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Inégalités dans le système d'éducation : les causes d’un désastre

Le centre de recherche Innocenti de l’Unicef a publié la semaine dernière son bilan N°13 portant sur la comparaison entre les pays riches en termes d‘inégalités de l’enfance dans des domaines tels que les revenus, la santé et l’éducation, le bien-être dans la vie.

La France est convenablement classée dans le premier domaine (13ème sur 41), mais se trouve reléguée à la 23ème place sur 35 dans le domaine de la santé, à la 28ème place sur 35 dans celui de la satisfaction dans la vie et à la 35ème place sur 37 en matière éducative. Ce classement, humiliant pour notre pays, est obtenu par référence à diverses sources peu contestables : PISA 2006 et 2013, enquêtes de l’OCDE, enquête HSBC, etc. Ce classement traduit crûment l’état de déliquescence de notre système éducatif. Il interpelle à la fois les familles qui lui confient l’éducation de leurs enfants, le million d’agents de l’Etat qui se consacre chaque jour à l’éducation et les contribuables dont l’équivalent de l’impôt sur le revenu est employé aux dépenses d’éducation. Ce bilan met aussi directement en cause nos gouvernants et les politiques éducatives qu’ils définissent et mettent en œuvre.

A peine les chiffres de l’UNICEF étaient-ils publiés que la ministre de l’Education nationale affirmait que ces résultats concernaient 2012 et donc l’ancienne majorité.  Elle ajoutait que la « refondation de l’école de la République » ne manquerait pas d’améliorer les résultats des élèves et le classement de notre pays.

Examinons les termes de cette déclaration :

L’enquête PISA utilisée par le centre de recherche INNOCENTI est celle de 2012, publiée en 2013, la dernière en date. Rappelons que cette enquête mesure les performances des élèves âgés de 15 ans en mathématique, lecture et sciences.

Quelques repères : Les élèves testés sont âgés de 15 ans en 2012. Ils sont nés en 1997, entrent en maternelle en 2000 et au CP en 2003. Ils entrent en 6ème en 2008. En 2012, ils sont en seconde ou –s’ils ont pris du retard – en troisième.

  • 2002 : Gouvernement Jospin, nouveaux programmes pour l’école primaire (25/01/2002). Ministère Jack Lang.
  • 2005 : Gouvernement Raffarin, Loi Fillon (23/04/05) : instauration d’un « Socle commun des connaissances et des compétences ». Décrets publiés en 2006.
  • 2007 : nouveaux rythmes scolaires hebdomadaires pour l’école primaire (ministère Darcos)
  • 2008 : nouveaux programmes de l’enseignement primaire (ministère Darcos). Entrée en vigueur, rentrée 2009.
  • 2007-2012 : Révision générale des politiques publiques : suppression de 80 000 emplois dans l’enseignement public et privé sous contrat.

A la simple lecture de ces repères il apparaît qu’il n’est pas possible d’imputer les piètres résultats de nos élèves aux évaluations PISA 2012 à l’influence de la Loi Fillon, ni à celle des programmes de 2008 car les élèves testés en 2012 étaient entrés au collège… en 2008. En réalité, ces élèves ont été exposés durant leur scolarité primaire aux programmes élaborés sous le ministère de Jack Lang en 2002.

Les programmes en vigueur au collège quant à eux, étaient alors ceux arrêtés par des textes réglementaires de 1995, et 1997 (Bayron) et 1998 (Allègre). Les nouveaux programmes de 2008 pour le collège n’ont pas touché les élèves testés, car leur entrée en vigueur s’est échelonnée de 2009 (6ème) à 2012 (3ème). Quant à la « semaine de quatre jours », entrée en vigueur en 2008, elle ne concerne pas les collégiens et reste donc sans effets sur leurs performances scolaires.

La RGPP enfin, a concerné essentiellement des emplois non directement liés à la classe (administratifs, stagiaires, remplaçants, RASED). Elle est restée sans effets sur le taux d’encadrement dans les écoles et les collèges, pour autant que celui-ci ait un rapport avec les résultats des élèves…

La « priorité au primaire » :

Les 3 ministres qui se sont succédés depuis 2012 rue de Grenelle ont affirmé que l’enseignement primaire était leur priorité. Ceci est loin de se traduire dans les choix budgétaires, puisque le déséquilibre entre enseignement primaire et enseignement secondaire est toujours le même – à l’épaisseur du trait près – et favorise excessivement le second degré, en particulier les lycées et leurs post-bac. Le programme 140 de 2016 prévoit donc un peu plus de 20 milliards d’euros pour les 5,8 millions d’élèves du primaire et le programme 141, un peu plus de 31 milliards pour les 4,5 millions d’élèves du second degré. Ce déséquilibre peut être l’une des sources de nos difficultés à assurer la maîtrise des fondamentaux par tous nos écoliers. Mais le gouvernement actuel ne modifie rien. Les raisons de cette passivité sont à rechercher du côté des liens qui unissent les syndicats enseignants et la rue de Grenelle. 

La priorité au primaire se traduit surtout par trois mesures phares : la scolarisation précoce des enfants de deux ans, le dispositif « plus de maître que de classes », la réforme des rythmes scolaires.

Or, le budget significatif (+ 800 emplois en 2016) destiné à encourager la scolarisation d’enfants âgés de deux ans s’avère vain, car les parents rechignent à envoyer des enfants si jeunes dans une structure scolaire. Il est du reste assez douteux qu’une scolarisation si précoce soit véritablement bénéfique aux enfants (voir avis critiques de Catherine Dolto, Boris Cyrulnik, Claire Brisset par exemple).

Le dispositif « plus de maître que de classes » (très ancienne revendication du SNUIPP/FSU) consiste à affecter un maître surnuméraire dans une école afin qu’il puisse assister ses collègues dans le cadre d’un projet pédagogique. Ce dispositif est principalement destiné aux écoles de l’éducation prioritaire (qui en bénéficiaient d’ailleurs souvent déjà avant 2012). Nul ne sait aujourd’hui s’il produit des effets mesurables en matière de résultats scolaires. Les écarts de performances entre écoles de Réseaux d’éducation prioritaire et les écoles hors REP sont toujours aussi abyssaux.

Le refondation de l'éducation 

Chacun se souvient que le volontarisme réformateur de Vincent PEILLON avait abouti à une réforme des rythmes scolaires supposée correspondre à « l’intérêt de l’enfant ». Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que cette réforme a surtout eu deux effets contre-productifs :

  • Elle accroit les inégalités en matière d’accès à la culture (puisque bien des communes sont incapables de proposer aux enfants des activités de bon niveau, tandis que d’autres utilisent toute la palette de l’offre culturelle dont elles disposent). 
  • Et elle aura supprimé les deux heures hebdomadaires obligatoires d’aide personnalisées de la réforme Darcos. Certes, il existe sur le papier encore des moments consacrés à l’aide personnalisée dans les activités pédagogiques complémentaires (APC), mais c’est concurremment à d’autres « activités » et cela ne remplace pas un soutien hebdomadaire systématique qui commençait à donner des résultats encourageants auprès des élèves en difficulté quand la « refondation » l’a supprimé.

Si l’on ajoute à cet édifiant tableau le fait qu’en termes d’amélioration du pilotage du premier degré, rien n’a été accompli : pas de statut réel, ni d’autorité pour les directeurs d’écoles, pas de modification des règles d’affectation des professeurs dans les écoles difficiles (62,5% des enseignants de l’éducation prioritaire ont moins de 5 ans d'ancienneté professionnelle), suppression en 2012 des évaluations nationales de CE1 et de CM2, pourtant très appréciées par les maîtres). On parvient aisément à la conclusion suivante : la « refondation » agit à la marge, ne change rien de significatif, n’intervient sur aucun levier systémique susceptible de produire une amélioration des résultats.

Comme le gouvernement sent obscurément qu’il ne parviendra pas à « inverser la courbe » de la médiocrité de notre système éducatif, il a entrepris de réformer de fond en combles les programmes, le socle commun, l’évaluation et l’orientation.

Depuis sa fondation, l’école publique a poursuivi une double ambition : élever le niveau d’instruction des Français. Et dégager par le mérite scolaire une élite républicaine. Massification et démocratisation allaient de pair. Le renouvellement des élites, la mobilité sociale, étaient considérés dès avant la première guerre mondiale, puis par le CNR à la Libération comme une mission essentielle de l’école.

  • La Loi FILLON du 23 avril 2005 qui créait le socle commun des connaissances et des compétences respectait ce double impératif : Le socle devait être au minimum maîtrisé par tous et les programmes définissaient un optimum vers lequel pouvaient tendre les élèves en fonction de leurs aptitudes, de leur travail, de leurs efforts.  Le collège était une propédeutique du lycée et l’orientation des élèves reposait sur leurs résultats (notation) et leurs progrès.
  • La Loi « PEILLON » du 8 juillet 2013 fixe quant à elle au système éducatif français un seul objectif : « La refondation doit conduire à une réduction de l’impact des déterminismes sociaux et de toutes les inégalités et discriminations ». Les orientations fixées au système éducatif comprennent notamment : « Modifier en profondeur l’organisation et le contenu des enseignements et leur évaluation/… / repenser le socle commun de connaissances de compétences et de culture et mieux l’articuler avec les programmes d’enseignement/…/ Les modalité de la notation des élèves doivent évoluer pour éviter une « notation-sanction» (Rapport annexé à la loi)
  • Le décret « VALLAUD-BELKASEM » du 31 mars 2015 institue donc un nouveau socle commun qui « définit les finalités de la scolarité obligatoire » (annexe). Le distinguo entre socle et programmes disparait donc au profit d’un objet unique, référence et horizon indépassable de la scolarité obligatoire, de ses pédagogies, de son organisation. Les enseignements disciplinaires ne sont plus désormais que des « repères annuels de programmation », des prétextes à l’acquisition des « compétences travaillées » (programmes 2016).

Le débat qu’a suscité la réforme du collège fournit à la réforme du socle et des programmes son éclairage idéologique et politique : la ministre de l’Education nationale a présenté sa réforme du collège comme le moyen de « la réussite pour tous ». En affaiblissant, voire en supprimant tous les enseignements supposés « élitistes » et donc, selon elle, sources de discriminations, la ministre, en pleine cohérence avec la philosophie de la « refondation », entend effacer tout ce qui pourrait être perçu comme relevant d’une « fracture sociale » au sein de l’école.

Il s’agit donc de supprimer ou de rogner tous les enseignements considérés par l'actuelle majorité comme des lieux de reproduction des distinctions sociales : langues anciennes, allemand, programmes disciplinaires exigeants. Il est également logique que la ministre s’en prenne à ce qu’elle considère comme deux « marqueurs » sociaux : la notation et l’orientation. La notation est désormais décrite comme une « sanction » qui commet en outre le péché capital de classer les élèves et l'orientation, enfin, jusque-là proposée par le conseil de classe sur la base des résultats et des aptitudes des élèves et arrêtée par la direction du collège, pourra, à titre expérimental, laisser « le dernier mot aux parents »…

Ainsi la boucle est bouclée et tous les indices de diversité des élèves en matière de travail, d’aptitudes, d’efforts, d’engagement, de résultats auront été méthodiquement gommés ou affaiblis.

Les thermomètres étant brisés, le malade est réputé guéri !

Il est indéniable que la « refondation » forme un ensemble cohérent. Il est tout aussi indéniable qu’elle ne traite aucun des véritables facteurs d’échecs du système éducatif français, qu’elle aggrave les inégalités et porte atteinte au modèle républicain de mobilité sociale par le mérite scolaire.

En abandonnant la seconde mission du système éducatif français qui est de dégager et de promouvoir une élite scolaire en sorte de renouveler les élites de la Nation, le gouvernement ne fait pas que renier l’un des fondements de l’école républicaine, il sème le doute sur la capacité de celle-ci à « élever » les enfants, à les instruire et à les éduquer. Le vocabulaire officiel est d’ailleurs révélateur : « les domaines de formation » du socle, « la scolarité obligatoire remplit un double objectif de formation et de socialisation » les élèves pourront « réussir la suite de leur parcours de formation » (annexe du décret). Où se placent l’instruction et l’éducation ?

Si l’école « bienveillante » (?!) n’évalue plus, ne note plus, n’oriente plus, si tous les élèves obtiennent tous les diplômes (les taux de réussite au brevet et au baccalauréat frôlent désormais les 99% tous les ans), les parents chercheront en dehors de l’institution les moyens d’élever véritablement leur enfant et de l’amener au meilleur de lui-même pour l’insérer dans le tissu économique et social. L’idéologie creuse de la « lutte contre les déterminismes sociaux » (loi Peillon), la mise à mal de l’architecture socle/programmes/ évaluation/orientation, auront donc tué, au final, l’égalité des chances et le modèle d’une école facteur de promotion sociale et d’insertion professionnelle réussie.

La « refondation » se caractérise avant tout par une tragique incapacité à réformer, rénover, renouveler l’école dont la France a besoin. Au regard de toutes ses décisions, il apparait probable que les prochains résultats des études Pisa ou de l'Unicef sur les performances des élèves ou la question des inégalités dans le système scolaire français, ne s'améliorent pas. 

Les propositions de la Fondation iFRAP pour réformer l'Education :

  1. Décentralisation de l'éducation nationale : Créer des agences régionales d’éducation en fusionnant les 127 académies et directions académiques dans l’administration régionale.  Ces agences seraient chargées de financer la politique éducative et la masse salariale des enseignants, et donc de subventionner les 5 000 communes chargées du recrutement. L’État conserverait ses compétences pour la fixation des programmes, la passation de contrats avec plus d’établissements privés. Abroger le ratio privé/public qui bride les établissements privés. Mettre fin au collège unique.
  2. Donner plus d’autonomie aux établissements dans la gestion financière et dans les évaluations des enseignants : faire des chefs d’établissement de véritables managers des équipes.

  3. Réformer le statut des enseignants de 1950 en augmentant le nombre d’heures de cours par semaine donné par les enseignants du second degré, en annualisant le temps de travail de tous les professeurs (y compris les agrégés) et en instaurant la bivalence.
    Introduire la notion de performance dans le calcul de la rémunération des enseignants, diversifier leurs statuts et types de contrats devraient permettre de dynamiser les carrières. En plus d’une notion de performance, l’ancienneté des enseignants qui justifie aujourd’hui de la quasi-totalité de la progression salariale, doit être calculée en fonction du nombre d’heures réelles d’enseignement (et donc d’heures passées devant les élèves) et non plus en fonction du temps passé après l’obtention du concours. Si tous les professeurs des collèges et lycées avaient une obligation de cours de 20 heures par semaine, cela permettait d'économiser l'équivalent de 47 000 postes de professeurs.