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Evaluation des enseignants-chercheurs, décryptage du projet de décret

Les enseignants-chercheurs ont manifesté dans toute la France pour dénoncer les réformes de l'Université. Cette action est désormais largement politisée par les syndicats d'enseignants, car ils cherchent à étendre le mouvement aux étudiants pour enflammer les universités. Pourtant, la réforme du décret de 1984, qui régit notamment la charge d'enseignement des enseignants-chercheurs à l'Université, était demandée par le Conseil des Présidents d'Universités. Un grand nombre de ses membres s'étaient d'ailleurs exprimés dans des tribunes publiées dans les médias en faveur de la réforme.

Afin d'y voir plus clair, faisons le point sur le projet de décret proposé par le ministre de la Recherche.

A l'heure actuelle, les heures d'enseignement des enseignants-chercheurs sont encadrées par un décret datant de 1984. D'après ce décret, les enseignants-chercheurs ont une charge d'enseignement de 128 heures de cours, équivalent à 192 heures de travaux dirigés ou 288 heures de travaux pratiques par an. Sachant que les enseignants-chercheurs sont, selon la loi, au régime des 35 heures, cette charge d'enseignement représente entre 5 et 10% du volume annuel de travail. Si l'on compte les heures de préparation et de correction, on arrive à environ 25% du temps légal de travail des enseignants consacré à l'enseignement. C'est là leur seule obligation, ils sont ensuite libres de consacrer le reste de leur temps à la recherche proprement dite et aux tâches dites administratives (encadrement de thésards, gestion de laboratoires, paperasserie chronophage…). Ce décret est rendu caduque par la loi relative à la responsabilité et à l'autonomie des universités votée en août 2007.

Un rapport de la Cour des Comptes d'octobre 2005 pointait du doigt l'absence d'une évaluation institutionnelle régulière de l'investissement des enseignants-chercheurs dans leur activité de recherche et l'absence d'une estimation précise de la charge des différentes missions des chercheurs dans leur emploi du temps. En outre, le rapport notait que «  près de 74,7% des enseignants-chercheurs présents dans les unités publiaient assez pour être considérés comme actifs, soit 64% de l'effectif global » [1]. Difficulté d'évaluation d'une part, grande proportion d'enseignants-chercheurs n'ayant pas publié de manière significative d'autre part, il est logique que le gouvernement se demande comment améliorer le système, alors même qu'il augmente substantiellement les crédits consacrés à la recherche. « Il s'agit de donner aux universités autonomes les moyens d'organiser au mieux leur politique de formation et leur politique scientifique. (…) Il s'agit aussi de permettre aux meilleurs talents, en recherche, pour l'enseignement et les multiples tâches indispensables dans une université moderne d'être enfin reconnus et récompensés » disait le président de la République dans son discours du 22 janvier dernier sur la recherche et l'innovation.

Le projet de décret du ministère vise ainsi à donner la possibilité au président d'université de moduler les heures d'enseignement, à la hausse ou à la baisse, en fonction de l'activité de recherche des enseignants-chercheurs (la modulation de service), tout en laissant « à chaque enseignant-chercheur un temps significatif pour ses activités de recherche ». Pour éviter l'arbitraire, l'enseignant peut refuser une augmentation de ses heures d'enseignement s'il a bien été noté par ses pairs, via l'instance nationale d'évaluation, le Conseil National des Universités. De plus, il est laissé à chaque université le droit de créer une instance - composée de pairs élus - pouvant être saisie par les enseignants-chercheurs contestant le choix du Président d'Université. Sachant que la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) donne une certaine marge de manœuvre pour la rémunération des universitaires, on peut accueillir ce décret comme une mesure de bon sens. Qui mieux que le Président de l'Université, en concertation avec les universitaires de son établissement, peut piloter l'articulation entre enseignement, recherche et tâches administratives, nécessaires au bon fonctionnement des missions de l'Université ?

Malheureusement, l'aspect politique de la gestion d'une université a été négligé. En effet, le système d'élection interne des universités - laissant la part belle aux syndicats - ouvre la voie au copinage, aux préférences locales, à l'arbitraire. Même avec des garde-fous, cette réforme ne parviendra pas à les faire disparaître complètement. C'est tout simplement qu'il manque encore aux Universités françaises les conditions de mise en place d'une réelle et saine émulation : la concurrence. En effet, les établissements doivent s'insérer dans une course à l'excellence désormais mondiale. Cette saine émulation est à terme le gage d'une visibilité et d'un financement accrus pour les meilleurs établissements. Dans des Universités réellement autonomes financièrement et responsables, les choix politiciens, les compromis syndicaux cèderaient vite devant la nécessaire rationalité. Concurrence des universités et sélection des étudiants et des professeurs, deux gros chantiers encore tabous qu'il faudra pourtant mettre en œuvre dans nos universités, bien au-delà de la seule l'évaluation.

[1] D'après les résultats de la mission scientifique, technique et pédagogique du ministère de l'éducation nationale, qui mesure individuellement pour l'ensemble des enseignants-chercheurs présents dans l'organigramme d'une unité de recherche leur rythme de publication (ou de leur activité de valorisation), en fonction des domaines scientifiques, au cours des quatre années précédant l'évaluation.