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Perquisitions fiscales : contraires aux droits de l'homme !

L'affaire Ravon est tout à fait banale, elle n'a en elle-même aucune importance, et c'est ce caractère anodin qui la rend symbolique. Monsieur Ravon, gérant de deux entreprises Marseillaises, est soupçonné de fraude à la TVA et à l'IS, et se trouve assujetti à deux ordonnances de visites fiscales l'une pour ses locaux professionnels et l'autre pour son domicile. Après avoir saisi vainement la Cour de cassation, le justiciable se retourne vers la Cour européenne des droits de l'Homme et obtient gain de cause. Résultat : la France est condamnée et le domicile privé jugé indirectement inviolable.

La Cour européenne sanctuarise le domicile privé et dénonce les procédures administratives de perquisition :

Lorsque la perquisition devient une simple « visite » fiscale

Le livre des procédures fiscales aime l'euphémisme. Le terme de « perquisition » qui aurait dû seul être employé dans la rédaction de l'article L 16B du LPF puisque celle-ci comprend la visite domiciliaire mais aussi la saisie de tout document susceptibles de révéler des infractions fiscales. Mais trop connoté et jugé péjoratif car chargé d'un sens inquisitorial, il a été remplacé par le terme plus neutre de visite. On n'oserait dire de courtoisie (voir J.O A.N, Débats, 16 et 19 décembre 1984, p.6140 et 7189).

La Cour européenne des droits de l'homme est soucieuse du droit au respect du domicile privé des individus. C'est sur ce fondement que la Haute juridiction a lourdement condamné la France dans l'affaire Ravon et autres c. France du 21 février 2008, à l'unanimité des juges, en sanctionnant l'absence d'accès concret et effectif des citoyens perquisitionnés à tout recours effectif pour contester la régularité de la procédure de visite et des saisies conservatoires qui en ont découlé.

Mais l'importance de cet arrêt ne réside pas seulement dans ses conséquences pour les requérants. Elle réside sans doute bien davantage dans les appréciations de la Cour sur la recevabilité de la plainte et sur le fond de l'affaire, parce qu'elle démonte point par point tout l'édifice très bancal sensé encadrer le processus de perquisition. Tant au niveau des pseudo-garanties offertes au contribuable, que dans la procédure juridictionnelle elle-même. Regardons son raisonnement et les errements qu'elle souligne et qui seront sans doute très difficiles à corriger par les pouvoirs publics nationaux.

Vérification du juge ou copié-collé administratif ?

Il existe en outre un doute sérieux sur la réalité des vérifications des demandes d'autorisations de perquisitions fiscales transmises au juge et notamment au regard de la motivation effective de ces ordonnances d'autorisation. Un cas ubuesque peut être cité à propos, dans un arrêt Cass.com. 29 octobre 1991, la Cour de cassation a jugé qu'avaient été régulièrement prises trois ordonnances émanant de deux présidents de TGI différents le même jour, dont les teneurs sur 14 pages étaient totalement identiques sous réserve de certains blancs permettant des mentions manuscrites. En clair, le modèle avait été transmis par l'administration fiscale, visiblement sans contrôle effectif du juge, d'ailleurs complètement étranger à la matière fiscale ! (voir, Lièvre-Gravereaux, Emilie, La rétroactivité de la loi fiscale, une nécessité en matière de procédures, L'Harmattan, Paris, 2007, p.331). Cette pratique est pourtant contraire au principe de l'examen effectif des éléments de droit et de faits permettant de conduire à la motivation de l'ordonnance du juge. Il est vrai que l'administration cherche à protéger l'origine de la majorité des présomptions de fraude qui a lieu par délation (ibidem, p.336).

En premier lieu, la Cour indique que l'atteinte au droit au respect du domicile, bien que portée pour des raisons fiscales, ne saurait déroger au principe de droit commun qui veut que celui-ci relève du droit civil. Fort de ce constat, l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, relatif au droit à un procès équitable qui s'applique en matière de procédures à caractère civil, est donc parfaitement applicable. Toute exception relevant du caractère autonome du droit fiscal est donc irrecevable. C'est donc le citoyen et non le contribuable sujet de droit qui est ici considéré.

En second lieu, le juge a porté une appréciation au regard de l'effectivité et du caractère concret des voies de recours laissées à la disposition du citoyen perquisitionné. Et son jugement n'est pas tendre.

- D'une part l'application de l'article L.16 B du LPF dispose que les ordonnances autorisant les perquisitions ne sont susceptibles que d'un pourvoi devant la Cour la chambre criminelle de la Cour de cassation [1]. Or le juge de cassation ne peut statuer que sur des éléments de droit, jamais de fait, ce qui ne permet pas un examen véritable des éléments de faits fondant les autorisations délivrées par le juge des libertés et de la détention (depuis la réforme impulsée par la loi du 15 juin 2001 art.49 VI, mais effectif que depuis le 16 juin 2002, auparavant le juge de l'autorisation de perquisition fiscale était le président du TGI dans le ressort duquel réside le perquisitionné).
- D'autre part, l'autorisation délivrée par le juge, ne permet pas au justiciable de faire valoir ses droits en amont de l'exercice de la procédure de visite domiciliaire elle-même. Il n'est pas partie à une quelconque instance d'autorisation.
- Cette carence se trouve alourdie par le fait que durant la perquisition elle-même, les justiciables ne peuvent saisir effectivement le juge contrôlant les opérations dans la mesure où les agents procédant à la visite ne sont pas tenus de faire connaitre aux intéressés leur droit à la saisine du juge. Celui-ci en tout état de cause ne peut en aucun cas exercer sur la procédure et son autorisation un contrôle de la régularité indépendant puisqu'il est lui-même juge et partie en délivrant l'autorisation initiale. En outre, élément formel décisif, le juge lui-même n'est pas tenu, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, de mentionner dans l'ordonnance d'autorisation, le droit des justiciables de lui soumettre toute difficulté , ni de mentionner sur le document tout élément concret permettant de le saisir immédiatement (n° de téléphone, fax etc…).

Enfin, la Cour européenne des droits de l'homme sanctionne l'étendue du contrôle exercé par le juge compétent lors des perquisitions. Puisque la Cour de cassation n'autorise de recours que contre l'autorisation initiale et durant le déroulement des opérations de visites et non en aval, lorsque l'administration utilisant ou non son droit de communication, se sert de ses informations pour d'autres buts que ceux initialement allégués (une saisie du juge de l'impôt est alors possible cependant en théorie, au moyen d'un référé-suspension). De toute façon, les griefs issus des opérations de perquisition mettant en cause la responsabilité sans faute de l'administration fiscale (on appréciera l'euphémisme) relèvent d'une procédure contentieuse ultérieure. Il faut donc que les justiciables intentent des poursuites pour que ces griefs puissent être examinés. Il n'y a donc pas selon la Cour, de « contrôle juridictionnel effectif » sur l'ensemble de la procédure de perquisition.

Les évolutions ultérieures : la judiciarisation des services d'enquêtes fiscales

Le curieux statut des aviseurs fiscaux

Pour le fisc, les informateurs sont appelés « aviseurs » fiscaux. Leur statut a été pour la première fois défini par une loi de finance rétroactive du 26 juillet 1893. Le ministère a toujours eu beaucoup de réticence à en confirmer l'existence. En réalité leurs modalités de rémunération est double suivant que ces informateurs dénoncent les abus constatés auprès de la Direction des douanes ou de la DGI (l'information étant en réalité traitée par la DNEF (direction nationale des enquêtes fiscales), en lien avec la DNVSF (la direction nationale des vérifications de situations fiscales).

Le premier cadre, celui des douanes, est relativement bien connu ; le statut des aviseurs est prévu initialement dans un décret n°47-1010 du 5 juin 1947, malheureusement non publié (et non disponible sur légifrance), puis modifié par l'arrêté (placé sous le décret portant même numéro et inaccessible individuellement sur légifrance) n°57-520 du 18 avril 1957 portant modalités d'application de l'article 391 du Code des douanes. Dans sa dernière version en date du 21 novembre 2007, celui-ci dispose que « Toute personne étrangère aux administrations publiques qui a fourni (…) renseignements ou avis, ayant amené directement ou indirectement la découverte de la fraude, reçoit une rémunération qui ne peut excéder la somme de 3 100 € sauf décision contraire du directeur des douanes ». Cette rémunération discrétionnaire étant insusceptible de recours.

Le second cadre est celui de la DGI. Là l'opacité la plus complète règne. Si Nicolas Sarkozy lors de son passage au Ministère des Finances en 2004 a fait modifier un certain nombre de dispositions visant les dénonciations fiscales anonymes, il n'en reste pas moins vrai, que les instructions régissant les dénonciations signées semblent rester toujours parfaitement valides en dépit des dénis du ministre du Budget. Dans ce cadre, lorsque les informateurs se sont fait connaître, les modalités semblent être les suivantes : elles sont prévues par deux notes-circulaires autographes à caractère règlementaire (et non interprétatif !) la première signée de Dominique Machet de la Martinière (Directeur de la DGI) en date du 8 mai 1973 et la seconde de décembre 1986. Elles proposent un véritable barème :
- renseignements conduisant directement sans recherche à la constatation de la fraude : 1/3 des amendes et pénalités
- renseignements exacts mais manquant de précision rendant la découverte incertaine : 1/6ème.

Bien évidemment toutes ces sommes sont réputées non imposables.

Devant la dureté de la condamnation de la France, les autorités fiscales ne vont pas rester coites. Car c'est toute l'effectivité de la procédure des perquisitions domiciliaires qui se trouve remise en cause.

D'une part la Cour condamne implicitement la technique de vérification des pièces fournies au juge chargé de l'autorisation et du contrôle des visites, au niveau de la motivation des autorisations, étant entendu que l'absence du contribuable et l'aspect purement formel de ces vérifications judiciaires, permettent à l'administration de protéger l'anonymat des délateurs l'aiguillant sur le domicile des justiciables visités. On rappellera que l'abrogation par Nicolas Sarkozy de la recevabilité des dénonciations anonymes, a été réaffirmée dans son discours devant l'université du MEDEF à Jouy-en-Josas le 30 août 2007 : « A quoi sert-il (…) de tolérer des contrôles fiscaux sur une dénonciation anonyme, ou des enquêtes sur une dénonciation anonyme ? »

Le SNUI a en effet témoigné que depuis 2004 alors que Nicolas Sarkozy était Ministre des Finances, une trentaine de dispositions contenues dans des circulaires confidentielles avaient été modifiées, rendant plus difficile l'exercice des contrôles fiscaux. Ce qui complexifie la présentation des preuves à fournir au juge pour autoriser ces perquisitions. Seules les délations signées restent théoriquement recevables (même si le ministère affirme le contraire). Un contournement éventuel en cas d'interdiction pourrait être offert par l'intermédiaire du système d'indemnisation des aviseurs des douanes. Mais il s'agirait alors d'un détournement de procédure.

D'autre part, l'arrêt de la Cour amoindrit le dispositif de flagrance fiscale, mis en place par l'intermédiaire de la loi de finances rectificative du 25 décembre 2007 à l'article L16-0 BA du LPF dont les dispositions renforcées visaient notamment la lutte contre les sociétés éphémères responsables des fraudes de type carrousel à TVA. Cette procédure particulière s'appuie notamment sur l'article L16B qui vise également le domicile privé. Sa sanctuarisation en l'absence de réforme du contrôle juridictionnel effectif, s'applique donc pleinement.

Ce processus induit inévitablement une judiciarisation accrue des procédures de contrôle fiscal. C'est en substance ce qu'a évoqué devant les sénateurs le ministre du Budget Eric Woerth lors de son audition par la commission des Finances du Sénat. La judiciarisation des services d'enquête des impôts devrait leur permettre d'accélérer les procédures, tout en allégeant à leur profit la charge de la preuve. De simples commencements de preuve devraient suffire. En la matière, deux voies sont à l'étude :

- Soit développer une véritable police fiscale sur le modèle allemand, récemment mis en lumière dans l'affaire du Liechtenstein, avec indépendance des fonctions de contrôle et d'enquête dépendant du juge et des fonctions de conception et de recouvrement au sein des services des impôts. Cette possibilité pourrait permettre d'appliquer aux aviseurs fiscaux, le statut des « indics » de la police dont la clarification du statut a été obtenue en s'inspirant de celui mis en place pour les douanes.
- Soit développer les pouvoirs d'investigation des services des impôts en accroissant leur prérogative sur le modèle des douanes.

Dans ce dernier cas de figure on pourrait également s'interroger sur une interpénétration accrue des services des douanes au sein des autres départements de l'administration fiscale. Il pourrait déboucher à une résilience des douanes à toute baisse de leurs effectifs malgré l'abolition des frontières, en arguant de l'importance de leurs prérogatives, pour les intégrer sans modification législative d'envergure au sein des autres services afin de développer les capacités d'investigation sur le modèle des GIR.

Autant de pistes sérieuses, qu'il convient de garder à l'esprit pour observer efficacement le contournement par l'administration fiscale de cette sanctuarisation du domicile privé des individus affirmée par la Cour européenne des droits de l'Homme.

[1] Saisine qui doit avoir lieu dans les 5 jours à compter de la date de production de l'ordonnance de perquisition. Cinq jours pour réunir les preuves et l'ensemble des griefs justifiant son arbitrage. C'est court !