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Vers une police contre la fraude fiscale

Le service fiscal judiciaire est-il la panacée ?

Lutter contre la fraude fiscale est une mission essentielle pour toute administration fiscale qui se respecte. Surtout si les agissements frauduleux sont importants, comme a pu le révéler au printemps dernier le surgissement de l'affaire dite « du Liechtenstein ».

Il faut dire que les méthodes utilisées par l'administration allemande avaient pu en la circonstance apparaître comme tout à fait singulières, avec l'usage de services de renseignement du Bundesnachrichtendienst, BND payant un informateur afin de se voir livrer les listes de clients d'une certaine banque luxembourgoise. La France avait alors pu admirer la rapidité de l'enquête allemande contre les contrevenants, sous la houlette du procureur de Basse-Saxe, avec l'appui de la police fiscale [1]. Elle avait pu remarquer d'ailleurs qu'en matière de fraude fiscale, l'administration fiscale allemande placée sous l'égide du ministre Peer Steinbruck n'avait pas compétence pour enquêter. Il s'agissait en effet de l'exercice du strict respect de la séparation entre des enquêtes conduisant à des perquisitions relevant du pouvoir judiciaire et de l'exercice forcément limité du contrôle administratif.

En voulant adapter les spécificités de la police fiscale allemande à la réalité française, au travers du projet de « service fiscal judiciaire », la France ne semble pas avoir retenu tous les éléments importants de l'expérience allemande. En effet, cette séparation entre l'administratif et le judiciaire, est essentielle en matière de fiscalité, ne serait-ce que parce que l'administration estime nécessaire (sauf répression de la grande délinquance fiscale) de prévenir les titulaires de comptes avant d'examiner leur situation individuelle. C'est dire donc que le contribuable allemand est beaucoup plus protégé et informé que n'est le nôtre lorsqu'on s'intéresse à sa situation fiscale. L'Etat allemand est d'ailleurs peu enclin à revenir sur cette pratique dans la mesure où les citoyens allemands n'ont jamais hésité en cas d'incertitude bancaire ou fiscale à retirer au besoin leurs économies en liquide pour les placer dans leurs coffres particuliers, situation virtuellement impossible en France, puisque le liquide se révèle vite « illiquide », puisqu'il obéit au double plafonnement des paiements en espèce : 1100 € pour les entreprises, 3000 € pour les particuliers (mais aucun plafond pour les étrangers), avec à la clé une amende de 5% des sommes payées ou encaissées, de façon solidaire pour les éventuels contractants.

Mais si l'édification d'un service fiscal judiciaire suscite l'interrogation c'est avant tout parce que la délimitation de ses contours pose un certain nombre de problèmes :

- D'une part, pour des raisons de confidentialité et de protection de la vie privée, l'autorité judiciaire avait jusqu'à présent la possibilité, en lien avec la cellule Tracfin dépendante du ministère des finances et de la direction des douanes, d'être saisie de présomptions de soupçon en matière de délits de blanchiment de la part des banques mais également du fisc. Il manquait donc un pendant fiscal, avec une « déclaration de soupçon de fraude fiscale » prélude à une saisine pour présomption de fraude. Mais l'information était unidirectionnelle : Tracfin pouvait recueillir les déclarations de soupçon, demander des compléments d'information à l'administration fiscale, sans que la réciproque soit vrai. Or établir la relation inverse n'a rien de simple compte tenu de la protection des données personnelles. On aurait alors un service à compétence large, se mettant au service d'un autre service à compétence étroite, ce qui revient à contourner la limitation des compétences de l'un en lui permettant de se servir de l'exorbitance de celles de l'autre. On en conviendra la solution peut sembler impossible.

- D'où l'idée de confier l'ensemble du processus au judiciaire. En l'espèce, le montage envisagé serait le suivant : l'administration fiscale saisirait la Commission des infractions fiscales dès que des éléments pouvant porter sur un délit de « fraude complexe » seraient isolés [2]. Il s'en suivrait alors immédiatement saisine du parquet qui transmettrait alors l'enquête à la Police fiscale. Encore faut-il que ce service relève bien uniquement du ministère de l'intérieur sous l'égide du ministère de la justice.

Or rien n'est moins sûr. En effet, la mise en place d'un tel service supposera nécessairement la constitution d'un partenariat entre les ministères du budget, de la justice et de l'intérieur. Et chaque administration semble particulièrement jalouse de ses compétences. On peut en vouloir pour preuve le SNUI qui dans un communiqué conjoint avec les douanes en date du 6 octobre 2008 mettait en garde contre toute judiciarisation rampante :
« Le SNUI et Solidaires douanes entendent porter haut et fort que rien ne serait plus dangereux que de « sortir » cette compétence et cette structure nouvelles d'une sphère fiscale insérée par nature dans le domaine « budget et comptes publics. » (soulignés par eux !) Il faut dire qu'une application stricte de la délimitation entre le judiciaire et le fiscal en termes d'enquête pour un délit de « fraude complexe » qui visiblement s'achemine pour être constitué comme une incrimination matérielle (c'est-à-dire sans prise en compte de l'élément moral de l'infraction, par simple commission), rognerait considérablement sur les prérogatives de l'administration fiscale en soumettant au droit processuel pénal de droit commun accompagné de toutes ses garanties le contribuable incriminé.
Ce ne serait que justice dans la mesure où l'infraction pourrait être constituée sans prise en considération des sommes exfiltrées «  Ce n'est pas le montant qui définit le délit, ce sont les moyens mis en œuvre pour frauder le fisc : comptes à l'étranger non déclarés, créations de structures frauduleuses, recours à de fausses identités, etc. ... ». Avec une incrimination « attrape-tout » souhaitons que le service fiscal judiciaire rattrape du côté des garanties juridiques offertes au contribuable ce qu'il semble lui enlever au niveau de l'infraction pénale.

Cette réforme encore une fois, le SNUI la sent déterminante. D'autant qu'un tel service pourrait également permettre de substantielles économies de personnels et porter atteinte au « monopole » de Bercy sur les enquêtes fiscales. C'est pourquoi le syndicat joint à Solidaires Douanes, déclare : « L'architecture des services, des compétences et des procédures doit être pensée de sorte que la création d'un tel service n'enlève rien à l'existant, y demeure connecté et ne le concurrence pas, la principale valeur ajoutée apportée par un tel service devant être sa technicité fiscale ! » On ne saurait être plus clair !

[1] Il faut dire que la procédure actuelle ne donne pas vraiment satisfaction en la matière, en effet, il relevait de la DNEF (la direction nationale des enquêtes fiscales) le soin d'établir les preuves, ce qu'elle s'applique à l'heure actuelle de faire, avant de saisir la Commission des infractions fiscales (CIF) qui transmettra ensuite au parquet pour les suites pénales, sous toute vraisemblance au printemps 2009. Un an de retard par rapport à l'Allemagne !

[2] Il est à souhaiter que cette infraction soit entendue de façon restrictive de manière à éviter un effondrement du service sous le poids des dossiers en souffrance !