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Collège unique : les réformes à faire

L’intention des réformateurs du « collège unique » était louable au premier abord puisqu’il s’agissait pour eux de réussir la démocratisation de l’éducation après avoir réussi sa « massification ». Mais les résultats de ces politiques de nivellement ne se sont pas faits attendre et perdurent jusqu’à aujourd’hui : ce fut l’échec massif, dont les indicateurs les plus terribles sont le quasi illettrisme après la classe de 3ème pour 12% des élèves (source : JAPD) et les sorties sans qualification du système éducatif, enkystées  autour de 15% d’une classe d’âge (soit environ 120 000 élèves par an).

Par aveuglement et par confusion idéologiques, nous avons collectivement refusé d’admettre qu’à des élèves différents les uns des autres, il ne faut pas, au nom de l’égalité des chances, proposer les mêmes choses (même accommodées à la «sauce » interdisciplinaire ou transdisciplinaire ou artistico –culturelle) mais bien des contenus, des méthodes et des perspectives de formation différenciés. La confusion idéologique consiste à considérer que les différences d’origine sociale et culturelle, regardées comme la source de l’inégalité, pourrait être mécaniquement réduite par une offre uniforme d’éducation. Mais « la réalité est concrète » comme disait B.BRECHT  et le brouet uniforme proposé aux collègiens ne convient en fait qu’à 62% des élèves, ceux qui bon an, mal an rejoignent le lycée d’enseignement général et technologique (LEGT) après la 3ème, pour y échouer d’ailleurs en seconde pour 15% d’entre eux… On notera que ce dernier chiffre (source : MENESR 2014) n’est lui-même que l’effet de la démagogie qui enrobe littéralement l’actuelle tentative de réforme et de sauvetage du collège unique. Cette démagogie se traduit par des procédures d’orientation post 3ème où le travail, les résultats, les progrès et les capacités de l’élève s’effacent progressivement au bénéfice du « choix des parents » (expérimentation en cours dans certaines académies). La démagogie, ce sont aussi les suaves accents d’une administration qui évoque dans ses circulaires la « bienveillance » et « l’inclusion », comme si l’école d’avant 2012 avait jamais été malveillante vis-à-vis des élèves, ou qu’elle ait reposé sur un principe d’exclusion !

L’aveuglement quant à lui, consiste à estimer que tout ce qui peut ressembler à une formation « préprofessionnelle », à de l’apprentissage et plus généralement à une formation professionnelle, bref au monde du travail, est a priori un marqueur social de pauvreté, de déclassement, de relégation, etc. Pourtant, on ne voit pas pourquoi un apprenti boucher ne serait pas l’égal d’un élève de 1ère S. On ne voit pas pourquoi le latin et l’allemand seraient plus élitistes que la soudure ou le travail du verre. Ces références permanentes à la vulgate « bourdieusienne » ont aujourd’hui  encore moins de sens qu’hier parce qu’elles sont déconnectées des réalités de l’emploi, de la mobilité professionnelle et même des nouvelles stratifications sociales de notre civilisation. Du reste le modèle allemand d’enseignement « dual » qui repose sur une orientation précoce des élèves sur la base de tests fédéraux rigoureux, montre que la formation professionnelle est bien une voie noble, c’est-à-dire une voie d’accès à l’insertion sociale par la qualification, le travail et l’emploi.

Dire cela n’entre pas en contradiction avec la nécessité de faire en sorte que 100% des élèves doivent maîtriser les connaissances et les compétences du socle commun tel qu’il a été voulu par la Loi FILLON du 28 avril 2005 (combattue en son temps par la gauche au Parlement au moyen de pas moins de 600 amendements…). La maîtrise du socle peut être attestée au collège, au lycée professionnel, dans les CFA, peu importe, l’essentiel étant qu’elle le soit et soit aussi un préalable indispensable à la délivrance de tous les diplômes.

Que faire ?

Un décret simple, pris à la hussarde, sans que soit vidée sur le fond la querelle, sans que les premiers acteurs du système éducatif soient eux-mêmes convaincus du bien-fondé des nouvelles dispositions, a peu de chance d’être appliqué, surtout s’il doit entrer en vigueur 6 mois avant les échéances électorales de fin de mandat… Il est possible de proposer ici des pistes pour un collège rénové qui retrouve le goût de la réussite :

  • Agir sur les programmes : recentrer les enseignements sur les matières fondamentales dont la maîtrise par chaque élève est indispensable à l’acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences (renforcement significatif des enseignements du français, des mathématiques et de l’histoire-géographie). Cette priorité absolue a pour conséquence de réduire significativement le temps consacré aux enseignements scientifiques, technologiques et artistiques qui peuvent être globalisés sur l’année, voire – pour les arts - être externalisés (assurés par des intervenants extérieurs) ;
  • Agir sur les méthodes : les élèves qui arrivent en 6ème sans maîtriser les fondamentaux attendus en fin de primaire font l’objet d’une remise à niveau intensive obligatoire durant la fin du mois d’août (l’obligation concerne la famille et les enseignants) et le premier trimestre de la 6ème. Le tutorat est généralisé et obligatoire dans le service des enseignants. Les élèves peuvent être répartis par groupes de compétences indépendamment de leur classe d’âge dans certaines discipline (en langue vivante notamment) les classes bilangues sont rétablies et développées et l’enseignement intensif des langues est encouragé dans l’optique de certifications dans le cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Dans le domaine de la vie scolaire la note de vie scolaire est réintroduite et valorisée, les élèves gravement perturbateurs sont scolarisés en ERS ;
  • Agir sur les cursus : des modules de « découverte professionnelle » de 6 à 8 heures hebdomadaires sont créés dans tous les collèges et proposés aux élèves qui présentent (sur la base de leurs résultats à des évaluations standards nationales) peu d’appétence ou d’aptitude pour l’abstraction mais sont attirés par les savoir-faire techniques. Sous la responsabilité des régions, chaque collège ou groupement de collèges sera jumelé avec un ou plusieurs lycées professionnels et centre de formation d’apprentis. Les jumelages avec les entreprises sont systématisés dans la perspective de l’accueil  de stagiaires et d’apprentis. L’orientation vers l’apprentissage, prononcée par le collège, peut intervenir durant l’année où l’élève atteint ses 15 ans ;
  • Agir sur l’évaluation : le contrôle de la maîtrise des différents niveaux du socle commun est organisée tous les deux ans (en 5ème et en 3ème) sur la base d’évaluations nationales. Les évaluations nationales générales des élèves de CE1 et CM2 sont rétablies. Les résultats  des évaluations nationales sont rendus publics par école et par établissement. Le diplôme national du brevet (DNB) est indispensable pour accéder en seconde générale et technologique ;
  • Agir sur l’organisation : Les professeurs enseignant au  collège sont progressivement rendus bivalents (nouveaux concours et formation continue). Les décrets de 1950 modifiés en 2014 sont abrogés et les obligations réglementaires de service sont redéfinies selon les principes de globalisation, d’annualisation, de continuité du service (remplacements obligatoires) et de cohérence du service (suivi individualisé et tutorat, accueil des familles). Des « préfets des études » sont instaurés dans tous les collèges pour coordonner le suivi des élèves, assurer la cohérence de l’équipe enseignante, piloter l’innovation. Les actions de formation continue des professeurs sont obligatoires et se déroulent en dehors du temps scolaire. L’année scolaire est allongée de trois semaines (une en juillet et deux en août) ;
  • Agir sur la gouvernance : les collèges se voient fixer des objectifs quantitatifs et qualitatifs précis et évaluables. Ils obtiennent de nouvelles marges de manœuvre pouvant aller jusqu’à l’aménagement des programmes, et des cursus (unités capitalisables, modules). Le chef d’établissement dispose d’une enveloppe indemnitaire annuelle significative pour encourager et valoriser l’engagement professionnel des personnels. À terme, il disposera de la masse salariale de son établissement et de la capacité à recruter ses personnels. Les établissements sont régulièrement évalués et les résultats de l’évaluation sont rendus publics. Des établissements durablement  défaillants peuvent être fermés et leurs élèves répartis dans les établissements voisins. Le pilotage de l’ensemble des structures et méthodes d’aide aux élèves en difficulté est assuré au niveau national par une sous-direction unique de la DGESCO déclinée au niveau de chaque académie (cf. préconisations du rapport de la Cour des comptes de février 2015).

Un bref rappel historique : 

Le collège procédant de la loi Haby du 11 juillet 1975 n’est «unique » que parce qu’il unifie les « collèges d’enseignement général », les « collèges d’enseignement secondaire » et les premier cycles des lycées de l’époque. Sa structure par contre est tout sauf unique : il existait, après le cycle d’observation (6ème et 5ème) – qui comprenait encore des « classes de transition » - trois voies du « cycle d’orientation (4ème et 3ème) »: générale, technologique et « préprofessionnelle ». Loin de proposer le même cursus et les mêmes programmes à tous ses élèves, le collège « Haby » veille à répartir les élèves dans des voies correspondant à leurs aptitudes, à leur travail et à leurs résultats. Le collège « Haby » était donc un collège diversifié. Cette diversification des enseignements  qui incluait pour la première fois le « soutien » aux élèves rencontrant des difficultés et « l’approfondissement » pour ceux dont les aptitudes le permettaient, a été battue en brèche dès 1981 dans une visée  d’uniformisation, c’est-à-dire offrant le même cursus et les mêmes programmes à tous les élèves : en 1991 les classes préprofessionnelles sont supprimées (Lionel Jospin), en 1993, les cycles sont remaniés et l’orientation repoussée en classe de troisième (François Bayrou), en 1998 les classes technologiques  sont supprimées (François Bayrou, puis Ségolène Royal) de 1999 (Ségolène Royal) à 2002 (Jack Lang) le collège deviendra successivement « le collège pour tous » puis « le collège pour tous et pour chacun », ces appellations s’accompagnant pour l’essentiel de l’affaiblissement de l’enseignement des disciplines fondamentales et opératoires (français, maths, histoire-géographie) au bénéfice « d’itinéraires  de découvertes » (IDD) ou de « parcours artistiques et culturel » (PAC) aussi dispendieux qu’inefficaces.