaccords, gouvernement, présidents d'université, enseignants, étudiants, entreprises et contribuables sont unanimes sur un point : il est très important d'avoir en France des universités d'excellence. "Performantes et compétitives" font peur à certains, plus attachés à "indépendantes et libres". Des mots qui ne suffisent pourtant pas à définir la qualité d'une université. Viser l'excellence requiert du courage : recruter les meilleurs et non pas ses "amis", évaluer les résultats et annoncer le verdict aux intéressés, affecter les ressources aux recherches les plus prometteuses et aux meilleurs chercheurs (et donc les retirer aux autres, même plus gradés ou plus anciens), soutenir les personnels en difficulté, réorienter ou sanctionner les personnels durablement en échec. Des modes de gestion diamétralement opposés au mode de gestion du secteur public – emploi à vie et progression des carrières à l'ancienneté.

Le problème est donc de donner du pouvoir aux personnes qui trouvent un intérêt personnel dans la qualité de leur université, par exemple :
- l'État pour le développement et le rayonnement culturel et économique du pays ;
- les acteurs locaux, politiques, économiques, culturels qui souhaitent le développement des établissements dans leur région pour attirer des étudiants et des professeurs ainsi que des entreprises qui trouveront des personnels et des contacts compétents ;
- les anciens élèves qui souhaitent voir leur diplôme conserver ou améliorer sa valeur et construire un réseau de relations utiles ;
- certains membres de l'université (professeurs et chercheurs pour simplifier) qui, par devoir ou par passion pour leur travail, désirent amener leurs équipes au meilleur niveau.

Les membres du "Governing body" de Yale ne sont pas salariés et sont uniquement motivés par le maintien et l'amélioration à long terme de la réputation d'excellence de l'université. Le président est choisi par les 10 trustees, eux-mêmes des personnalités de premier plan, et recrutés après un véritable casting mondial.
Dans les universités françaises, la quasi-totalité des membres du conseil d'administration fait partie de l'université. Les syndicats d'étudiants se comportent logiquement comme des syndicats et défendent surtout le droit au diplôme garanti et l'amélioration des conditions d'étude. Les syndicats des personnels administratifs et techniques se battent, eux, pour l'amélioration de leurs conditions de travail. Les syndicats des enseignants-chercheurs et maîtres de conférences très souvent aussi. Le président est en fait une personnalité de compromis dont le but est "de ne pas faire de vagues".

Cet article a été publié dans la revue Société civile n°95 : Université - Osons la réforme

[1] Le terme faculté est employé de façon générique pour les entités en France ou à l'étranger.

[2] Qui rappelle curieusement « L'État, c'est moi » de Louis XIV.